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Dérogations à la fermeture des marchés : vérité au-deçà de la Loire…

L'encre du décret interdisant par principe les marchés était à peine sèche que de multiples demandes de dérogations ont été adressées aux préfets. D'un département à l'autre, même voisins, l'interprétation des textes diffère plus que sensiblement, tant à l'égard de la décision d'ouverture du marché elle-même – qui relève du préfet – que pour les conditions de sa mise en place – qui incombent in fine aux maires. Le Conseil d'Etat est appelé à se prononcer en référé sur une requête en annulation du décret, requête émanant de la Fédération nationale des marchés.

Les demandes de dérogations à la fermeture des marchés (qui représentent 8.000 points de vente en France), actée par décret publié le 24 mars (voir notre article), suite aux demandes du Conseil d'État, n'ont pas tardé. Elles ont toutefois reçu des réponses disparates d'un département à l'autre, même voisins.

Considérations locales

Par construction, les dérogations doivent prendre en compte chaque situation locale. CMA France, qui fédère l'ensemble des chambres de métiers et de l'artisanat – qui demande par ailleurs au gouvernement de rendre obligatoire la consultation par les préfets de ses antennes locales avant de prendre toute décision en la matière – estime ainsi qu'il faut prendre en compte "la typologie de chaque territoire, la distance kilométrique de la population avec les moyennes et grandes surfaces, la capacité à appliquer les règles sanitaires les plus strictes mais aussi la situation locale des maraîchers et des artisans (bouchers, poissonniers, fromages, etc.)".

Lecture lâche…

Reste que l'hétérogénéité des mesures prises semble davantage la conséquence d'une interprétation plus ou moins lâche de la disposition du décret qui permet aux préfets, sous conditions, "d'accorder une autorisation d'ouverture des marchés alimentaires qui répondent à un besoin d'approvisionnement de la population". Ainsi, le préfet du Loiret a, le jour même de la publication du décret, autorisé la tenue de pas moins de trente marchés alimentaires dans le département (dans 24 villes différentes), y compris, par exemple, sur la place centrale de la ville johannique. Or, si l'arrêté préfectoral indique bien que le maintien des marchés concernés "répond à un besoin d'approvisionnement de leur population qui ne peut être satisfait par des commerces sédentaires présents sur le territoire communal", il est douteux que la ville-métropole d'Orléans réponde à cette description, le quartier concerné n'étant par ailleurs pas dépourvu de commerces alimentaires. Pour le gouvernement, cette condition doit pourtant s'entendre de manière restrictive : les dérogations sont possibles "dans les cas où la suppression du marché poserait une difficulté d'approvisionnement", indique-t-il ainsi sur son compte twitter. Dans le même temps, Bercy annonce qu'un "guide de bonnes pratiques" destiné aux maires pour les aider à plaider l'ouverture de leur marché devant le préfet est en cours d'élaboration.

… ou restrictive du décret

Pour l'heure, la lecture restrictive du décret semble encore l'emporter, du moins chez nombre de représentants de l'État dans les départements. Au grand dam de plusieurs maires, comme celui de Toulouse, qui a "regretté" publiquement que le préfet de Haute-Garonne n'autorise, par arrêté du 24 mars, le maintien que de trois marchés couverts sur sa ville – et seulement de cinq autres sur l'ensemble du département. Position qui a également suscité la colère de la sénatrice Brigitte Micouleau alertant, dans une lettre ouverte, le Premier ministre sur "les refus drastiques du préfet" et déplorant que la décision du chef du gouvernement, dont elle craint qu'elle "se soit basée sur les images choquantes de certains marchés franciliens", pénalise "les commerçants vertueux". Rejoignant ici le président de l'Assemblée des départements de France, Dominique Bussereau.

Esprit du texte 

Les élus ne présentent toutefois pas un front commun et tâtonnent au gré des directives de l'État. En Loir-et-Cher, la ville de Vendôme s'en était ainsi d'abord tenue à l'esprit du texte – puisque le principe est, rappelons-le, l'interdiction : "Dans la mesure où le centre-ville, le quartier des Rottes et la périphérie de Vendôme disposent des commerces alimentaires de proximité pouvant répondre aux besoins de première nécessité, le respect de la décision [de fermer les marchés] s'impose", a d'abord expliqué la municipalité sur Facebook, tout en "regrettant l'impact de cette situation sur les producteurs locaux".  Avant, dans un second temps, de solliciter elle-aussi une dérogation, limitée toutefois à "un seul marché par semaine, exclusivement réservée aux producteurs – et non revendeurs – locaux, sous la surveillance de la police municipale", nous a précisé le maire Laurent Brillard. Se conformant ainsi à la ligne tracée par le préfet du département, qui a précisé par communiqué que les dérogations peuvent être accordées "dans le cas où l'on considère que le marché est indispensable à l'approvisionnement de proximité dans des conditions économiques raisonnables ou s'il s'agit d'une filière courte exclusivement alimentaire".

Rappelons en outre que certains maires avaient d'ailleurs pris les devants en interdisant la tenue de certains marchés avant même la publication du décret. Décret qui présente ici le mérite de reporter la responsabilité – si ce n'est juridique, du moins politique – de la décision sur l'État. Ce qui est tout sauf anecdotique à l'heure où la Fédération nationale des marchés vient de décider de saisir le Conseil d'État en référé pour contester le décret. La requête a reçu le soutien de nombreuses organisations professionnelles. Le Conseil d'État devrait rendre sa décision la semaine prochaine. "Les marchés alimentaires proposés par les professionnels qui se sont tenus ce week-end avec le soutien des maires et de la police municipale ont démontré leur capacité à sécuriser l’espace de vente pour organiser le respect des distances réglementaires entre les clients", arguait la fédération en début de semaine, avec une série de préconisations à la clé.

Conditions d'organisation plus ou moins strictes

L'hétérogénéité des décisions se retrouve également dans les conditions d'organisation imposées par les préfets aux organisateurs des marchés. Dans le Loiret, elles sont sommairement exposées : ventes limitées à des produits alimentaires, avec un espacement suffisant entre chaque étal permettant la fluidité de la circulation du public, respect des gestes barrières et une "fréquentation du public de manière simultanée limitée à 100 personnes". Une interprétation pour le coup particulièrement souple du dispositif puisque seuls semblent pris en compte ici les clients (le "public"), à l'exclusion des marchands eux-mêmes et du personnel chargé de veiller au respect des obligations, soit potentiellement une fréquentation dépassant le seuil des 100 personnes pourtant prescrit par le décret.
En Loir-et-Cher, les conditions sont plus drastiques. De manière générale, le préfet précise ainsi à l'attention des maires qui souhaiteraient déposer une demande de dérogation qu'ils devront mentionner, outre l'organisation physique du marché dans le respect des mesures barrières, "les conditions de contrôle de ces mesures par la municipalité et la liste nominative des exposants ainsi que leurs adresses", rappelant "que seuls seront autorisés à exposer les vendeurs de produits alimentaires locaux en circuit court". Concrètement, les mesures exigées varient en fonction des marchés : placiers filtrant la seule entrée prévue, ne permettant qu'un accès de 10 personnes à la fois, distance de 1,5 m entre chaque chaland imposée à l'extérieur, nettoiement par lingettes très régulièrement, absence de libre-service et présence de points de solution hydroalcoolique. Chaque arrêté indiquant nommément les commerçants autorisés à y participer.
En Haute-Garonne, dans le nouvel arrêté pris le 25 mars (abrogeant celui de la veille) : nécessité d'une ressource en eau potable à disposition des marchands et forains, d'une réserve d'eau propre et d'un dispositif de lavage/ou désinfection des mains, nécessité pour les marchands de se désinfecter les mains après manipulation d'objets potentiellement souillés (caisse, argent…).

Les "petits marchés" non concernés, mais…

Le préfet de Loir-et-Cher, particulièrement didactique, précise que "les points de vente réunissant au plus trois producteurs locaux ne sont pas considérés comme des marchés et ne justifient donc pas d'une demande de dérogation". Il précise néanmoins qu'ils doivent "être dûment autorisés par les maires qui en informent les forces de police et de gendarmerie (heures d'ouverture, lieu du point de vente, identité des producteurs autorisés)", les mesures barrières devant là encore "être strictement respectées et leur respect est placé sous la responsabilité du maire". L'occasion de souligner que si la responsabilité du maire pourra sans doute être difficilement recherchée au regard de l'avis, positif ou non, qu'il aura donné au préfet sur l'opportunité d'ouvrir un marché, elle pourra être plus facilement mise en cause dans le cas où les mesures d'organisation de ces marchés, petits ou grands, qu'il prendra et devra faire respecter pour assurer la sécurité de ses concitoyens – et de ses collaborateurs – seraient jugées insuffisantes.