Archives

European Mobility Expo : Bruxelles n’est pas l’Europe…

Les positions promues par la Commission européenne en matière de mobilités n’ont pas manqué d’être âprement débattues lors du salon European Mobility Expo qui s'est tenu à Paris du 7 au 9 juin. En cause notamment, une vision jugée trop centrée sur la technique et sur le transfrontalier longue distance, faisant de la voiture électrique l’alpha et l’oméga de la décarbonation, en occultant ses faiblesses et au risque d’exclure une partie de la population.

"La Commission a été très marquée par certains phénomènes comme la crise des gilets jaunes", nous déclarait il y a peu Christophe Moreux, de l’Association française du Conseil des communes et régions d’Europe (Afccre) - voir notre entretien. Il est à craindre qu’elle n’ait, parmi d’autres, pas encore pleinement intégré les ressorts de ce mouvement, il est vrai complexe et aux motivations variées, parfois même contradictoires. Certains de ses membres confessaient naguère une prise de conscience tardive, déplorant jusque-là des "angles morts" dans la prise en compte de certaines réalités du terrain (voir notre article du 15 décembre 2021).

Ces réalités semblent parfois encore ignorées, comme en témoignent quelques déclarations tenues çà et là sur la place de la voiture au quotidien lors de "l’European Mobility Expo", organisé à Paris du 7 au 9 juin. Et ce, à rebours de plusieurs travaux récents (par exemple le rapport Jacquin ou une étude Insee du 29 avril 2021). "On a besoin de la voiture pour faire 1.000 km pour les vacances. Le reste de l’année, on n’en a pas besoin", expose ainsi Herald Ruijters, membre de la DG Move de la Commission européenne. "Pour beaucoup de gens, la voiture, c’est une prolongation de leur caractère, mais on peut s’en passer. Moi-même je renonce à la voiture depuis huit ans, je ne fais plus que de la bicyclette électrique et porte des chaussures confortables", indique – après avoir fièrement exposé ses baskets – la journaliste Annette Gerlach, qui animait l’une des tables rondes du salon. Et d’expliquer que la crise des gilets jaunes tenait avant tout à un "problème de communication. On n’a pas bien expliqué aux Français", expose-t-elle.

Vérité au-delà et en-deçà du périphérique

Une déclaration qui n’a pas manqué de faire bondir Thierry Mallet, P-DG de Transdev : "Votre vision est très romantique, mais fausse. C’est une vision parisienne ou berlinoise de gens qui vivent en ville, qui peuvent se passer de voiture. Mais ce n’est pas la vérité de la majorité des Français. Ne nous trompons pas. Ce n’est pas seulement une question d’éducation. Beaucoup de gens n’ont pas le choix. Arrêtons de penser que l’on va leur donner des leçons en leur disant de marcher ou de prendre leur vélo. C’est les tromper. La part du vélo post covid en France, c’est 1%. Même aux Pays-Bas, elle n’est que de 8%. Arrêtons de nous faire plaisir en disant que les solutions existent. Si 83% des Français prennent leur voiture, c’est qu’ils n’ont pas d’autre solution !".

Et celui qui est également vice-président de l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP) de dénoncer également l’argument pour "les urbains" : "Quand vous parlez d’urbains, vous parlez de gens qui habitent jusqu’à 50 km de Paris. Les gens font 34 km par jour pour aller travailler en France". Thierry Mallet avait pourtant rappelé en amont qu’en "France, 83% des kilomètres du quotidien se font en voiture", évoquant notamment "les foyers modestes repoussés en périphérie urbaine par la métropolisation, qui n’ont pas d’alternative", déplorant que ce phénomène ne soit selon lui "absolument pas pris en compte par l’Union européenne". Et de rappeler que sans "choc de l’offre" de transport, et un véritable soutien aux transports publics, de transition, il n’y en aura pas (lire notre article).

Les mobilités du quotidien, voilà l’enjeu

Avant cette passe d’armes, le fer avait déjà été porté par Mohamed Mezghani, secrétaire général de l’Union internationale des transports publics (UITP), contre l’accent mis par la Commission "sur les mobilités transfrontalières, longue distance (…), alors qu’on doit se focaliser sur les mobilités du quotidien. Le transport ferroviaire urbain et suburbain représente 34 milliards de passagers, à comparer au 1,2 milliard de passagers pour le ferroviaire longue distance. Si l’on ajoute le bus, le rapport est de 1 à 30", explique-t-il. "70% des émissions de gaz à effet de serre des voitures en France se font dans les zones urbaines. Le transfrontalier n’est pas le problème", appuie Thierry Mallet.

Charlotte Nørlund Matthiessen, conseillère politique Green Deal de la commissaire européenne aux transports Adina Vălean, avait bien tenté de parer l’attaque, en soulignant que la Commission s’intéressait désormais aussi aux nœuds urbains, invoquant la stratégie mobilité verte présentée en décembre dernier, et notamment les plans de mobilité urbaine durable (voir notre article). Sans convaincre totalement : "Il ne faut pas s’arrêter à la mobilité urbaine, mais aux bassins de vie. L’enjeu, ce n’est pas Paris, mais la région Île-de-France, c’est 50 km autour de Bordeaux ou de Nantes. C’est cela l’échelle nécessaire pour faire de la mobilité inclusive", plaidait un Thierry Mallet très en verve.

L’impasse de la seule voiture électrique

Mohamed Mezghani déplore également le fait que la Commission se focalise sur les technologies : "Ce que l’on veut, c’est plus de transports publics, et éviter un business as usual simplement plus propre. C’est moins de voitures, en ne tenant pas uniquement compte de leur impact sur les émissions de carbone". Une position là encore partagée par Thierry Mallet : "La voiture électrique proposée par l’Europe ne peut pas être la seule solution. Tout le monde n’aura pas une voiture électrique demain. Les foyers modestes n’achètent que des véhicules d’occasion. On va exclure une partie de la population. La transition doit être nécessairement inclusive, sinon ce sera un échec", met-il inlassablement en garde.

Jérôme Brouillet, secrétaire général adjoint au Secrétariat général aux affaires européennes, ne peut qu’acquiescer, soulignant que la difficulté est plus aiguë encore dans certains pays de l'Est de l'Europe où tout le monde achète son véhicule d’occasion : "On aura beau mettre fin à la vente des véhicules thermiques en 2035 (décision en cours d’adoption, ndlr), l’impact ne se fera pas ressentir avant 2042-2045".

Empreinte plutôt qu'émissions

Thierry Mallet dénonce encore le fait "que l’on réfléchit trop en matière d’émissions, et pas d’empreinte", et ce "au risque d’avoir des revirements très violents". "Un bus électrique, ce n’est pas zéro émission ! Il faut aussi inclure sa fabrication. Il est important de faire des bilans complets", plaide-t-il. Bref, du puits à la roue, et même du berceau à la tombe, et pas seulement du réservoir à la roue. Christophe Fanichet, P-DG de SNCF Voyageurs, va plus loin encore, en soulignant la nécessité de prendre également en compte les infrastructures, dénonçant l’iniquité du "contribuable qui paye la route", injustice récemment dénoncée par une étude de la direction générale du Trésor (voir notre article). 

Taxe et marché carbone

Pour y remédier, Thierry Mallet se déclare favorable à la taxe carbone, "car c’est un très bon signal prix s’il y a des alternatives à la voiture, sinon, c’est punitif. La preuve : l’augmentation du prix de l’essence aujourd’hui est considérable, mais n’amène pas plus de gens dans les transports publics". Il souligne qu’il en va de même pour les zones à faibles émissions mobilité, "des péages qui ne disent pas leur nom".

Reste que si, selon Jérôme Brouillet, il existe au niveau européen "un souhait très fort que tout le monde paye sa tonne de CO2 de la même façon", on relèvera que la commission Envi du Parlement européen a pris le soin d’exclure du nouveau marché carbone en discussion – texte rejeté par le Parlement européen le 8 juin, et qui sera à nouveau discuté en juillet – le chauffage et le carburant des voitures des particuliers… "Le seul point de désaccord, mais un vrai point de désaccord avec la Commission", précisait Pascal Canfin quelques minutes seulement après le vote, qui n’a jamais dissimulé ses craintes sur le caractère "très risqué sur le plan social" d’une telle mesure (voir notre article du 15 juillet 2021). Prouvant ainsi que d’aucuns ont bien compris que comme Paris n’est pas la France, Bruxelles n’est pas l’Europe.

 

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis