Commerces - Organisation du commerce : la logique intercommunale sera-t-elle meilleure ?
Toutes les politiques publiques de régulation du commerce ont échoué à freiner le développement des surfaces commerciales, avec leur lot d'effets néfastes : déséquilibres territoriaux, affaiblissement des centres-ville, impacts environnementaux… Les collectivités ont largement contribué à ce mouvement notamment par le jeu de la compétition territoriale, dans le souci d'accroître l'attractivité de leur territoire, de créer des emplois et d'éviter les évasions commerciales vers d'autres territoires. Une vision court-termiste. Pour l'Assemblée des communautés de France (AdCF) et l'Institut pour la ville et le commerce (IVC), qui organisaient le 16 septembre 2016 un colloque sur le sujet, "Commerce et territoires : la nouvelle donne pour les collectivités et les acteurs privés", il est urgent de raisonner à une autre échelle. Le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI), issu de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové du 24 mars 2014, et la nouvelle politique locale de commerce, issue de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (Notr) du 7 août 2016, que doivent mettre en œuvre les communautés de communes et d'agglomération, leur apparaissent comme de bons outils.
"Il faut réinventer la place du commerce dans la ville et que le commerce redevienne un levier de développement économique, mais cela ne se fera pas à l'échelle des chapelles mais plutôt à l'échelle des bassins de consommation", a ainsi insisté Pascal Madry, directeur de l'IVC. Tiraillés entre les sirènes de la grande distribution et le souci de l'aménagement de leur territoire, les maires sont parfois dépourvus. Or les directives ne sont pas toujours très claires dans ce domaine avec, comme l'a détaillé Philippe Schmit, délégué général adjoint de l'AdCF, deux logiques contradictoires qui s'affrontent : une logique territoriale et une logique entrepreneuriale. S'ajoute à la situation, un pilotage gouvernemental "en trompe l'œil". "Il y a en effet souvent des orientations divergentes entre ministères au sein d'un même gouvernement", a ainsi affirmé Philippe Schmit, regrettant qu'il n'y ait pas eu de loi dédiée à l'urbanisme commercial depuis 1996 (loi Raffarin) contrairement aux engagements du gouvernement en 2009…
"Nous créons plus de surfaces que la consommation n'est capable d'absorber"
Les politiques publiques ont tenté d'endiguer l'augmentation fulgurante des grandes surfaces avec un régime de demande d'autorisation préalable, actuellement en vigueur pour les surfaces de vente supérieures à 1.000 m2. Mais il s'agit d'une "police de concurrence pour réguler un modèle extensif et non pas de l'urbanisme", a nuancé le directeur de l'IVC. "Ce n'est pas avec un frein que l'on va faire du commerce un véritable outil de développement." Les demandes d'autorisation trouvent très souvent une issue positive. D'après Philippe Schmit, 90% des demandes portées en CDAC*, qui les traitent au niveau local, obtiennent ainsi une réponse positive. Très rares sont les études sur l'impact en termes d'emplois créés et d'emplois détruits. En témoigne la polémique suscitée par les 11.800 emplois promis par le projet titanesque Europacity !
Résultat : "Nous créons plus de surfaces que la consommation n'est capable d'absorber, a expliqué Pascal Madry, et depuis le milieu des années 1990, il y a un découplage croissant entre les créations de surfaces commerciales et l'évolution de la consommation."
Le nombre de mètres carrés de surfaces commerciales autorisées chaque année en France, selon les différents régimes d'urbanisme commercial (CDUC en 1974, CDEC en 1996, CDAC depuis 2008*) a progressé de façon exponentielle, notamment entre 2001 et 2008 (on est passé de près de 2,5 millions de m2 en 2001 à plus de 3,7 millions en 2008). Par la suite, et avec l'effet de la loi de modernisation de l'économie (LME) de 2008, de l'essor des drives, et, en 2015, de la réforme de l'urbanisme commercial, le nombre de mètres carrés a fluctué. En 2015, il s'élève à un peu plus de 1,25 million.
Il semble bien qu'il y ait une spécificité française. La densité de supermarchés par habitant est en effet largement plus élevée en France qu'ailleurs en Europe : 1,5 supermarché pour 10.000 habitants en France, contre 1,3 au Royaume-Uni et 0,3 aux Pays-Bas ou encore 0,2 en Grèce. "Les CDAC sont des 'machines à dire oui' et en même temps on veut tout faire pour sauver les commerces de centre-ville, c'est un paradoxe alors qu'on a tous les outils à disposition, comme les plans locaux d'urbanisme et les schémas de cohérence territoriale !", s'est exclamé Sébastien Martin, président du Grand Chalon.
Ces dernières années, de nombreuses initiatives ont été lancées pour sauver le commerce de proximité et de centre-ville, comme le plan gouvernemental de revitalisation des centres-bourgs, ou encore les conventions "centre-ville de demain" propres à la Caisse des Dépôts. On pourrait encore citer le premier "centre-ville-dating" organisé en juin 2016 à Rennes par l'association Centre-Ville en Mouvement. Toutes traduisent une véritable prise de conscience. Mais "le PLUI permet de ne plus laisser le maire seul face à ses choix et de le placer dans une démarche territoriale", a insisté Sébastien Martin.
Une logique de "cannibale"
A l'heure actuelle, "on attend de voir quelle sera la tendance", a expliqué Pascal Madry. Depuis 2008, la loi LME a changé les seuils d'autorisation (de 300 m2 à 1.000 m2) et provoqué une baisse du volume de surfaces commerciales. Mais, selon lui, cette baisse est davantage le résultat d'un effet statistique, les petites opérations n'étant plus comptabilisées. De même le boom des drives (3.000 entre 2012 et 2014) n'est pas davantage pris en compte. Enfin, l'attentisme des opérateurs suite à la réforme de la loi du 18 juin 2014 relative à artisanat, aux commerces et aux très petites entreprises (loi Pinel) brouillent aussi les pistes. Il faudra attendre les chiffres 2016-2017 pour connaître la véritable tendance du marché. "Mais depuis 2000 on n'a jamais autant autorisé de mètres carrés alors que la consommation baisse", a martelé le directeur de l'IVC.
Parallèlement, durant ces vingt dernières années, le secteur s'est concentré : il y a de moins en moins de magasins et les lieux de vente se concentrent en périphérie (70% en périphérie contre 17% en centre-ville). Autres problématiques : les rendements sont à la baisse et les loyers en augmentation.
En résulte le passage d'une logique de chasseur à une logique de "cannibale", où l'enjeu est de conquérir des parts de marché sur le dos d'autres opérateurs. "Nous avions d'abord une crise économique sectorielle, a encore souligné Pascal Madry, il s'agit maintenant d'une crise de territoires."
Mais les communautés de communes et d'agglomération seront-elles en mesure, à travers les PLUI, de mieux réguler le commerce ? D'après une enquête réalisée en août et septembre 2016 par l'AdCF, elles connaissent encore peu les dispositifs à appliquer ou les trouvent insuffisants ou trop complexes. Pour 33% des communautés interrogées, les dispositifs sont ainsi méconnus. 14% les jugent suffisants mais complexes et 15% les considèrent inadaptés. En revanche, 30% des communautés estiment que la nouvelle "politique locale du commerce" issue de la loi Notr est nécessaire pour enclencher une mobilisation sur ce sujet qui est aujourd'hui mal appréhendé, contre 12% qui estime qu'elle restera sans effet car les responsabilités demeureront éclatées et les moyens d'agir mal perçus. La loi a ainsi inscrit dans le libellé de la compétence "développement économique" des communautés de communes et d'agglomération une nouvelle prérogative intitulée "politique locale du commerce et soutien aux activités commerciales d'intérêt communautaire". Elle transfère aussi d'ici le 1er janvier 2017 l'intégralité des zones d'activités économiques, dont les zones d'activités commerciales, aux communautés d'agglomération et de communes, comme c'était déjà le cas pour les communautés urbaines et les métropoles. 16% des communautés estiment que cette nouvelle politique locale de commerce est bienvenue pour conforter sa légitimité et sa responsabilité. L'enquête montre aussi comment interviennent à l'heure actuelle les communautés et métropoles en matière de commerce : principalement par des opérations collectives, comme avec le Fisac (61%), par un avis communautaire avant la CDAC (50%), par le financement d'animations (35%), le soutien à l'artisanat et le commerce (33%), à travers des débats sur l'implantation de centres commerciaux, ou encore par l'observation des dynamiques (27%) et la requalification/redynamisation des zones (26%). Elles interviennent beaucoup moins à travers le droit de préemption (3%) ou le marché d'intérêt national (1%).