La filière agroalimentaire s'organise face à l'interdiction des marchés et au manque de main-d'œuvre
Les fermetures des marchés depuis le 24 mars 2020 est un nouveau coup dur pour les agriculteurs locaux qui peinent à écouler leurs produits depuis le début de la crise et qui sont confrontés à un manque de main-d'oeuvre à l'approche des récoltes de printemps. Un appel à la mobilisation nationale vient d'être lancé afin de recourir aux nombreux Français actuellement privés de travail.
Les producteurs locaux sont sous le feu croisé de deux décisions : la fermeture des marchés depuis le 24 mars et donc d'un débouché important et les restrictions de circulation avec les pays voisins qui les privent d'une part importante de travailleurs saisonniers alors que débutent les récoltes de printemps. S'agissant des marchés, des dérogations sont possibles, notamment pour les communes les plus éloignées d'une zone commerciale, dont le marché municipal est le seul moyen d'avoir accès à des produits frais. Pour ce faire, les maires devront obtenir une dérogation auprès du préfet (sur les aspects juridiques voir aussi notre article : "Dérogations à la fermeture des marchés : vérité au-deçà de la Loire..."). Pour Paris, où les images du marché d'Aligre bondé avaient créé la polémique, aucun marché n'est maintenu. Dès l'annonce de l'interdiction, la mairie de la Paris a ainsi fait savoir qu'elle ne demanderait pas de dérogation.
D'autres villes ont fait le choix inverse, sans remettre en cause la légitimité d'une décision au niveau national. C'est le cas d'Avesnes-le-Comte, Angoulême, Périgueux ou encore Besançon qui a notamment obtenu auprès du préfet des dérogations pour deux marchés spécifiques : un marché couvert et un marché situé dans un quartier prioritaire de la ville, où un hypermarché a récemment subi un incendie. "Cela va permettre aux habitants de ce quartier de s'approvisionner", explique-t-on à la mairie. Des ouvertures permises sous réserve d'un système de sécurité sanitaire important : des barrières pour l'entrée des consommateurs, une gestion des flux, le respect des gestes barrières. La mairie envoie notamment du personnel sur le marché ouvert pour vérifier avant l'ouverture ces dispositifs, la police municipale prend ensuite le relais pour les faire respecter. Et d'autres idées sont en cours de développement entre la mairie et la préfecture pour notamment faire en sorte que les hypermarchés ouverts puissent réserver un espace pour les produits locaux, ou les vendre directement. Des marchés en mode "drive", comme dans la grande distribution, sont aussi à l'étude. À Avignon, cette modalité est déjà possible : les clients passent leur commande via une application, les commerçants préparent la commande, qui est télépayée et récupérée par la suite par les clients. "Nous avons des réunions de travail au niveau national pour trouver des solutions permettant aux producteurs de continuer à vendre leurs produits", explique à Localtis André Bernard, président de la chambre régionale d'agriculture Paca. Car ces producteurs ont déjà subi la fermeture des cantines scolaires et des restaurants.
Allez travailler dans les champs
Mais l'écoulement de la production n'est pas le seul souci des agriculteurs. Ils doivent aussi faire face au manque de main-d'œuvre pour le ramassage, les récoltes, et les travaux des champs en ce début de saison. "Jusqu'à maintenant, notre main-d'œuvre arrive des pays de l'Est, du Maroc, de la Tunisie, il y a très peu de Français, détaille à Localtis Bernard Lannes, président de la Coordination rurale. Avec la fermeture des frontières, nous ne savons pas comment nous allons faire." La FNSEA partage les mêmes inquiétudes : pour les récoltes de fruits et légumes, ce sont 70.000 à 80.000 saisonniers, sur les 200.000 dont la filière agricole a besoin de mars à mai, qui viennent habituellement d'Espagne, du Portugal, de Pologne et d'Afrique. Une menace pour les récoltes d'asperges, de fraises, d'endives, de tomates, et de cerises, la cueillette de ces dernières intervenant dans un mois… La FNSEA avait dans ce sens réclamé le recours à des salariés placés actuellement en chômage partiel, voire à des élèves et étudiants des établissements agricoles qui le souhaitent.
Face à cette situation, le ministre de l'Agriculture, Didier Guillaume, a lancé le 24 mars un appel à la mobilisation nationale, demandant à ceux qui ne travaillent pas actuellement de se proposer pour aller travailler dans les champs... et rejoindre "la grande armée de l'agriculture française". Un plan de soutien spécifique destiné à faciliter les règles d'accès à l'emploi pour ce secteur agricole et agroalimentaire a été lancé dans la foulée, prévoyant notamment une plateforme regroupant les offres disponibles pour les entreprises concernées, la prise en charge par Pôle emploi de la présélection des candidats et la possibilité pour les candidats de consulter les offres et d'accéder directement aux coordonnées des recruteurs. Des associations avaient déjà pris les devants, élaborant des plateformes pour que se rencontrent les offres d'entreprises et les candidats, comme "Des bras pour ton assiette".
"La priorité absolue, c’est la protection des salariés. Dans le secteur agricole et agroalimentaire, comme pour tous les secteurs, les gestes barrières et les règles de distanciation sont la meilleure protection contre la propagation du Covid-19", insiste le gouvernement, alors que le ministère du Travail s'apprête à publier un guide de bonnes pratiques.
Des questions administratives à traiter
Le potentiel de main-d'œuvre est là car à l'heure actuelle près de 100.000 entreprises ont fait une demande d'activité partielle, et 1,2 million de salariés sont concernés d'après les chiffres du ministère du Travail au 25 mars. Quelques 40.000 candidats s'étaient déjà portés volontaires un jour après le lancement de l'appel, d'après la FNSEA.
Cependant, la réquisition de personnel n'est pas une solution clé en main, car il faut un minimum de connaissances. "Ramasser des asperges ne s'improvise pas, précise ainsi Bernard Lannes, il faut aller vite, l'anticipation est très importante." Des problèmes administratifs sont aussi à prendre en compte. "Nous avons un coiffeur qui peut venir en aide, mais il a un statut d'indépendant, et comme il va devoir s'affilier à la Mutuelle sociale agricole (MSA), il faudrait l'exonérer des charges qui ne lui ouvriront de toute façon aucun droit", souligne André Bernard.
Le ministère du Travail tente pas à pas de régler ces questions techniques. Un salarié pourra cumuler son indemnité d'activité partielle avec le salaire de son contrat de travail dans la filière agroalimentaire, sous réserve que son employeur initial lui donne son accord pour respecter un délai de prévenance de sept jours avant la reprise du travail. Les bénéficiaires du fonds de solidarité pour les très petites entreprises, indépendants, micro-entrepreneurs et professions libérales, qui vient d'être mis en place, pourront cumuler le versement par le fonds (1.500 euros début avril sur demande) avec des contrats courts dans les entreprises agricoles et agroalimentaires.