Maisons France Services : "Il faudra investir davantage"
Emmanuel Macron se rend ce mardi dans la maison France Services de Saint-Léonard-de-Noblat (Haute-Vienne), l’une des quelque 2.000 maisons qu’il avait appelées de ses vœux en 2019. Un déploiement rapide et un saut qualitatif qui impliquent d'importants financements, comme en a témoigné une table-ronde organisée par le Cercle pour l'aménagement du territoire. L'occasion aussi de dresser un bilan des schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services au public (SDAASP) hérités de la loi Notr de 2015, qui souffriraient d'un manque de visibilité.
Après la Creuse, lundi, le président de la République poursuit ce mardi 25 janvier son déplacement à la rencontre de la ruralité, notamment en visitant la maisons France Services de Saint-Léonard-de-Noblat, en Haute-Vienne. L'occasion de mettre en avant ce dispositif qu'il avait lui-même appelé de ses voeux en 2019, à la suite de la crise des gilets jaunes. Un nouveau label qui devait traduire une montée en gamme par rapport au dispositif dont il a hérité, les maisons de services au public (MSAP), avec un objectif territorial ambitieux : déployer quelque 2.500 maisons à la fin 2022. Un pari en passe d'être réussi puisqu'on en comptabilise environ 2.000 à ce jour. Alors que la demande de services publics de proximité s'est accentuée encore avec la crise, les maisons France Services pourraient être confrontées à des besoins accrus de financement. C'est en tout cas ce dont a témoigné une table-ronde organisée le 14 janvier par le Cercle pour l'aménagement du territoire (CPAT). Parce qu'"on a franchi un cap qualitatif en termes d’exigence et d’équipements", pour "incarner le nouveau visage du service public, il faudra probablement investir davantage à l’avenir", a signalé Patrick Vautier, directeur adjoint du programme France Services à l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT). Aujourd'hui, elles reçoivent une subvention annuelle de fonctionnement à hauteur de 30.000 euros par an, financée à part égale entre le fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT) et par le fonds national France Services abondé par l'ensemble des opérateurs qui participent au dispositif, sans compter l'intervention de la Banque des Territoires (formation des agents, plateforme numérique, Bus services...). Le budget de fonctionnement consacré aux maisons représente plus du double de ce que recevaient les MSAP du précédent quinquennat.
La question du modèle de ces maisons se pose aussi. "Va-t-on aller vers le modèle canadien, qui consiste à réaliser un réseau de guichets non plus seulement mutualisés mais intégrés, où par exemple la CAF, la Poste, la Mutualité sociale agricole (MSA) sont supprimées au profit d'un guichet unique maison France Services, avec un service informatique unifié ?", a ainsi interrogé Patrick Vautier, qui voit aussi des améliorations à apporter en matière de ressources humaines, pour que le métier d'agent puisse être identifié et mieux valorisé. Des actions pourraient aussi être mises en place pour aller chercher les Français qui en ont le plus besoin, en travaillant notamment avec les grands réseaux caritatifs.
"L’État n’est plus le seul à dire ce qui est bien"
Le label est attribué à des structures qui sont des guichets mutualisés de services publics de proximité ou des guichets de services publics polyvalents. Il intègre neuf partenaires nationaux qui proposent un bouquet de services publics, dont trois ministères et six grands opérateurs*. Il présente des atouts certains. "Il s’agit en effet d’une forme de modernisation : ce label, géré nationalement, est mis à la disposition des territoires, a précisé Patrick Vautier. Il y a une forme d’alliance des élus territoriaux qui, localement, mettent en place leur dispositif en les articulant avec des dispositifs qu’ils avaient peut-être déjà créés. Tout cela fait écho à la décentralisation : l’État n’est plus le seul à dire ce qui est bien, ce qu’il faut faire, partout au même moment." Objectif du maillage : faire en sorte que tous les Français soient à moins de 30 minutes d'une maison France Services. "C'est aussi une forme de retour de certains services publics administratifs, voire de déploiement de services publics, comme Pôle emploi, a assuré Patrick Vautier. Traditionnellement il y a trois ou quatre pôles emploi par département (un en sous-préfecture, plus dans une ou deux villes). Pôle emploi est sans doute l'opérateur le plus heureux de rejoindre France Services, car cela lui permet d'être plus proche de ses publics pour leurs démarches simples, celles qui représentent l'écrasante majorité des opérations."
Schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services au public
Le CPAT a également analysé les schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services au public (SDAASP) qui ont été institués par la loi Notr de 2015. Ces schémas sont élaborés et animés conjointement par la préfecture de département, le conseil départemental, en associant l'ensemble des acteurs et partenaires concernés. Ils permettent d'établir un diagnostic du territoire (recensement de l'offre de services publics existante, avec sa localisation et son accessibilité, analyse des besoins), un programme d'actions sur six ans et un plan de développement et de mutualisation des services pour l'ensemble du territoire départemental. Aujourd'hui, la France est presque entièrement couverte par ces schémas. S'ils permettent d'avoir une vision globale de l'accessibilité des services et de favoriser le dialogue entre les différents intervenants, leur effectivité est questionnée.
Dans un rapport sur l'accès aux services publics dans les territoires ruraux, publié en 2019, la Cour des comptes avait dressé un premier bilan nuancé de leur impact, montrant qu'ils étaient de qualité inégale et que "leur impact risque d'être décevant à l'instar de nombreux dispositifs antérieurs". Le CPAT pointe lui aussi quelques limites au premier rang desquelles un manque d'articulation entre les SDAASP et les autres schémas, en particulier le Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) des régions. "Alors que leurs compétences sont majeures en la matière, les régions ont souvent été peu associées à l'élaboration des schémas", a déploré Gwenaël Doré, chercheur associé à Agro-Paris Tech. Autre limite : la faible consultation de la population. "Dans de nombreux cas, peu d'usagers ont été sollicités", a-t-il constaté. D'après la Cour des comptes, lorsqu'un nombre significatif de réponses a été obtenu, il ne dépasse pas 0,6% de la population départementale. Et parfois les consultations sont limitées aux acteurs institutionnels ou à un nombre marginal d'habitants (53 personnes pour les Vosges, 162 pour la Haute-Saône, 428 en Côte-d'Or).
Une participation insuffisante, voire inexistante des opérateurs
Enfin, si les intercommunalités ont participé à l'élaboration de ces schémas, l'implication des opérateurs a été souvent insuffisante, voire inexistante. "Or, l’association des opérateurs est déterminante pour examiner notamment comment les stratégies d’opérateurs peuvent se combiner entre elles, afin de limiter des effets cumulatifs négatifs sur un territoire donné si plusieurs opérateurs décident en parallèle de s’en désengager, et pour généraliser des expérimentations engagées localement", a expliqué Gwenaël Doré.
Pour pallier ces limites, le chercheur propose d'impliquer davantage les régions et de donner un caractère prescriptif et d'obligation aux SDAASP. "Compte-tenu des limites des dispositifs incitatifs, pour maintenir un minimum de services publics sur un territoire, il apparaît nécessaire de recourir à des mécanismes contraignants qui garantissent l’accès à un socle de services, a insisté Gwenaël Doré, faute de quoi, le risque est l’accroissement des inégalités territoriales en matière de services et notamment la concentration des administrations d’Etat dans les villes les plus peuplées".
* Le ministère de l'Intérieur (démarche carte grise, permis de conduire, carte d'identité, passeport), le ministère des Finances et le ministère de la Justice, Pôle emploi, la CAF, la Cnam, l'assurance vieillesse, la Poste et la Mutualité sociale agricole (MSA).