Le trafic de drogue concentre l’attention du Forum européen pour la sécurité urbaine
L’essor des narcotrafics a particulièrement concentré l’attention des participants à la conférence triennale Sécurité, démocratie et villes qu’organisait le Forum européen pour la sécurité urbaine (Efus) la semaine passée, à Bruxelles. Si le sujet est loin d’être le seul à avoir été évoqué, il n’en constitue pas moins une vive source de préoccupations pour les collectivités.
Après Nice en 2021, c’est à Bruxelles que s’est tenue du 20 au 22 mars dernier la conférence triennale "Sécurité, démocratie et villes" organisée par le Forum européen pour la sécurité urbaine (Efus). Parmi les multiples sujets traités, le sujet des narcotrafics semble avoir particulièrement focalisé l’attention.
Razzia sur l’état de droit
Le fait qu’un policier belge ait été tué deux jours avant la conférence lors d’une perquisition dans le cadre d’une enquête sur un trafic de drogues a sans doute joué. Plus encore, la première session plénière – "Trafic de drogues à l’échelle mondiale, impacts et réponses au niveau local" – a d’emblée donné le ton, les intervenants se faisant particulièrement alarmistes. En tête, Ahmed Aboutaleb, maire de Rotterdam – ville, et pays, particulièrement affectée par le phénomène –, pour qui le crime organisé et le trafic de drogues menacent désormais l'État de droit. Un témoignage qui a marqué Nadia Zourgui, adjointe à la maire de Strasbourg, interrogée par Localtis : "Que cet homme, qui a pris ce problème à bras-le-corps depuis des années, nous explique qu’il est à deux doigts de démissionner, dépeignant des institutions gangrénées, des familles de juges, d’élus, de policiers régulièrement menacées, alors que ce sont nos voisins, c’est particulièrement inquiétant. D’autant plus au moment où, en France, on a le sentiment qu’on baisse les bras. Nous nous rendons compte tous les jours qu’il y de plus en plus de points de deals, et tout cela semble normal : 'On fait avec ce qu’on a. La priorité, ce sont les QRR (quartiers de reconquête républicaine). On n’a pas les moyens de lutter efficacement', nous répète-t-on. On fait de la bobologie, alors qu’on a tous conscience de la gravité de la situation, de l’urgence !", s’alarme l’élue. Comme le maire de Rotterdam, elle espère "que les pouvoirs publics vont enfin se donner les moyens de lutter contre ces trafics et que les États membres vont être réellement solidaires". Et de relever encore : "Le président de l’Efus, le bourgmestre de Liège Willy Demeyer, a opportunément plaidé pour que l’Union européenne cesse de passer par des appels à projets en ce domaine. D’abord, parce que tout le monde ne peut pas y accéder. Ensuite, parce que c’est du one shot ! Or nous avons besoin d’une véritable politique publique en la matière".
Unanimité sur le constat
La crainte, c’est d’atteindre le point de non-retour. Également interrogée par Localtis, Sarah Misslin, adjointe au maire d’Ivry-sur-Seine, a ainsi été impressionnée par l’intervention du chargé de la sécurité de la ville de Cali (Colombie) : "Les défis y sont tels qu'ils apparaissent difficiles à surmonter", observe-t-elle. Elle-aussi juge le sujet "extrêmement préoccupant" en France. De manière générale, le constat d’une expansion tous azimuts des trafics semble faire l’unanimité. "Le dernier rapport de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies sur la situation en matière de drogues en Europe en 2023 souligne que l’incidence de la consommation de drogues illicites est désormais observée presque partout dans notre société", pointe ainsi l’Efus, parmi d’autres (voir notre article du 29 février dernier et celui du 6 octobre 2023).
Divergences sur les solutions
Les réponses à y apporter continuent, elles, de diverger. "Le sujet est en réalité multiple et complexe. Nous sommes un des pays les plus consommateurs et le pays le plus répressif d'Europe. Il y a donc un problème dans l'équation", analyse l’élue ivryenne. Les nouvelles opérations "place nette" conduites par le ministre de l’intérieur (voir notre article du 25 mars) ne trouvent ainsi pas grâce à ses yeux : "Elles sont extrêmement visibles, c'est une certitude. Mais elles ne résolvent rien. Elles rassurent momentanément les habitants, mais une fois les forces de l’ordre parties, tout redevient comme une heure avant." Pour elle, "il est temps que nous nous préoccupions des causes de la délinquance et des incivilités, de la pauvreté, de l'accès au droit, de l'éducation, de la santé et bien sûr d'un problème colossal en Île-de-France, le logement." À rebours du maire de Rotterdam – qui invite, dans un entretien avec le journal L’Écho publié le 23 mars, à ne pas "pointer les gens dans la pauvreté. Je connais des parents pauvres qui ont éduqué un médecin, un économiste et un maire : les miens. J'ai vécu sans chaussures jusqu'à mes 15 ans, ne me dites pas que les gens pauvres sont forcément poussés vers la criminalité" –, Sarah Misslin met notamment en avant l’attrait de "l'économie parallèle, grâce à laquelle vivent des centaines de milliers de gens puisque l'argent gagné par les 'petits' sert d'abord à payer le loyer, les courses, changer un lave-linge, etc." pour évoquer "l'entrée des plus jeunes dans le trafic".
Ne pas se focaliser sur l’offre
Pour Nadia Zourgui, il faut surtout ne pas négliger la question de la demande : "Pourquoi se drogue-t-on aujourd’hui ?", interroge-t-elle. "C’est une vraie question de société : pourquoi de plus en plus de gens ressentent le besoin de consommer de plus en plus de drogues ?", lui fait écho Sarah Misslin. Cette dernière préconise elle-aussi de "remettre au cœur du sujet la question de la consommation, que nous devrions prendre sous le prisme de la santé, en favorisant les salles de consommation à moindre risque". Alors que le Bundesrat vient de donner son feu vert, le 22 mars dernier, à la légalisation de la consommation du cannabis en Allemagne ce 1er avril (voir notre article du 8 mars), Nadia Zourgui se dit pour autant "nullement inquiète", et même au contraire "très intéressée par les résultats de cette expérimentation". "Si l'évaluation des actions policières est quantifiable – il y a tant d'arrestations, tant de gardes à vue, etc. –, en revanche, côté prévention, on ne peut pas savoir. Nous ignorons combien d'overdoses nous avons évitées avec les salles de consommation à moindre risque, combien de personnes ont pu sortir de la toxicomanie ou trouver le chemin d'une cure de désintoxication. Un des plus grands défis pour l'administration et les élus est de trouver ensemble des moyens d’évaluer les politiques de prévention et de médiation", souligne d’ailleurs Sarah Misslin.
Les drogues, mais pas que…
Tout prioritaire qu’il soit, le narcotrafic est toutefois loin d’être le seul sujet qui tourmente les participants de la conférence. "Le phénomène global de la polarisation politique et idéologique [entendre, radicalisation], alimenté en grande partie par les réseaux sociaux et les informations 24h/24, préoccupe les collectivités européennes", souligne ainsi l’Efus. Et de mettre en exergue le projet Loud conduit par neuf villes européennes – dont les françaises Rosny-sous-bois, Montreuil, Lille et Valenciennes Métropole –, qui vise à "favoriser l’émergence d’environnements inclusifs pour les jeunes de façon à les empêcher de sombrer dans l’intolérance et les comportements extrémistes". La conférence a également été l’occasion de travailler sur les opportunités et menaces induites par les nouvelles technologies, et singulièrement par l’intelligence artificielle, "que les autorités locales utilisent de plus en plus pour gérer leurs villes et régions, que ce soit pour la gestion du trafic, la police, le contrôle des foules ou les services d’urgence...", relève l’Efus. Lequel met cette fois en avant le projet conduit par la ville de Montpellier en la matière pour "analyser comment l’IA peut être au service des habitants et du territoire".
Polices municipales : vers un "consortium" de sécurité ?
"La conférence permet aussi de s’inspirer de ce que font nos homologues, de repartir avec des idées, de confronter les nôtres, de nouer des coopérations", insiste Nadia Zourgui. Elle a ainsi été intéressée par un dispositif belge de patrouilles pédestres "associant policiers et acteurs du milieu sanitaire, un aller vers qui permet de traiter sur place des personnes victimes d’addictions et de pathologies mentales sans passer par des institutions psychiatriques, comme on le fait en France, en les laissant repartir au bout de deux jours parce qu’on n’a plus de place". Elle déplore toutefois que, "chez nous, il existe une vraie scission entre la police et le monde sanitaire et social, pour lequel c’est mal vu d’être avec la police".
L’attention de Sarah Misslin a, elle, été attirée par un dispositif barcelonais visant à sensibiliser les agents de police aux violences conjugales et intra familiales. "Les policiers contactés pour suspicion de violence se rendent au domicile de la victime présumée et en cas de négation de violence par les personnes présentes, ils doivent remplir un questionnaire comportant 35 critères – La femme parlait-elle ? Y avait-il des enfants ? Les personnes étaient-elles en état d'ébriété, etc. Si un maximum de oui apparait, une commission se met alors en place avec des assistantes sociales, la police, les services municipaux et tous décident du meilleur moyen de rentrer en contact avec la victime". Après le continuum de sécurité, place au "consortium" ?