Polluants éternels : Générations futures dépose des plaintes dans trois régions pour atteinte à l’environnement

Peu satisfaite des réponses apportées par les services de l'État, l'association Générations futures a décidé de déposer des plaintes dans trois régions avec l’espoir que la justice rendra ainsi visible des données sur les PFAS, dits "polluants éternels", qui, aujourd’hui, ne sont pas accessibles. Ces plaintes visent, entre autres, des faits de pollution des eaux et d’atteinte à l’environnement et aux poissons, notamment dans la rivière Oise où l’ONG a prélevé ses propres échantillons au niveau de la plateforme chimique de Villers-Saint-Paul.

À l’origine de plusieurs rapports montrant la présence des "polluants éternels" ou PFAS dans des emballages alimentaires ou les eaux de surface, ces composés chimiques extrêmement persistants qui peuvent être particulièrement nocifs pour la santé humaine, Générations futures a annoncé ce 5 juin, lors d’un point presse, son intention "d’aller plus loin" en déposant des plaintes contre X adressées aux procureurs de la République (pôle régional environnemental - tribunal judiciaire) dans trois régions. Des zones géographiques particulièrement concernées par la pollution aux perfluorés par la présence d’unités de production ou d’utilisation de PFAS, et qui ressortent entre autres sur la carte du "Forever Pollution Project" révélée par le journal Le Monde en février dernier.

C’est le cas pour l’usine Solvayen en Bourgogne-France-Comté, implantée à Tavaux (Jura), qui fait partie des cinq producteurs de PFAS en France identifiés par l’enquête journalistique. Pour les Pays de la Loire, les données de la zone de Paimboeuf (Loire- Atlantique) montrant la présence de PFOS (sulfonate de perfluorooctane) proviennent des résultats présentés dans le récent rapport de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD). Et s’agissant des Hauts-de-France, sur la zone de Verneuil-en-Halatte et Villers-Saint-Paul (Oise), pour laquelle une plainte est également déposée, l’ONG s’appuie sur de nouvelles analyses d’eau qu’elle a réalisées elle-même au mois d’avril sur la rivière Oise. 

De nombreux PFAS dans la rivière Oise

Les échantillons d’eau de la rivière au niveau de la plateforme chimique de Villers Saint Paul ont révélé "la présence en quantité très importante de nombreux PFAS différents" (jusqu’à 14 au même point de prélèvement) et "des concentrations toujours importantes de ces PFAS" plusieurs centaines de mètres en aval de l’exutoire industriel. Ces analyses n'ont pas montré de pollution significative par les PFOS mais une forte contamination particulièrement préoccupante par d'autres PFAS, dont le composé 6:2 FTS, qui est de loin la substance la plus émise (avec un pic à 3000 ng/l au niveau du point de rejet).

Là où se font principalement les rejets industriels (exutoire), les concentrations en PFAS grimpent à 4.200 ng/l, c’est-à-dire à un niveau "plus de 500 fois supérieur" aux relevés très bas retrouvés en amont du site (de l’ordre de 7,5 ng/l). À 450 mètres en aval du site, la concentration "est encore de 1.100 ng/l". "C'est très important et correspond à peu près au même niveau de pollution relevé par l’Anses dans une étude de 2013", précise François Veillerette de Générations futures. Aussi s’étonne-t-il que "la situation ne se soit pas améliorée en une décennie et que l’Oise constitue encore aujourd’hui un des points les plus pollués de France par les PFAS".

Pour repère, sur la carte publiée par le Monde, les "points chauds" de la pollution des cours d’eau par les PFAS commencent à la concentration de 100 ng/l. Et pourtant, "les élus municipaux de la commune semblent ne pas avoir été mis au courant de cette pollution", relève l'ONG, qui questionne l’efficacité des textes encadrant la surveillance des PFAS dans l’environnement. Dans cette partie de l'Oise sont notamment installés des sites industriels du groupe américain Chemours mais aussi Arkema ou Dow. "On ne cible pas d'entreprise en particulier, on porte plainte contre X" et "maintenant c'est à la justice de faire le travail pour faire remonter les responsabilités", indique François Veillerette. 

Plusieurs infractions visées

Les trois plaintes déposées par l’ONG sont fondées sur cinq infractions : atteintes à l'environnement aquatique d’une part, et aux poissons d’autre part, délits de dégradation substantielle de la qualité de l'eau, de pollution aggravée des eaux et de mise en danger de l’environnement.

"La présence massive de ces PFAS signe d’abord une atteinte manifeste à l’environnement. Mais ils peuvent aussi se concentrer dans la chair des poissons présents dans les rivières et contaminer ainsi gravement les consommateurs de ces poissons. Leur présence dans d’autres milieux devrait aussi être suivie, comme l’air, les sols aux alentours, l’eau du robinet et certains aliments comme les oeufs, pour avoir une idée de l’exposition réelle de la population", relève le dossier de plainte.

Des analyses de ce type ont été effectuées à Pierre-Bénite dans le Rhône, mais Générations futures n’en connaît pas l’existence pour ce site de l’Oise. Les investigations des pôles juridiques régionaux, notamment par le biais d’analyses, permettront "d’en savoir plus et de mettre en lumière l’étendue des pollutions et des violations", autrement dit, "de trouver ce qui n’est pas aujourd’hui cherché par les services de l’État", explique maître Hermine Baron. L’ONG espère ainsi obtenir "des avancées significatives sur ce dossier de santé publique et d’environnement majeur", sur lequel elle déplore "un gros déficit d’information". 

D’autres plaintes pourraient suivre

"La pollution de la vallée du Rhône (baptisée la vallée de la chimie) a été mise en avant ces derniers mois, mais malheureusement de nombreuses autres régions de France sont également concernées par ces rejets de polluants éternels. C’est notamment ce que nos analyses, réalisées dans l’Oise à proximité d’une zone industrielle, montrent ", souligne Nadine Lauverjat, déléguée générale de l’association. Il s’agit donc pour l’ONG d’une "première étape" qui pourrait être suivie par d’autres plaintes et investigations dans d’autres régions. Cette démarche se veut d’ailleurs "complémentaire" du référé pénal environnemental déposé, le 25 mai, par Notre affaire à tous, aux côtés de 37 victimes, de 9 associations et syndicats, au tribunal judiciaire de Lyon à l’encontre d’Arkema, l'entreprise rejetant des PFAS à Pierre-Bénite (voir encadré). 

Par ailleurs, Générations futures envisage, le cas échéant, d’attaquer juridiquement l'arrêté relatif à l’analyse des rejets aqueux des industriels - mis en consultation dans le cadre du plan national sur les PFAS - "s’il s’avérait ne pas être à la hauteur des enjeux environnementaux qu’il est censé couvrir". Un projet de texte également jugé de "faible portée" par Amaris, le réseau des collectivités exposées aux risques technologiques (voir notre article du 2 mai 2023). 

Générations futures, représentée par sa toxicologue Pauline Cervan, doit participer, ce 8 juin, à une matinée d’audition publique sur les micropolluants de l’eau organisée par l'Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Le même jour la proposition de loi portée par des députés Liot visant à limiter la contamination par les substances perfluoréesconcernant les sujets spécifiques des emballages alimentaires et des rejets aqueux et gazeux des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), doit également être examinée en séance à l’Assemblée. C’est toutefois celle portée par le député écologiste Nicolas Thierry qui a les faveurs de l’ONG. Son calendrier d'examen n'est pas encore connu.

 

  • Vallée de la chimie : un collectif d’associations saisit le juge des référés

Au total, 37 riverains de l’usine Arkema à Pierre-Bénite (Rhône), dont les représentants de 16 enfants, ainsi que 10 associations et syndicats, ont saisi le tribunal judiciaire de Lyon, le 25 mai, dans le cadre d'un "référé pénal environnemental", pour obtenir la limitation à 1kg/mois des rejets de PFAS dans l’eau du Rhône par l’industriel et une étude des risques sanitaires encourus par la population aux frais du pollueur. Par cette campagne de mesures à grande échelle de la contamination, il s’agit notamment d'obtenir des prises de sang et des prélèvements sur le lait maternel ou les denrées alimentaires de producteurs bio et non-bio aux abords du site.

Certains plaignants sont concernés par des problèmes de santé, notamment en lien avec la thyroïde, avec aussi une tumeur au testicule chez un enfant de moins de deux ans, un cancer pouvant être provoqué par les perfluorés. À travers leur action, riverains et associations, très remontés depuis la diffusion d’enquêtes journalistiques par France Télévision alertant sur la forte pollution à ces substances autour du site, demandent une étude détaillée des maladies pouvant être générées par la contamination aux PFAS et de la prévalence de ces maladies sur le territoire par rapport à un territoire non contaminé. Plus de 350.000 personnes seraient concernées par ce scandale sanitaire et environnemental, estime Notre affaire à tous, l'association à l'origine du référé, rejointe notamment par Alternatiba et la FSU.

D’après le rapport de l’Igedd de décembre 2022, Arkema rejette 3,5 tonnes par an de PFAS dans le Rhône, "une pollution majeure documentée par l’Anses depuis 2011", souligne-t-elle. En 2013, la DREAL, avait d'ailleurs déjà demandé à l’industriel de surveiller ses rejets en PFAS, "ce que l’entreprise n’a pas fait". "Les solutions pour filtrer les PFAS étaient également connues", insiste le communiqué, puisque les rejets du composé 6:2 FTS par Arkema "sont en très nette diminution" grâce à la mise en place en novembre 2022 d’un traitement par filtration. Des mesures qui font suite à un arrêté préfectoral prescrivant pour la première fois la cessation de l’utilisation des PFAS dans les processus de fabrication par Arkema d’ici fin 2024.

L’industriel indique de son côté dans un argumentaire être désormais dans les clous grâce à ce dispositif de filtration d’additif fluoré qui "permet depuis février 2023 de réduire les rejets de 6:2 FTS de plus de 90% à ce stade". Le site de Pierre-Bénite "sera à 100% sans fluorosurfactant d’ici fin 2024", confirme-t-il. 

 

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