Réforme territoriale - Manuel Valls : "Le département a toujours un avenir"
"Beaucoup s'y perdent, et je les comprends", avait reconnu le Premier ministre le 10 octobre au congrès de l'Association des régions de France au sujet de la réforme territoriale. Il est vrai que depuis sa déclaration de politique générale du 8 avril - au cours de laquelle il avait annoncé son intention à la fois de "réduire de moitié le nombre de régions", d'instaurer "une nouvelle carte intercommunale" et de supprimer le département –, il s'est passé et s'est dit beaucoup de choses. Ce 28 octobre, Manuel Valls est donc venu s'exprimer devant les sénateurs pour, a-t-il précisé, "clarifier" les choses, "donner du sens" à cette réforme. Cette allocution intervenait, à l'invitation du nouveau président Gérard Larcher, juste avant que les sénateurs n'entament leur seconde lecture du projet de loi sur la délimitation des régions.
En fait, Manuel Valls a fait plus que réexpliquer ce qu'il a déjà été dit depuis plusieurs mois. Il a sensiblement infléchi son discours. La tonalité n'est plus vraiment la même. Presque comme si l'on se rapprochait à nouveau de l'esprit de la réforme telle que dessinée en 2012 et portée par Marylise Lebranchu. Ceci, notamment, en insistant à plusieurs reprises sur la nécessité d'"adapter la réforme" aux "spécificités locales" et de porter une attention particulière aux "territoires fragilisés".
Des compétences départementales "confortées"
En ce qui concerne l'avenir des départements, en tout cas, la donne est nouvelle. Il y a six mois, le Premier ministre disait : "Je vous propose leur suppression à l'horizon 2021" (l'échéance fut ensuite ramenée à 2020). A la mi-septembre, il indiquait envisager "trois cas de figure", dont le maintien du conseil départemental sur certains territoires, principalement ruraux. Or aujourd'hui, il va plus loin : "Entre de grandes régions stratèges et le couple commune-intercommunalité, il faut des échelons intermédiaires pour assurer les solidarités sociales et territoriales. J'en ai conscience et je n'ai cessé de le dire (…) : le rôle des conseils départementaux en matière de protection des populations les plus fragiles et d'aide aux communes doit être préservé".
Au départ, l'idée telle qu'exprimée par le secrétaire d'Etat André Vallini était de "dévitaliser" peu à peu le département en attendant 2020. La formule avait marqué les esprits. Il faudra maintenant en trouver une autre. Manuel Valls a en effet déclaré ce 28 octobre : "Les assemblées départementales qui seront désignées lors des élections des 22 et 29 mars prochains exerceront pleinement leurs compétences de solidarité, si importantes pour nos concitoyens (…). Lors de cette phase de transition – je veux être très clair –, la collectivité départementale pourra même être confortée sur ces compétences de solidarités territoriales et humaines, par exemple en matière d'ingénierie territoriale et d'accès aux services au public." Des responsabilités nouvelles pourraient donc même être confiées aux départements ?
Quel "compromis" sur les collèges et les routes ?
Reste en revanche une question importante sur laquelle le Premier ministre ne s'est pas prononcé : le projet de loi "Notr" sur les compétences, qui sera discuté au Parlement à partir du mois de décembre, prévoit de retirer quatre compétences au département pour les confier à la région – les collèges, les routes, les transports interurbains et les transports scolaires. Le gouvernement serait-il prêt aujourd'hui à renoncer à ces transferts ?
En tout cas, l'Assemblée des départements de France (ADF), qui se réjouit naturellement de constater que "les choses avancent dans le bon sens", va continuer de plaider en faveur du maintien de ces compétences à l'échelle départementale. Selon Claudy Lebreton, le président de l'ADF, le gouvernement pourrait se montrer prêt à en discuter. Le fait que Manuel Valls ait parlé mardi d'un "compromis" entre gouvernement, Assemblée nationale et Sénat serait à ce titre un signe positif. Interrogé par Localtis, Claudy Lebreton précise aussi que le même sort ne sera peut-être pas réservé à chacune de ces quatre compétences. En sachant que les départements seraient sans doute moins hostiles à l'idée de devoir lâcher les transports interurbains que les collèges. Le prochain congrès de l'association la semaine prochaine – les 8 et 9 novembre à Pau –, où Manuel Valls est attendu, pourrait apporter de nouvelles réponses. Le président de l'ADF juge en outre important le fait que la loi vienne "écrire" le rôle du département en matière de solidarités territoriales ainsi que d'ingénierie et de services publics.
Les trois scénarios ne sont pas forcément les bons
Et pour l'après 2020, que prévoit désormais Manuel Valls ? Là encore, beaucoup plus d'ouverture que jusqu'ici. "Après 2020, le paysage territorial aura évolué (...). Alors, peut-être, le cadre départemental pourra évoluer", a dit-il. En précisant que "d'autres initiatives" seront les "bienvenues", telles que "les rapprochements en cours entre conseils départementaux ou une meilleure coordination des intercommunalités".
Il a été plus explicite en répondant aux diverses interventions de sénateurs qui ont suivi son discours : "A partir du moment où l'on crée de grandes régions, ce débat sur un échelon intermédiaire est des plus légitimes", "le département a toujours un avenir", sa suppression pure et simple "ne serait pas une bonne chose pour le pays". Il a aussi invité les élus à profiter des cinq années qui viennent pour "avancer sur toute une série d'expérimentations". Et a même admis, au sujet de ses trois scénarios ("supprimer le département autour d'une grande métropole, conserver les départements à prédominance rurale ou de montagne, faire ailleurs des fédérations d'intercommunalités"), ne pas être "sûr que ce soit la bonne formule", comptant sur le Sénat pour "avancer là-dessus". Les desseins de rapprochements voire fusions de deux départements (les deux Savoies, Drôme et Ardèche…) sont "à manier avec délicatesse", a-t-il toutefois jugé.
Intercommunalité : la souplesse sur le seuil est confirmée
D'autres idées présentées le 7 octobre dernier par l'ADF ont visiblement inspiré le Premier ministre. Y compris celle de supprimer un maximum de syndicats techniques : "leur nombre devra être fortement réduit" et "leurs compétences devront être transférées aux intercommunalités" (il n'a toutefois pas mentionné de transfert, pour certains d'entre eux, aux départements). Les 13.400 syndicats intercommunaux représenteraient aujourd'hui "17 milliards d'euros de budget, dont 9 milliards en fonctionnement".
Au chapitre intercommunal - jugé "consensuel" et placé sous la double volonté de "renforcer le couple commune-intercommunalité" et de "se rapprocher des territoires vécus" -, pas de grande annonce du Premier ministre. Mais la confirmation de ce qu'il a pu dire lors des derniers congrès d'associations d'élus auxquels il a participé (AdCF, maires de montagne) à propos de la question qui fâche : l'assouplissement du seuil de 20.000 habitants que le gouvernement comptait imposer aux EPCI. "Dans de nombreux endroits, le seuil de 20.000 habitants apparaîtra de fait comme un minimum. Dans d'autres, je l'ai dit, il faudra l'adapter et tenir compte du nombre de communes, mais aussi de la densité, de la topographie (…). Nous pourrions donner aux commissions départementales et aux préfets de département un pouvoir de modulation du seuil", a-t-il déclaré aux sénateurs. En répondant à leurs interventions, il a toutefois tenu à les "mettre en garde" contre le "risque de morcellement" de la carte intercommunale. Ce à quoi l'Association des petites villes de France – pour qui les propos du Premier ministre vont globalement "dans le bon sens" – répond qu'il "s’agit avant tout de ne pas rendre ces nouvelles intercommunalités ingouvernables".
Manuel Valls a, aussi, redit son intérêt pour les deux propositions de loi signées Jacques Pélissard et Christine Pirès-Beaune sur les communes nouvelles et s'est à nouveau engagé à ce que la proposition de loi Richard-Sueur sur la composition des conseils communautaires soit "inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale avant la fin de l'année".
La carte à laquelle personne ne croyait...
N'oubliant pas que le sujet à l'ordre du jour était bien la carte régionale, le chef du gouvernement a rappelé que le projet de loi a été adopté "à une large majorité" à l'Assemblée nationale alors que, "honnêtement, personne n'imaginait qu'on puisse voter une nouvelle carte". Les sénateurs Bruno Retailleau et Philippe Bas ayant une nouvelle fois accusé l'exécutif d'avoir dessiné cette carte "sur un coin de table" nuitamment à l'Elysée, il s'est ensuite exclamé : "Et alors ? Vous auriez voulu que je fasse le chemin inverse et consulte les régions une par une ? Il fallait bien qu'il y ait une proposition qui soit mise sur la table !"
A quoi ressemblera finalement cette carte ? Là-dessus, Manuel Valls a fait preuve d'une certaine fermeté, exprimant sa préférence pour la version votée par l'Assemblée. Par rapport à celle que vient de dessiner la commission spéciale du Sénat, celle des députés aurait le mérite de la "clarté".
Quelques heures plus tard d'ailleurs, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, s'est quant à lui montré carrément hostile : "En première lecture, le Sénat a jugé préférable de ne pas tenter de dessiner une carte. En deuxième lecture, votre commission spéciale a finalement accouché d'une carte qui laisse l'Alsace seule et disjoint Midi-Pyrénées du Languedoc-Roussillon. Avec les amendements qui viendront, nous en serons bientôt revenus à 22 régions..."
S'agissant des compétences des régions, Manuel Valls a souligné que leur mission était de "préparer l'avenir", qu'il s'agisse d'éducation, de formation, de transports, d'aménagement du territoire aussi, de développement économique. Sur le terrain économique, il s'est d'ailleurs dit "favorable à de nouveaux transferts de compétences de l'État vers les régions et à l'expérimentation en matière d'accompagnement vers l'emploi". L'Association des régions de France (ARF) s'en est félicitée, y voyant un écho à ses propres propositions. Elle attend toutefois de voir comment ces engagements seront "concrétisés" lors de l’examen parlementaire du projet de loi Notr.
Ce rendez-vous de décembre sera donc étroitement surveillé par les uns et les autres. Car si l'intervention du Premier ministre a répondu à certaines interrogations, a levé des craintes, a quelque peu réorienté les enjeux et oxygéné le débat, elle n'a pas tant clarifié les choses que cela et soulève même de nouvelles questions.