Culture - Numérisation des bibliothèques : le Sénat et l'Europe font monter la pression
Alors que Frédéric Mitterrand vient tout juste d'installer la commission de cinq membres, chargée de faire des propositions sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques (voir notre article ci-contre du 21 octobre 2009), la pression est montée d'un cran sur ce sujet sous l'impulsion du Sénat et de la Commission européenne, avec toutefois des approches très différentes.
Du côté du Sénat, c'est la défense de l'intérêt national qui prévaut. La commission des affaires culturelles du Sénat a en effet organisé, le 21 octobre, un débat sur la numérisation des fonds des bibliothèques publiques en France, après avoir auditionné certains des principaux protagonistes du dossier. Comme l'explique le communiqué de la commission à l'issue de cette réunion, les sénateurs ont réaffirmé leur attachement au développement de la diffusion des oeuvres par le biais de leur numérisation et, par conséquent, à la démocratisation de l'accès à la culture. Mais "ils se déclarent unanimement préoccupés par la possibilité que tout un pan de l'accès à la culture soit capté par une multinationale en situation de quasi monopole [Google, NDLR], au risque de voir les intérêts commerciaux prévaloir sur les enjeux nationaux et européens en termes de culture, d'industrie et de démocratie". Jugeant "fondamental que le droit d'auteur soit respecté", la commission des affaires culturelles va poursuivre ses auditions. Elle soutiendra par ailleurs la demande de Jack Ralite, sénateur de Seine-Saint-Denis, d'organiser un débat en séance publique au mois de novembre sur "ce sujet essentiel".
Le son de cloche est assez différent du côté de la Commission européenne. Si le but est le même - préserver et valoriser le patrimoine culturel européen -, les voies envisagées sont assez différentes. La communication sur le droit d'auteur dans l'économie de la connaissance, adoptée par la Commission européenne le même jour que la réunion du Sénat, vise en effet une attitude plus offensive, consistant à accélérer le travail de numérisation. Plutôt que de tenter de contenir Google Books, l'objectif - pour le moins ambitieux - est de le prendre de vitesse. Ainsi que l'a expliqué Viviane Reding, commissaire chargée de la société de l'information et des médias, "si nous agissons rapidement, des solutions européennes créant un environnement concurrentiel pour la numérisation des livres pourraient fonctionner plus tôt que celles qui sont actuellement envisagées aux Etats-Unis avec l'accord sur Google Books". La Commission entend donc agir dans plusieurs directions. D'un côté, elle continue d'attirer l'attention sur les dangers d'une approbation de l'accord conclu avec Google Books (les ouvrages européens numérisés dans des bibliothèques américaines seraient accessibles aux chercheurs et au public américains, mais pas à leurs homologues européens). De l'autre, la Commission entend avancer sur la question de la conservation et de la diffusion numériques. S'appuyant sur le projet Europeana, elle va en particulier prendre part à un dialogue entre parties prenantes pour trouver des solutions viables, afin que des droits puissent être octroyés de façon simple et peu onéreuse pour permettre une numérisation à grande échelle, et pour que les collections de bibliothèques toujours protégées par des droits d'auteur soient mises en ligne. D'autres questions seront également abordées, comme celles des oeuvres orphelines (sans ayants droit connus) et de l'accès des personnes souffrant d'un handicap.
Jean-Noël Escudié / PCA