Loi Handicap : pour les départements, un bilan affaibli par les carences de l’État
"Nous avons considérablement progressé ces 20 dernières années", a mis en avant le vice-président de Départements de France Frédéric Bierry le 11 février lors d’un colloque organisé au Sénat pour les 20 ans de la loi sur le handicap. Mais cette "meilleure reconnaissance du handicap" a un coût qui pèse de plus en plus lourd sur les finances départementales. L’association d’élus espère donc que la future réforme des concours de la CNSA permettra d’assurer "la soutenabilité financière des compétences sociales". Le vice-président de DF appelle également l’État à investir ses propres compétences en matière de santé et de handicap et à se coordonner avec les départements, pour une meilleure prise en charge en particulier des enfants.

© @F_Bierry/ Frédéric Bierry
"C’est une loi historique, même si sa mise en œuvre reste aujourd’hui incomplète." Lors du colloque organisé le 11 février 2025 au Sénat pour les 20 ans de la "loi Handicap", Frédéric Bierry, président de la collectivité européenne d’Alsace (CEA) et vice-président de Départements de France (DF), a estimé que la loi du 11 février 2005 avait "contribué à changer profondément le regard de la société sur le handicap". A commencer par celui des élus départementaux. "Il y a une vingtaine d’années, les présidents de département étaient sans doute un peu plus motivés par les routes, les collèges et l’économie que par les politiques sociales", a admis l’élu alsacien. Avant d’ajouter : "J’ai vu l’évolution, il y a aujourd’hui beaucoup de présidents de département qui s’investissent dans les commissions sociales de Départements de France."
"En termes d’engagement politique, humain et financier autour du handicap, nous avons considérablement progressé ces 20 dernières années", affirme Frédéric Bierry, soulignant le "rôle pivot" des départements "dans l’accompagnement de l’inclusion". Il cite les aides matérielles pour la scolarisation, l’insertion professionnelle avec les entreprises adaptées et les Esat (établissement et service d’aide par le travail), l’accès aux droits via les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), le soutien à l’autonomie et à la vie à domicile avec les aides techniques, financières et humaines, l’accessibilité de bâtiments publics tels que les collèges, le développement de solutions de logement adaptées comme l’habitat inclusif ou encore "le soutien aux activités sportives, culturelles et de loisirs adaptées".
PCH, MDPH : le nombre de bénéficiaires a beaucoup augmenté
"Le nombre de bénéficiaires de la prestation de compensation du handicap (PCH) a largement augmenté ces dernières années, signe d’une meilleure reconnaissance du handicap", met en avant le président de la CEA. Entre 2012 et 2023, les dépenses de PCH sont ainsi passées de 1,4 à 3,1 milliards d’euros et le reste à charge pour les départements de 850 millions d’euros à 2,1 milliards d’euros sur la même période - soit une compensation de la PCH par l’État aux départements qui est descendue de 39% à 32%. La réforme à venir des concours de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) aux départements devra avoir l’ambition de "définir une trajectoire à court terme permettant d’assurer la soutenabilité financière des compétences sociales, et en premier celles liées au handicap", insiste Frédéric Bierry.
Même enjeu concernant les MDPH, qui sont des groupements d’intérêt public (GIP) : la nécessité d’"un meilleur soutien financier de l’État, pour que les dysfonctionnements parfois constatés ne soient pas toujours renvoyés sur le même bouc émissaire départemental". Le vice-président de DF rappelle que l’activité des MDPH a considérablement augmenté ("le nombre d’avis et de décisions a été multiplié par près de trois entre 2006 et 2020", selon un récent rapport de l’Igas). Cela alors que les MDPH sont confrontées à "du turnover, de l’absentéisme et des difficultés majeures de recrutement". Lors de la conférence nationale du handicap (CNH) de 2023, le chef de l’État avait annoncé la mise en œuvre, à compter de 2024, d’un "référent dédié" à chaque personne entamant son parcours à la MDPH qui en formulerait la demande - cela nécessitera "une contribution accrue de l’État", avait alors considéré DF. La charte signée entre l’État et les collectivités dans le cadre de la CNH prévoyait par ailleurs un engagement conjoint de l’État et des départements pour améliorer l’efficacité des MDPH (voir notre article).
Le vice-président de DF n’évoque pas la mise en œuvre du service public départemental de l’autonomie (SPDA) qui pourtant, après une phase d’expérimentation dans certains départements, a vocation à se généraliser en 2025.
Enfants à "double vulnérabilité" : "un vrai sujet d’inquiétude"
Concernant la déclinaison de cette charte - qui portait sur l’école inclusive, la transformation de l’offre, l’accès au droit et l’accessibilité -, "DF participe activement aux différents travaux lancés par le ministère", assure le président de la CEA. "Toutefois, depuis la CNH, le comité de suivi de l’application de la feuille de route ne s’est réuni qu’une seule fois", déplore-t-il.
Autre chantier engagé lors de la CNH : l’amélioration de la prise en charge des enfants ayant une "double vulnérabilité" handicap et protection de l’enfance, avec une mission dont le rapport n’a pas encore été remis au gouvernement. "Les premières conclusions mettent en évidence l’implication des départements pour une meilleure prise en charge (…) et les carences de l’État en la matière", indique Frédéric Bierry. Le manque de prise en charge sanitaire et de solutions médico-sociales pour les enfants, qui relèvent de l’État, constitue "un vrai sujet d’inquiétude pour les collectivités départementales", poursuit-il, considérant que la hausse du nombre d’enfants placés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) est en partie liée à ce défaut de prise en charge adaptée pour ces enfants en situation de handicap.
Vieillissement, handicap : "l’effet volume va exploser"
Les carences de l’État sont encore pointées sur le financement de dispositifs d’accueil et d’accompagnement pour les adultes – "l’absence de toute perspective de création de places de MAS" (maisons d’accueil spécialisées), le développement de places de Samsah (service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés) "freiné par les attributions des crédits ARS" (agences régionales de santé). Et, au-delà du financement, Frédéric Bierry évoque "la difficulté parfois qu’ont les administrations centrales à accepter l’innovation, l’adaptation des réponses aux spécificités des territoires, [ce qui] constitue des freins un peu désespérants".
Des propos qui confirment une réalité bien connue : l’imbrication État-département des compétences relatives au handicap ne facilite pas le pilotage de cette politique. Or, "vieillissement et handicap seront des sujets majeurs à appréhender avec un effet volume qui va exploser", alerte le vice-président de DF. Il insiste sur le "chantier majeur" de l’attractivité des métiers du médico-social mais aussi sur les investissements nécessaires en matière de prévention et appelle à "renforcer la coordination nationale et locale". La ministre des Solidarités Catherine Vautrin aurait promis aux élus départementaux "un renforcement de la coopération État-départements sur les politiques sociales", notamment via la mise en place d’un comité de suivi du déploiement des 50.000 nouvelles solutions médico-sociales.