L’Opecst s’empare du sujet des micropolluants dans l’eau
L’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) organisait, ce 8 juin, une première audition publique sur la surveillance et les impacts des micropolluants de l’eau, dont plusieurs études récentes ont fait état d’analyses préoccupantes, en particulier pour certaines substances (PFAS, résidus de pesticides et de médicaments). Divers leviers d’actions existent pour renforcer les outils de surveillance mais la prévention à la source apparaît préférable à la mise en œuvre de solutions curatives au regard du très grand nombre de substances impliquées, toujours plus nombreuses.
Saisi par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a consacré ce 8 juin, une matinée d’audition publique, sous la forme de deux tables rondes, à la surveillance des différents micropolluants de l’eau et leurs conséquences sur l’environnement et la santé humaine. Deux rapports - l’un sur le chlordécone aux Antilles, l’autre sur la pollution plastique - ont d’ores et déjà montré l’intérêt de l’Office sur ces questions.
Près de trois heures d’échanges autour de chercheurs, universitaires et représentants des directions des ministères concernés n’auront pas suffit à faire le tour de ce sujet d’actualité brûlant. Ce n’est qu’une "première étape", remarque la députée Christine Arrighi en qualité de rapporteur aux cotés de la sénatrice Angèle Préville, et la réflexion pourrait pourquoi pas déboucher sur un "Giec de la pollution chimique", comme le suggère l’un des participants, Yves Lévi, professeur émérite à la Faculté de Pharmacie de l’Université Paris-Saclay. L’exposome - ce concept tenant compte de l’ensemble des expositions environnementales tout au long de la vie - exige selon lui un "programme fédérateur et des moyens adaptés à l’enjeu" pour rompre avec une vision au "coup par coup" par source d’exposition.
Des métabolites de pesticides dans les radars
Dernièrement, c’est le métabolite du chlorothalonil, un fongicide interdit en France depuis 2020, qui a focalisé l’attention des experts suite à un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) relevant la pollution de l’eau potable par ce résidus. Son laboratoire d’hydrologie à Nancy mène régulièrement des campagnes pour mesurer la présence de composés émergents (non réglementés) qui ne sont pas ou peu recherchés lors des contrôles sanitaires réguliers, et notamment 157 pesticides et leurs métabolites (sous-produits de dégradation et de réaction).
Pour François Veillerette, porte-parole de Générations Futures, "c’est une faillite totale du suivi post homologation pour cette molécule". "On sait depuis 2006 par la Commission européenne que le chlorothalonil a la capacité de produire des métabolites en quantité importante. Or aucune recherche probante sur la toxicité des métabolites n’a été conduite et la recherche de ces métabolites dans les eaux est très récente", déplore-t-il. D’autant que la situation "n’est guère meilleure pour d’autres comme dans le cas du S-métolachlore, autre substance cancérigène".
C’est aussi le signe de la persistance dans l'environnement de résidus de pesticides même longtemps après la fin de leur utilisation. Les pesticides - et en particulier l’atrazine, un herbicide interdit depuis 2003 - "sont aujourd’hui la première cause de déclassement du bon état des eaux souterraines", rappelle Marie-Laure Métayer, adjointe au directeur de l'eau et de la biodiversité (ministère de la Transition écologique). Certains micropolluants restent réfractaires aux traitements, il apparaît donc indispensable de "prévenir les pollutions à la source", insiste-t-elle.
"Plus on cherche plus on trouve"
100.000 substances chimiques sont commercialisées en Europe (dont 30.000 en quantité supérieure à 1 tonne/an). Et seulement autour de 700 sont surveillés régulièrement en France. En réalité, on en détecte jusqu’à 350.000 dans l’environnement mais il y en a une grande partie, "probablement des millions", encore inconnue, souligne Hélène Budzinski, chimiste, directrice de recherche CNRS et membre du conseil scientifique de l’Office.
Les chiffres rappelés sont alarmants : la production de produits chimiques a été multipliée par 50 depuis 1950 (et devrait encore tripler dans les projections d’ici 2050) et celle de plastique a augmenté à elle seule de 79% entre 2000 et 2015. Les progrès techniques et méthodologiques ont parallèlement permis de multiplier le nombre de substances analysables et d’adresser de faibles doses de concentration (nanogramme/litre). Résidus de médicaments, de pesticides, d’hydrocarbures, de métaux, de détergents, de plastique ou de perfluorés, dont la liste est exponentielle, finissent tous in fine dans les cours d’eau et les océans, et peuvent engendrer des effets nocifs sur les organismes vivants à très faibles doses en raison de leur toxicité et de la bioaccumulation.
"Avec le changement climatique, la situation sera aggravée puisque l’on va avoir une concentration des polluants et une accentuation de la dégradation des produits", remarque la chercheuse, tout en insistant sur la nécessité "de prioriser les listes de composés pertinents à suivre". Un exercice complexe…"Il nous faut impérativement, selon elle, objectiver les tendances à long terme mais en même temps suivre les événements très ponctuels et extrêmes parce qu’on sait qu’ils sont vecteurs de pollution de façon très conséquente".
Surveillance des PFAS : pas avant 2026 pour l’eau potable
En France, les actions pour lutter contre les micropolluants sont déclinées dans un plan national qui a couvert la période 2016-2021. Le troisième opus est en préparation et vise à établir une meilleure connaissance de ces micropolluants et agir pour les réduire à la source. Ce sera également une priorité du 12e programme des agences de l’eau qui démarre en 2025 avec un focus microplastiques.
Un plan d’actions ministériel pour lutter contre les PFAS (les per- et polyfluoroalkylées dits "polluants éternels") désormais dans le collimateur des pouvoirs publics a par ailleurs été publié en janvier dernier. Les PFAS font aussi partie des nouveaux paramètres introduits à l’occasion de la refonte de la directive 2020/2184 "eau potable" transposée en droit français par l’ordonnance n°2022-1611 du 22 décembre 2022 et par ses deux décrets d’application du 29 décembre 2022. La limite de qualité, introduite dans le cadre réglementaire dès 2023, permet aux autorités sanitaires locales de disposer "d’une valeur de gestion" en cas de recherche anticipée mise en place en fonction des contextes locaux et de détection.
L’intégration dans le contrôle sanitaire se fera toutefois "au plus tard au 1er janvier 2026", le temps nécessaire pour que les laboratoires montent en compétences, expliquent Laurence Caté et Béatrice Jedor, adjointe à la cheffe du bureau de la qualité des eaux. Sans attendre, plusieurs agences régionales de santé (ARS) suivent déjà ces molécules. La prochaine campagne exploratoire de l’Anses, qui va démarrer début 2024, comprendra également les 20 PFAS ciblés par la directive 2020/2184, quelques pesticides et des approches non ciblées sur des molécules pas encore identifiées. Christophe Rosin, chef de l’unité chimie des eaux au laboratoire d’hydrologie, reconnaît toutefois un calendrier "difficilement compressible à moins de deux ans" et une méthode d’échantillonnage qui "n’exclut pas le risque de passer à coté de sites fortement impactés".
Dans la proposition de révision de la directive cadre sur l’Eau (DCE), 24 PFAS sont indiqués comme substances prioritaires à surveiller. A l’échelle nationale, dans le cadre du programme de surveillance de l’état des eaux, révisé par l’arrêté du 26 avril 2022, le PFO et uniquement quatre PFAS sont surveillés dans les eaux de surface. D’autres le sont occasionnellement notamment par les agences de l’eau à l’échelle des bassins. Pour les eaux souterraines, les 20 PFAS listés par la directive 2020/2184 sont à présent recherchés.