Redressement productif - M-Real : une "micronationalisation locale temporaire" qui pourrait créer un précédent
"C'est une première, mais il faudra qu'il y en ait une deuxième, une troisième, une quatrième…" C'est ainsi qu'Arnaud Montebourg a présenté l'opération réalisée le 23 janvier 2013 par le conseil général de l'Eure pour sauver la papeterie M-Real. Le ministre du Redressement productif se rendait sur place ce jour-là pour officialiser la reprise du site par le groupe thaïlandais Double A. Une reprise rendue possible par l'intervention du conseil général, à travers une "micronationalisation locale temporaire", comme l'a qualifiée Arnaud Montebourg.
Ce site d'Alizay dans l'Eure appartenait jusqu'alors à un groupe finlandais. Après une première restructuration en 2006, le groupe a d'abord annoncé en décembre 2009 l'arrêt de sa production de pâte à papier, puis en 2011, une fermeture totale si aucune proposition de reprise n'aboutissait. Des discussions ont eu lieu avec deux candidats, Double A et Neoen, filiale du groupe Direct Energie. Mais elles ont trainé en longueur. En avril 2012, le groupe finlandais décide de fermer le site et licencie l'ensemble des salariés. L'intersyndicale accepte ces licenciements en échange de l'autorisation de chercher des repreneurs et de maintenir l'équipement en bon état.
"Cela fait trois ans qu'on se bat, on n'a jamais baissé les bras, explique ainsi à Localtis Thierry Philippot, délégué CGT, le résultat est là. Aujourd'hui, c'est une nouvelle histoire qui recommence sur ce site qui est en activité depuis 58 ans !" Le maire d'Alizay, Gaëtan Levitre, qui était absent le 23 janvier, s'est lui aussi beaucoup battu pour trouver une solution.
"Quand tous les acteurs, politiques, collectivités, salariés, syndicats, se mettent autour d'une table, on trouve une solution, ajoute Thierry Philippot, et cette solution a été la départementalisation temporaire."
Le conseil général de l'Eure a acheté le site industriel temporairement pour le céder, au bout d'une heure, au repreneur, Double A, facilitant ainsi les négociations. "On avait 100 hectares sur le site, je les ai rachetés pour 22 millions d'euros, puis je les ai coupés et revendus pour 18 millions d'euros", explique Jean-Louis Destans, président du conseil général. L'élu compte sur les retombées des projets industriels installés sur le domaine du conseil général, ou plus exactement de l'établissement public foncier de Normandie. Un projet de port fluvial est déjà dans les tuyaux.
Une opération "originale et singulière"
La plus grande partie du site a été revendue à Double A, qui compte sur le marché français, européen, voire du Moyen-Orient pour se développer, et à l'énergéticien Neoen, qui va récupérer les chaudières pour produire de l'électricité verte, à partir de la biomasse. Entre 150 et 200 salariés devraient être affectés à ces projets, et 250 à terme, sur les 330 salariés que comptait le site. "Ce n'est pas une réussite totale, a tempéré Arnaud Montebourg, puisque l'ensemble des salariés ne sera pas repris."
De leur côté, les syndicats espèrent une reprise d'activité du site rapide, autour des mois de mai et juin 2013.
Cette opération "originale et singulière", comme l'a qualifiée durant l'officialisation Jean-Louis Destans, n'est toutefois pas une véritable première. D'après Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des départements de France (ADF), ce genre d'intervention est en effet plus fréquent qu'on ne le pense, mais se fait en général en toute discrétion. Le coup de projecteur donné le 23 janvier sur cette départementalisation est semble-t-il le signe de la volonté politique de voir les collectivités intervenir davantage dans ce genre d'opération. "Tous les moyens pragmatiques et efficaces doivent être recherchés et employés, a précisé Arnaud Montebourg, et l'intervention du département de l'Eure doit créer un précédent. Cette question sera débattue à l'occasion des discussions autour de l'acte III de la décentralisation, pour voir comment on peut améliorer les outils d'intervention des collectivités locales."
La possibilité pour les régions d'entrer dans le capital d'entreprises a déjà été évoquée par la ministre chargée de la décentralisation, Marilyse Lebranchu. En 2009, la région Poitou-Charentes avait décidé de prendre les devants, en entrant au capital de l'entreprise Heuliez Véhicule Electrique, filiale du groupe Heuliez. Mais l'opération a nécessité du temps, des négociations, et une autorisation par décret du Conseil d'Etat, puisqu'il s'agissait d'une participation directe de la région au capital d'une société privée, une première dans le genre… "L'Etat n'est pas en retard dans ce domaine, a souhaité préciser le ministre, puisque la Banque publique d'investissement (BPI), qui est dotée de 42 milliards d'euros, va donner la possibilité de prendre temporairement une majorité dans le capital d'une entreprise, avant une reprise par un acteur privé."
D'autres dossiers en quête de solutions
La future loi sur la reprise de sites rentables, qui est annoncée depuis des mois, devrait aussi donner des possibilités nouvelles. Alors qu'un premier projet de loi d'Arnaud Montebourg présenté aux syndicats début septembre a semble-t-il été enterré, le chantier est désormais entre les mains de la commission des affaires économiques de l'Assemblée. François Brottes, député PS de l'Isère et président de la commission, est chargé de la rédaction du texte. Celui-ci consisterait à obliger une entreprise à chercher des repreneurs en cas de fermeture d'un site. Il pourrait être discuté courant mars ou avril 2013 par le Parlement. La question pourrait aussi indirectement figurer dans la future loi sur l'Economie sociale et solidaire (ESS) annoncée pour la fin du premier semestre 2013, puisque les propositions formulées le 22 janvier par le Conseil économique, social et environnemental (Cese), ont été favorablement accueillies par Benoît Hamon, le ministre délégué à l'ESS. Le Cese préconise la création d'un "droit de reprise préférentiel aux salariés", sous forme de société coopérative et participative (Scop), pour prévenir l'arrivée de "fonds prédateurs".
Autant de solutions attendues avec impatience sur le terrain. A Florange, les salariés ArcelorMittal cherchent toujours à éviter la fermeture du site sidérurgique. Ils ont manifesté le 23 janvier devant l'Elysée pour demander à nouveau une nationalisation du site.
Autre dossier en cours, plus proche de l'Eure cette fois-ci : la raffinerie de Petit-Couronne (Seine-Maritime), un site menacé de liquidation après la faillite de sa maison-mère suisse Petroplus. Sur le sujet, les responsables CGT qui se sont mobilisés pour M-Real, sont déjà sur les rangs. "On espère que les pouvoirs publics seront avec eux car on ne doit pas laisser aux actionnaires le choix de décider de fermer une usine, prévient Thierry Philippot, il faut rester vigilant."