L’Inrae imagine les chemins vers une agriculture sans pesticides en 2050

Dans une étude de prospective, l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) décrit trois scénarios qui permettraient d’atteindre une agriculture sans pesticides en 2050. Résolument différents (privilégiant un fort appui technologique ou au contraire la quasi-absence d’intervention), tous trois supposent, de manière plus ou moins aiguë, un véritable bouleversement des pratiques agricoles et affectent fortement l’ensemble de la filière, en commençant par le citoyen – consommateur et riverain.

Peut-on remonter le temps dans une étude de prospective ? C’est ce que s’est employé à faire l’Inrae, dans une récente étude conduite "à rebours". Concrètement, l’institut est parti de l’objectif, supposé atteint, d’une agriculture européenne sans pesticides chimiques en 2050. Puis il a rebroussé le chemin pour (re)trouver la clef, autrement dit les décisions permettant ce résultat. 
L’Inrae distingue trois trajets possibles. 

Le tout technologique

Le premier repose sur une "haute intensité technologique", faisant la part belle à l’agriculture de précision et aux robots ayant recours à l’intelligence artificielle, traitant chaque plante (pied) de manière individualisée. Il s’agit de renforcer l’immunité de chacune d’elles, grâce à l’utilisation de niveaux importants d’intrants exogènes (biostimulants, etc.) et à la sélection variétale, en anticipant l’arrivée des bioagresseurs et en mesurant l’état physiologique des plantes. Capteurs divers, drones, systèmes de télédétection, banques de données deviennent les outils usuels de "l’agriculteur". Dans ce modèle nécessitant de considérables investissements, les filières sont dominées par la grande distribution et les grands acteurs de la transformation alimentaire, depuis la production et la fourniture d’intrants jusqu’à la distribution. Les agriculteurs bénéficient de prix bonifiés pour compenser les risques de la transition. Technicité et financiarisation laissent toutefois à l’agriculture familiale une place résiduelle, ce qui nécessite une politique de reconversion des "petits" agriculteurs. Ce scénario n’exige pas des consommateurs un changement de régime alimentaire, mais se traduirait par une réduction du volume de production et une forte réduction des exportations (ou une extension des superficies cultivées serait nécessaire). 

La plante et son environnement proche 

Le deuxième repose sur la gestion de l’holobionte des plantes – c'est-à-dire la plante et son microbiome, soit l’ensemble des micro-organismes qui lui sont étroitement associés, en renforçant les interactions entre les deux. Et ce, du champ à l’assiette, en favorisant une transformation minimale : pas de conservateurs et de biocides. Si cette agriculture nécessite un niveau élevé de compétences (et les formations idoines) pour maîtriser les bioagresseurs et des pratiques culturales spécifiques (amendements organiques supposant le maintien d’une activité d’élevage, travail du sol, inoculation de micro-organismes, diversification des cultures…), elle permet (et nécessite) le maintien d’un tissu diversifié d’exploitations, qui mutualisent leurs équipements. Elle suppose également que les consommateurs européens aient adopté un régime alimentaire sain, plus équilibré et diversifié, évitant les aliments ultratransformés, consommant davantage de fruits et légumes, de légumineuses… Un changement facilité par des subventions sur les aliments sains et des taxes sur les aliments jugés néfastes pour la santé, ou encore l’ajout de cours de nutrition dans les programmes scolaires. 

L’approche "Une seule santé"

Le troisième vise autant l’alimentation que la protection et l’augmentation de la biodiversité. Il repose sur la diversification et la relocalisation des cultures, la sélection des variétés, le développement d’habitats semi-naturels (au moins 20% de haies, bosquets, zones humides…), intégrant l’élevage extensif, dans une approche "Une seule santé". Les autorités territoriales doivent conduire des politiques pour réaménager les paysages, protéger les sols, l’eau et la biodiversité. La taille des parcelles est réduite et la production animale l’est très fortement également, les prairies devenant des zones arbustives ou des forêts. La commercialisation se fait en circuits courts. Les consommateurs ont plus encore que dans le précédent scénario complément modifié leur régime alimentaire, pour un régime sain ET respectueux de l’environnement. Ils consomment moins de calories – un régime plus frugal qui permet à l’Europe de devenir exportatrice nette de calories. Les aliments sont conservés avec un minimum de transformation. Le recours aux méthodes mécaniques ou biologiques ne se faisant qu’en dernier ressort, des compromis doivent être trouvés entre pertes de récolte et services écosystémiques. Les travaux spécifiques conduits à l’échelle locale du vignoble de Bergerac Duras font notamment ressortir que la mise en œuvre de cette nouvelle agriculture supposerait en amont "la mise en place d’une gouvernance participative autour d’un contrat social de territoire", intégrant viticulteurs, vignerons, coopératives, collectivité locales, associations de riverains.

Des traits communs

Ces trois trajectoires recèlent quelques traits communs. Aucun mode d’action ne permettant de remplacer à lui seul un pesticide chimique, toutes nécessitent de "basculer d’une stratégie de lutte à une stratégie prophylactique des cultures" – prévenir plutôt que guérir (comme le font certains pesticides) –, en mettant davantage l’accent sur les processus biologiques régulant les bioagresseurs à l’échelle des paysages, des peuplements et des sols. Ce qui nécessite a minima un fort investissement dans la connaissance. Tous les scénarios affectent fortement l’ensemble de la filière alimentaire. De l’aval – le consommateur joue un rôle déterminant, qui doit modifier ses habitudes alimentaires (et, ce qui n’est pas évoqué par l’étude, sans doute aussi ses habitudes culinaires) – à l’amont, avec les structures d’exploitation (main-d’œuvre, capital, surfaces), en passant, entre autres, par la distribution et la logistique. Les habitants devraient également être davantage impliqués, leur mobilisation contre les pesticides étant un préalable. Tous trois supposent également une renégociation des accords commerciaux entre l’Union européenne et ses partenaires (clauses de réciprocité, forte taxation des produits importés pour lesquels des pesticides ont été employés…) et une remise à plat de la politique agricole commune (PAC), voire dans le dernier scénario son remplacement par une nouvelle politique rétribuant les services écosystémiques. Dans tous les cas, un "changement de paradigme est nécessaire", afin de passer "d’une démarche incrémentale à une démarche disruptive".

Moins de gaz à effet de serre

L’Inrae estime que les trois scénarios contribuent positivement à la diminution des émissions agricoles européennes de gaz à effet de serre et à l’augmentation du stockage de carbone. Ces diminutions étant principalement dues à la réduction des émissions liées à la production animale, elles sont les plus fortes dans le deuxième et surtout le troisième. L’Inrae estime de même que les trois modèles contribuent probablement à une amélioration de la biodiversité terrestre en Europe.

 

Pour aller plus loin

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis