L'eurodéputée Anne Sander plaide pour une véritable "barrière écologique" aux frontières de l'UE
Pour Anne Sander, députée européenne, membre de la commission de l'agriculture et du développement rural, la crise du Covid-19 justifie plus que jamais le maintien d'une politique agricole commune réellement "européenne", dont la nouvelle version ne sera, selon elle, pas mise en œuvre avant 2023. L'élue plaide également pour "faire une pause" avant d'imposer de nouvelles contraintes aux agriculteurs, pour une réindustralisation de l'Europe et l'instauration d'une "véritable barrière écologique" aux frontières.
Localtis : Que retenez-vous pour l'heure de la crise que nous traversons ?
Anne Sander : Issue d'une région transfrontalière, je dois avouer que j'ai été, à titre personnel, particulièrement affectée et déçue par ces décisions soudaines et unilatérales des différents États membres de fermer les frontières intérieures. Ce réflexe de repli est un mauvais signal pour l'Europe. Au-delà, il emporte de graves conséquences pour nos concitoyens au quotidien. Sur le terrain, cela s'est traduit pour nos agriculteurs, par exemple, par de graves difficultés d'approvisionnement, de recrutement des travailleurs saisonniers – dans une période pourtant cruciale – et pour vendre leur production. Grâce aux "voies vertes", la question du transport des marchandises et des déplacements des travailleurs saisonniers semble en passe d'être réglée. Reste qu'avec la fermeture des marchés alimentaires et des restaurants, certains producteurs ont tellement de mal à écouler leur production qu'ils se posent la question de l'opportunité de payer des travailleurs pour récolter des produits qui ne trouveront finalement pas preneur. Aussi, en dépit de mes demandes, je déplore que quasiment aucune mesure forte de gestion de marché et de crise n'ait encore été annoncée jusqu'ici par la Commission pour le monde agricole, durement touché par la crise.
Ce mouvement de repli pourrait-il paradoxalement inciter la Commission européenne à revenir sur sa volonté de "renationaliser" la politique agricole commune (PAC) ?
La précédente Commission souhaitait effectivement renationaliser la PAC, ce à quoi s'était opposé le Parlement. J'ignore pour l'heure si la crise conduira la Commission à revoir cette stratégie. En revanche, si la composition du Parlement a depuis été profondément renouvelée, la volonté des députés de maintenir le caractère "européen" de la PAC, de réintroduire des mesures de coordination, reste toujours aussi forte. Pour l'heure, nous poursuivons les travaux. En tant que négociatrice du PPE, nous sommes avec mes collègues, rapporteurs et rapporteurs fictifs (1), à la recherche de compromis sur les parties du texte qui doivent être réexaminées – répartition des fonds entre les deux piliers, mesures agroenvironnementales, notamment le poids que doivent revêtir les éco-schemes (2) dans le premier pilier, cadre de performance et de contrôle, etc. Il a en effet été décidé de ne pas rouvrir l'ensemble du texte en session plénière. Cela aurait donné lieu à d'interminables débats.
Dans quelle mesure la crise va-t-elle justement bouleverser le calendrier initial ?
Nous avions pour ambition de présenter le texte en session plénière avant l'été, mais il est certain que ce sera désormais au mieux en octobre, voire en début d'année prochaine. Viendra ensuite le temps des négociations entre le Parlement et le Conseil, les États membres devront remettre leur plan stratégique… bref, il ne faut pas escompter une mise en œuvre avant 2023.
Avez-vous des précisions sur les modifications du Cadre financier pluriannuel 2021-2027 qu'a récemment annoncées la présidente de la Commission ?
Aucune pour l'heure, mais j'y serai évidemment très attentive. La première proposition de budget de la Commission était totalement insatisfaisante et il va sans dire que la crise va renforcer encore les difficultés. J'appelle d'ailleurs la Commission à laisser les agriculteurs, exsangues, à reprendre leur souffle avant de leur imposer de nouvelles contraintes, que ce soit via le Green Deal ou la stratégie "De la ferme à la fourchette". Par ailleurs, j'appelle à la mise en place d'une véritable barrière écologique aux frontières extérieures. Les produits qui ne répondent pas aux standards européens, singulièrement en matière environnementale, doivent être interdits d'importation ou très lourdement taxés. C'est une condition à la relocalisation de la production, et plus largement à la réindustrialisation de l'Europe que nous appelons, avec le groupe Les Républicains, de nos vœux. Et qui semble désormais gagner de nouveaux promoteurs. Certains ont cru que l'on devait concentrer tous nos moyens pour faire de l'Europe une économie de la connaissance, en délaissant les activités industrielles, notamment parce que polluantes, aux autres pays du monde. On a vu que ce n'était pas viable. On ne peut faire l'économie d'une stratégie industrielle forte.
L'échec des dernières négociations budgétaires s'est en partie noué autour du refus de l'Allemagne de transférer à l'Union une partie des recettes perçues par les États sur le marché du carbone européen. Serait-elle selon vous favorable à l'introduction d'une telle taxe aux frontières ?
Je n'ai pas la réponse, mais il est certain qu'il y aura, de manière générale, un "avant" et un "après" la crise que nous traversons. L'Allemagne est toujours réticente. Relevons toutefois que l'idée d'un mécanisme d'ajustement aux frontières a été portée par Ursula von der Leyen elle-même. Et dernièrement même les pays nordiques semblent avoir pris conscience de la nécessité de mutualiser la dette. Mais les négociations seront effectivement plus que serrées.
(1) Rapporteur fictif : rapporteur désigné par un groupe politique pour suivre l'avancement d'un texte, chargé de trouver un compromis en négociant avec ses homologues.
(2) Éco-dispositifs, aides directes, optionnelles aujourd'hui et qui deviendraient obligatoires, aux agriculteurs s'engageant dans des pratiques favorables au climat et à l'environnement, différentes des mesures agro-environnementales (Maec) du second pilier.