L'Europe face à des drogues plus puissantes et plus pures

Si la cocaïne continue de se répandre en Europe via les ports, le marché de la drogue est très évolutif. Et quantité de nouvelles substances font leur apparition (notamment avec les opioïdes de synthèse) ou de nouvelles pratiques dangereuses, comme la "polyconsommation", alerte l'Office européen des drogues et des toxicomanies dans son dernier rapport. 

L'éventail des drogues disponibles en Europe est "plus large" que par le passé, "les substances disponibles étant souvent plus puissantes ou plus pures ou apparaissant sous de nouvelles formes, dans de nouveaux mélanges ou en nouvelles combinaisons", constate l'Office européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), dans son rapport annuel publié le 11 juin.

L'office, qui, à compter du 2 juillet, deviendra l'Agence de l'Union européenne sur les drogues, indique que près de 70% des saisies de drogues proviennent des ports, en particulier de Belgique et des Pays-Bas, et sont transportées sur porte-conteneurs, avec une intensification du trafic en provenance de Colombie, d'Équateur et du Brésil. Ainsi en 2023, l’Espagne a déclaré sa plus grande saisie de cocaïne, avec 9,5 tonnes de drogue dissimulées dans des bananes en provenance d’Équateur. La Suède et la Norvège ont aussi connu des saisies records, "ce qui laisse à penser que tous les points d’entrée dans l’Union européenne sont désormais devenus vulnérables", avertit l'office, quelques semaines après la commission d'enquête sénatorial qui, dans son rapport, pointait une "France submergée par le narcotrafic" (voir notre article du 14 mai).

Les trafiquants utilisent des méthodes de plus en plus "sophistiquées", ils infiltrent les chaînes d’approvisionnement et le personnel "par l’intimidation et la corruption". "Il est de plus en plus à craindre que certains pays connaissent une hausse de la violence et d’autres formes de criminalité associées au fonctionnement du marché des drogues", met en garde l'OEDT. 

Polyconsommation

Le rapport relève aussi l'apparition de nombreuses substances et les problèmes liés à la "polyconsommation" de plusieurs produits, avec un recours accru aux drogues de synthèse. Il met en garde contre les "produits à base de cannabis frelatés avec des cannabinoïdes de synthèse, les produits vendus comme MDMA/ecstasy, mais parfois frelatés avec des cathinones de synthèse (aux propriétés proches des amphétamines utilisées notamment comme "chemsex", ndlr), et l’apparition d’opioïdes de synthèse très puissants mélangés à d’autres substances". Or l'alcool combiné à de la cocaïne, à des opioïdes ou à des benzodiazépines (médicaments aux effets relaxants) comporte de sérieux risques pour la santé.

Le rapport se penche aussi sur les différences d'approche en Europe au sujet du cannabis, "la drogue illicite la plus couramment utilisée dans l’Union européenne", avec 8% de consommateurs au cours de l'année écoulée, contre 1,4% pour la cocaïne. Plusieurs pays ont légalisé l'usage récréatif du cannabis : Malte en 2021, le Luxembourg en 2023, l'Allemagne récemment et la République tchèque s'apprête à suivre cette tendance. Aux Pays-Bas, la culture, la vente et la possession de cannabis demeurent des infractions pénales, mais la vente de petites quantités est tolérée dans les "coffeeshops". "Un des problèmes que pose cette approche est que le cannabis vendu dans les coffeeshops provient du marché illégal et que les groupes criminels tirent donc profit de ce commerce", souligne l'OEDT. Pour en sortir, le pays expérimente actuellement des circuits fermés permettant de fournir les coffeeshops avec des producteurs agréés. "La direction que prendront les futures politiques européennes n’est pas clairement définie. Ce qui est clair, cependant, c’est que toute élaboration de politiques dans ce domaine doit être accompagnée d’une évaluation de l’incidence de tout changement qui serait introduit", plaide le rapport.

Opioïdes de synthèse

Deuxième drogue la plus consommée en Europe, la cocaïne est un marché qui s'adapte. "La découverte régulière de laboratoires de transformation de la cocaïne à grande échelle dans toute l’Europe, notamment en Belgique, en Espagne et aux Pays-Bas, révèle la manière dont les réseaux criminels transnationaux des deux côtés de l’Atlantique travaillent ensemble pour mettre au point de nouvelles méthodes", indique le rapport qui mentionne par exemple la dissimulation de cocaïne dans des produits plastiques ou métalliques.

Pour ce qui est de la crise des opioïdes de synthèse (principalement des dérivés du Fentanyl) qui frappe l'Amérique du Nord, l'Europe n'en est pas là. 163 décès liés au Fentanyl ont été recensés en 2022 (en vingt-cinq ans, l'usage des opioïdes aurait fait 700.000 morts par overdose aux États-Unis). "Malgré cette différence d’échelle, il est de plus en plus à craindre que des opioïdes de synthèse très puissants fassent progressivement leur apparition sur le marché européen" et l'exemple américain constitue un "avertissement" sur la rapidité avec laquelle les tendances de consommation de drogues de synthèse peuvent évoluer. C'est le cas de l'émergence en 2021 de la "drogue du zombie", un opioïde de synthèse associé à de la xylazine, un sédatif et analgésique vétérinaire. Selon le rapport, 81 nouveaux opioïdes de synthèse ont été signalés depuis 2009 en Europe, dont 7 rien qu'en 2023.

Un mandat renforcé pour la future agence

Alors que les Talibans ont interdit la culture du pavot en 2022, l'office estime que cette décision pourrait entraîner une pénurie d’héroïne à l’avenir susceptible d'entraîner un report sur les opioïdes de synthèse. À moins que Myanmar, où la production a augmenté de 36% en 2023, ne remplace l'Afghanistan comme premier fournisseur d'héroïne en Europe.

En devenant la nouvelle Agence de l’Union européenne sur les drogues, au 2 juillet, l'OEDT sera doté d’un "mandat renforcé", indique la Commission européenne, dans un communiqué. "Dans le cadre du nouveau mandat, l’Agence renforcera également son suivi des aspects sécuritaires de la situation en matière de drogue", précise-t-elle. La Commission estime que le constat dressé dans le rapport implique une "coordination renforcée" et un soutien accru aux États membres "pour démanteler l’activité criminelle transfrontière à l’origine du trafic de drogue". "Cet objectif est notamment mis en œuvre par l'Alliance portuaire européenne que la Commission a lancée en janvier 2024", assure-t-elle.