Economie - L'Outre-Mer peine à repartir
Presque deux ans après la promulgation de la loi pour le développement économique des outre-mer (Lodeom), en mai 2009, est-il possible de dresser un premier bilan ? Cette loi avait pour objet la stimulation tous azimuts du tissu économique et social ultramarin, grâce à un paquet varié de mesures : soutien au pouvoir d'achat, défiscalisation des particuliers et des entreprises investissant dans les départements et collectivités d'outre-mer (DOM-COM), création de zones franches, développement du logement social...
Premier constat : un tiers des actes et décrets d'application de la loi n'ont toujours pas été pris, ou l'ont été trop récemment pour faire sentir leur impact. C'est ce que révèle un rapport réalisé en septembre 2010, au nom de la commission des finances de l'Assemblée, par les députés Claude Bartolone (Seine Saint-Denis, PS) et Gaël Yanno (Nouvelle-Calédonie, UMP). Ainsi l'aide au fret, destinée à subventionner les importations de matières premières et les exportations de produits finis, n'est applicable que depuis le 29 décembre 2010. De même, le fonds de continuité territoriale, apportant une aide à la mobilité des résidents d'outre-mer, vient tout juste de démarrer : son décret d'application date du 18 novembre 2010.
Nombreux retards dans la mise en oeuvre
Autre exemple : le législateur, motivé par les événements sociaux agitant les DOM, au début de l'année 2009, avait inséré dans la Lodeom la possibilité pour le gouvernement de réglementer le prix des produits de première nécessité. Une décision qui devait s'appuyer sur la publication trimestrielle de comparatifs avec la métropole, par des observatoires des prix et des revenus (OPR) rendus plus autonomes. Or, si la réforme des OPR a été menée à bien, ceux-ci n'ont pas encore les moyens d'un examen trimestriel des prix. Et aucune réglementation n'est jusqu'à présent intervenue, malgré des écarts toujours aussi importants. En mars 2010, selon l'Insee, les prix à la consommation étaient plus élevés de 9,7%, en Martinique, par rapport à la métropole. Ils étaient supérieurs de 8,3% en Guadeloupe, de 13% en Guyane et de 6,2% à la Réunion (voir aussi notre encadré).
Parmi les mesures de la loi Lodeom entrées en vigueur, la création de zones franches d'activité (ZFA) dans les DOM était l'une des plus attendues. Il s'agit d'un dispositif à deux niveaux : des abattements d'impôt et de taxes pour les PME relevant de certains secteurs d'activité et des abattements bonifiés pour toutes les entreprises exerçant dans certaines zones géographiques ou secteurs jugés prioritaires. En 2009, le gouvernement annonçait que 40.000 entreprises seraient éligibles aux ZFA, pour un dégrèvement total atteignant 250 millions d'euros par an. Sur place, les entreprises sont encore en phase de découverte du mécanisme, avec ses nombreux rouages et restrictions. "Le dispositif des ZFA est optionnel au regard de celui prévu pour les entreprises nouvelles (ZFR), les zones franches urbaines (ZFU), les entreprises industrielles en difficulté ou encore le secteur de la pêche et de l'agriculture. Il ajoute au mille-feuille d'exonérations fiscales dont on peut douter de l'efficacité immédiate", estime Charles François, commissaire aux comptes en Guadeloupe. Avant de rappeler qu'après les mouvements sociaux de 2009 et la crise mondiale, peu d'entreprises ultramarines affichent un bénéfice, et donc un intérêt immédiat pour l'abattement sur les bénéfices. "Ne valait-il pas mieux privilégier le développement du chiffre d'affaires des entreprises par l'augmentation des marchés ?", s'interroge Charles François. Pour sa part, Marie-Luce Penchard, la ministre en charge de l'outre-mer, demande du temps. "La Lodeom n'a pas encore produit ses effets, les décrets étant parus seulement fin 2009. Lorsqu'elle a été votée, on savait déjà que l'impact des zones franches et des secteurs prioritaires ne serait sensible qu'à partir de 2011 et 2012", déclarait-elle, en juin 2010, à la commission des finances du Sénat.
Logement social à dégripper
Autre mesure phare de la Lodeom : le développement de la construction de logement pour les plus modestes, grâce à la réorientation des dispositifs de défiscalisation (notamment les lois Girardin et Scellier) en faveur du logement social. Le rapport de Claude Bartolone et de Gaël Yanno reprend une critique de nombreux professionnels ultramarins du logement social : ce qui est accordé d'un côté, par le biais de la défiscalisation, serait repris de l'autre, sur la ligne budgétaire unique (LBU), c'est-à-dire les subventions directes de l'Etat. Un procédé favorisé par une circulaire du ministère de l'Outre-Mer, en date du 1er juin 2010 : "Sauf cas particuliers, le recours à la défiscalisation doit conduire à une modération de la subvention voire à une absence totale de subvention." Et comme la défiscalisation est soumise à une procédure d'agrément longue et complexe, le logement social outre-mer aurait pour l'instant plus perdu que gagné dans l'opération. Ce que traduisait René-Paul Victoria, député de la Réunion (apparenté UMP), le 3 novembre dernier à l'Assemblée nationale : "La construction des logements sociaux a connu un net ralentissement. Avec le nouveau système de défiscalisation, les bailleurs sociaux rencontrent quelques difficultés pour obtenir les agréments. En 2010, 5.100 demandes de financement ont été demandées ; à peine 3.400 logements seront financés par le mécanisme du cumul LBU-défiscalisation." Il est rejoint dans cette analyse par Bernard Hopital, président de l'Union sociale de l'habitat outre-mer : "L'Etat a étendu la défiscalisation aux logements sociaux. Pour cela, il a été prévu que l'on conserve la ligne budgétaire unique (LBU), ce qui nous permet de construire des logements à moindre frais. Or depuis quelque temps, il y a un blocage entre la direction des finances publiques à Paris et la DDE. L'un dit vouloir donner son accord en fonction de l'autre, et c'est ainsi que nos dossiers sont bloqués." Face à ces critiques, Marie-Luce Penchard insiste sur la nécessité d'affecter LBU et défiscalisation à des projets distincts, permettant des constructions en plus grand nombre, plutôt que de cumuler les deux financements sur un même logement, ce qui pourrait inciter le constructeur à augmenter ses prix, et le promoteur à accroître sa marge. La ministre promet en tout cas une simplification administrative. "J'entends les critiques sur la complexité des procédures de défiscalisation. Elles sont pour partie inhérentes à l'instauration d'un nouveau dispositif ; elles sont également en partie justifiées (...) J'ai demandé à la délégation générale à l'outre-mer de réfléchir, en relation avec les services du ministère du Budget, aux nouvelles mesures de simplification dans les procédures d'instruction qui pourraient être prises pour réduire les délais", a-t-elle indiqué récemment à l'Assemblée nationale.
Gel du solaire
Au moins le logement social a-t-il échappé au coup de rabot fiscal opéré sur les niches, ce qui n'est pas le cas d'autres domaines érigés en priorité par la Lodeom. En particulier l'industrie photovoltaïque, l'un des piliers de l'économie ultramarine, qui figurait parmi les secteurs éligibles au régime "ZFA bonifiée". Un avantage annulé, dans le projet de loi de finances 2011, par la réduction drastique des aides et de la défiscalisation en faveur de l'énergie solaire dans les DOM. "L'arrêt de cette mesure [la défiscalisation, NDLR] équivaudrait à l'effondrement du programme énergétique de la Polynésie française et à la mort annoncée de la filière photovoltaïque", dénonce le Syndicat polynésien des énergies renouvelables (SPEP). Vive inquiétude également à la Fédération des entreprises d'outre-mer (Fedom), par la voix de son président, Guy Dupont : "Pourquoi casser une filière qui marche ?"
Impact positif, en revanche, pour les mesures ciblées, simples et aisées à mettre en oeuvre, que prévoyait la Lodeom. Tel le fort relèvement de la prime "bagasse", versée aux planteurs de canne à sucre pour les résidus de canne (la bagasse), utilisés ensuite comme biomasse dans les centrales thermiques. "La prime bagasse a donné un nouveau souffle à la filière de la canne à sucre, notamment à la Réunion où l'on estime à 17% l'augmentation du revenu des planteurs depuis que cette mesure s'est traduite dans les faits", déclarait Marie-Luce Penchard, le 20 janvier 2011.
Dans la globalité, cependant, il est encore difficile d'évaluer précisément les effets de la Lodeom. Une chose est certaine : l'économie ultramarine reste fragile. Dans une lettre adressée en septembre 2010 à Christine Lagarde, la ministre de l'Economie, le Medef Martinique dresse ce constat : "Alors que depuis une dizaine d'années, les PIB des départements d'outre-mer connaissaient une croissance supérieur à 4%, les PIB ont reculé l'an passé [en 2009, NDLR] de plus de 6% aux Antilles et de près de 3% à la Réunion, et les taux de chômage y sont repassés au-dessus de 25%." De fait, selon l'Insee, les taux de chômage, au deuxième trimestre 2010, sont parmi les plus hauts de l'Union européenne : 23,8% en Guadeloupe (+1,5 point sur un an), 21% en Martinique et en Guyane (stable), 28,9% à la Réunion (+ 1,4 point). Même si le moral des chefs d'entreprise ultramarins semble peu à peu s'améliorer (voir ci-dessous), la route est encore longue jusqu'au niveau d'avant-crise.
Paul Arguin
Léger mieux en outre-mer
Selon la dernière note conjoncturelle de l'Ieom/Iedom (Instituts d'émission d'outre-mer et des départements d'outre-mer), l'économie ultramarine "fait état d'un redressement à défaut d'une franche reprise". L'institut se fonde sur l'indicateur du climat des affaires (ICA), qui montre pour le quatrième trimestre 2010 des prévisions moins pessimistes de la part des chefs d'entreprise, même s'il reste en dessous de sa moyenne de long terme. Par ailleurs l'Ieom/Iedom note que la hausse des prix à la consommation est restée contenue au dernier trimestre 2010, après une accélération lors des trois premiers trimestres. En glissement annuel, les prix en outre-mer ont augmenté de 2,2%, entre décembre 2009 et 2010, contre une hausse de 1,8% en métropole. Cette hausse moyenne cache cependant de fortes disparités régionales : de +3,3% en Guadeloupe à +0,4 % en Guyane. Enfin le chômage a progressé moins vite au quatrième trimestre. Le nombre de demandeurs d'emploi a augmenté de 7,9%, en décembre 2010, alors qu'il avait flambé de 17,7 % en décembre 2009. "Cela ne doit cependant pas masquer le fait que ces géographies enregistrent pour la plupart des niveaux records de nombres de demandeurs d’emploi", observe l'institut.
P.A.