Territoires - Ruralités : la charrue avant les boeufs ?
La mobilisation des "ruraux" serait-elle en train de payer ? Très remontés il y a encore quelques mois contre la tournure que prenait la réforme territoriale, avec la suppression envisagée des départements, ils ont déjà obtenu un certain nombre de concessions qui ont pu se confirmer lors des deux congrès organisés coup sur coup en fin de semaine dernière : celui de l'Anem (Association nationale des élus de la montagne), les 16 et 17 octobre à Chambéry, suivi de celui de l'AMRF (Association des maires ruraux de France), les 18 et 19 octobre, à Nohant-Vic (Indre). Le tout pendant les "Assises de la ruralité " lancées il y a un peu plus d'un mois par Sylvia Pinel, la ministre du Logement, de l'Egalité des territoires et, depuis le dernier remaniement, de la "Ruralité". Comme le réclamaient les élus ruraux depuis deux ans...
Pour séduire le "Parti de la montagne", le gouvernement avait mis les petits plats dans les grands : pas moins de trois ministres ont accompagné le Premier ministre à Chambéry. A cette occasion, Manuel Valls a confirmé le scénario en trois cas de figure qu'il avait présenté lors de son discours de Fère-Champenoise (Marne), le 12 septembre, pour le lancement des assises : fusion du département dans la métropole selon le "modèle lyonnais", fédérations d'intercommunalités là où ces dernières sont fortes, et enfin, maintien d'un conseil départemental en milieu rural. Ce dernier point avait déjà été posé par le Parti radical de gauche comme condition sine qua non pour rester dans le gouvernement lors du dernier remaniement. La menace d'un départ avait à nouveau été brandie ces derniers jours. Mais les tractations conduites avec Matignon ont apporté la garantie qu'une cinquantaine de conseils départementaux seraient maintenus en milieu rural.
L'AMRF appelle les maires à se rassembler le 28 octobre
Malgré ces assurances, l'AMRF reste très prudente. Elle a appelé, samedi, à un rassemblement pour rappeler "le rôle essentiel des maires", le 28 octobre devant le Sénat, lors de la déclaration de Manuel Valls sur la réforme territoriale. Car au-delà du département, c'est l'avenir de la commune qui taraude les élus ruraux qui entendent ainsi dire "non à l'évaporation de la commune dans l'intercommunalité, non à la dissolution du conseil général dans la région". "J'aimerais juste que l'on retrouve le sens originel de la communauté de communes qui est la coopérative des communes et non ce qui à terme doit l'avaler, hier à 5.000, demain à 20.000 et ensuite ?", a martelé le président de l'AMRF, le maire de Gargilesse-Dampierre (Indre), Vanik Berberian, à l'adresse de Sylvia Pinel, unique ministre présente à ce congrès. Pour le moment, la seule concession est celle obtenue par les communes de montagne. En effet, à Chambéry, le Premier ministre a proposé de "combiner le nouveau seuil [de 20.000 habitants pour constituer une intercommunalité, ndlr] avec des critères de nombre de communes ou de densité démographique". Compte tenu de la faible densité démographique de leur territoire, les élus de montagne s'inquiètent de devoir constituer de vastes ensembles pour atteindre ce seuil, en dépit des réalités de terrain (relief, enclavement…). "20.000 habitants n'est pas un seuil réaliste", a insisté Laurent Wauquiez, l'ancien ministre du gouvernement Fillon, député-maire du Puy-en-Velay, qui a été élu président de l'Anem vendredi, succédant ainsi à la députée de l'Ariège Frédérique Massat. Les spécificités de la montagne (qui se traduisent dans plusieurs domaines, comme les indemnités compensatrices pour handicaps naturels en matière agricole) devraient enfin être réactualisées : le Premier ministre a en effet accepté l'idée de préparer une nouvelle loi Montagne pour rénover un texte qui date de 1985 ! Tâche qui incombera au Conseil national de la montagne. Le chantier a d'ailleurs été mis à l'ordre du jour des Assises de la ruralité. Il constitue un changement de pied par rapport à Jean-Marc Ayrault qui, lui, y était défavorable. "La montagne est l'avenir de la France", s'est même laissé aller à déclarer Manuel Valls qui a accédé à une autre demande de l'Anem : la valorisation de l'apport de la montagne dans la fourniture en eau de la nation. "Nous demandons que, dans les dotations d'Etat, soient valorisés les efforts des bassins versants qui apportent leur eau", lui avait demandé Laurent Wauquiez.
Manuel Valls a également apporté son soutien aux éleveurs face à la présence du loup : les décrets d'application de la loi d'avenir sur l'agriculture, promulguée la semaine dernière, devront "faciliter le travail des préfets", a-t-il dit. Dans les endroits particulièrement exposés, la loi autorise les éleveurs à abattre des loups dans des "zones de protection renforcée" délimitées par les préfets pour une durée d'un an maximum.
"Un urbain ne peut plus valoir deux ruraux"
En dehors de ces spécificités liées à la montagne (présence du loup, eau...), les revendications des "ruraux" et des "montagnards" se recoupent, que ce soit sur l'inflation normative, la baisse des dotations de l'Etat ou la présence des services publics en milieu rural. "Comment comprendre qu'un habitant de montagne vaille deux fois moins en termes de DGF qu'un habitant de ville", a ainsi déploré Laurent Wauquiez. "Dans notre pays, un urbain ne peut plus valoir deux ruraux", a pour sa part déclaré Vanik Berberian. Dans un contexte de réduction drastique des dotations, le gouvernement s'est montré prêt à faire un effort dans ce domaine : le projet de budget pour 2015 prévoit en effet une augmentation de 78 millions pour la dotation de solidarité rurale (DSR), ainsi qu'une augmentation de 210 millions d'euros du fonds de péréquation intercommunal et communal (Fpic) l'an prochain, même si la répartition de ce fonds est vivement critiquée (voir encadré ci-dessous).
Mais des deux associations, l'Anem et l'AMRF, cette dernière est celle qui se montre la plus véhémente et la plus méfiante. Comme en témoigne l'intitulé teinté de malice de son congrès : "Un ministère de la Ruralité, pour quoi faire ?" "Soyez certaine aussi, Madame la Ministre, que les élus seront attentifs à ce que ce qui sera donné d'une main ne soit pas repris de l'autre… Ni vu ni connu j't'embrouille", a prévenu Vanik Berberian, à l'attention de Sylvia Pinel. L'édile appelle à changer de regard sur la ruralité et à ne plus concevoir la politique de la ruralité comme une béquille. Or pour lui, le gouvernement met "la charrue avant les bœufs" : "Parler de la réforme territoriale avant de parler de la clarification des compétences est un non-sens. Mais parler de répartition des compétences avant de parler aménagement du territoire est stupide", a-t-il tancé, avant d'ironiser sur les mesures annoncées jusqu'ici en matière d'aménagement du territoire : "5.000 projets de revitalisation de bourgs, c'est un peu chiche", a-t-il pris pour exemple.
Vanik Berberian s'est par ailleurs moqué des "urbains bon teint" qui demandent de "ne pas opposer villes et campagnes". Et de dénoncer l'"hyperconcentration des moyens" en faveur des villes et la politique de "copinage" que cache le discours sur les "saupoudrages" de crédits. Maintenant qu'un ministère de la Ruralité a été institué, à l'instar de la Ville, il propose de décliner les différentes agences de la politique de la ville : "Agence de la ruralité" sur la modèle de l'Acsé, "Agence nationale pour la rénovation rurale" sur celui de l'Anru, contrats ruraux de cohésion sociale… "On le voit, l'Etat sait être imaginatif pour la ville. Nous l'aiderons à l'être pour la campagne."
Michel Tendil
Les stations de montagne rassurées par la révision du calendrier SCOLAIRE
"Les déclarations du Premier ministre ont diminué les inquiétudes que nous avions aujourd'hui, même si celles-ci n'ont pas totalement disparu." Le président de l'Association nationale des maires des stations de montagne (ANMSM) a reçu de manière favorable les annonces de Manuel Valls du 17 octobre 2014, à l'occasion du congrès de l'Association nationale des élus de la montagne (Anem). Pour ces zones de montagne, les dispositions prévues dans le cadre de la réforme territoriale posent de sérieux problèmes, que ce soit le nouveau seuil de 20.000 habitants pour l'intercommunalité, la disparition programmée des conseils généraux en 2021, ou le passage de 22 à 13 régions. "Nos territoires sont vastes, avec peu de population. Avec la réforme, ils vont être sous-représentés par rapport à la puissance qu'ils représentent," explique Charles-Ange Ginesy, interrogé en marge du congrès de l'Anem. Pour régler cette difficulté, le Premier ministre a proposé de combiner le nouveau seuil avec des critères de nombre de communes ou de densité démographique. Il avait proposé la semaine dernière de donner aux commissions départementales et aux préfets de département un pouvoir de modulation du seuil. Une disposition qui sied au président de l'ANMSM. "La montagne, les stations d'hiver, les territoires ruraux avaient besoin d'adaptation à leurs spécificités locales," souligne-t-il.
Autre source de satisfaction : la révision du calendrier des vacances scolaires, qui est considéré actuellement comme un handicap pour les stations de montagne. Jusqu'à maintenant, la ministre de l'Education nationale a refusé d'y toucher, alors que les acteurs de la montagne réclament des vacances de printemps moins tardives et l'instauration d'un zonage en cas de raccourcissement des vacances d'été, pour ne pas pénaliser l'emploi et l'activité. "Le Premier ministre demande à Najat Vallaud-Belkacem de rouvrir le dossier et de rentrer dans la négociation", affirme Charles-Ange Ginesy, insistant sur le discours "pro-montagne" de Manuel Valls, jusqu'à ses déclarations sur le loup. Le Premier ministre a ainsi promis son soutien aux éleveurs dont les animaux sont tués par des loups.
En revanche, l'ANMSM regrette l'absence de déclaration sur le plan financier et notamment sur le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic). "La péréquation horizontale n'est pas forcément la meilleure, assure Charles-Ange Ginesy. Dans ce système, ce sont les maires les plus imaginatifs qui sont punis par leur réussite, contribuant davantage au fonds de péréquation que les autres… Il s'agit plutôt d'une prime au 'découragement' !" L'ANMSM propose de reconsidérer le processus du fonds de péréquation.
Emilie Zapalski