Les circuits courts alimentaires pendant la crise : des collectivités en soutien
Après la fermeture des établissements scolaires et de leurs cantines, des restaurants puis de la plupart des marchés, nombre de petits producteurs se retrouvent sans débouché. Soutenus par des collectivités et des chambres d'agriculture, des gestionnaires de plateformes de vente en ligne, des associations et des citoyens, ces producteurs se mettent à d'autres formes de vente directe, souvent en collaborant à plusieurs. De nouveaux circuits courts qui tracent en urgence leurs sillons.
"Le développement des circuits courts de distribution de produits locaux est une politique forte de la Somme. La crise du Covid-19 en renforce la nécessité et celle de soutenir le monde agricole." Laurent Somon, président du département de la Somme, a annoncé le 3 avril sur Twitter l'ouverture de trois "drive fermiers" dans des collèges d'Abbeville, Péronne et Amiens. L'objectif : permettre aux habitants de "continuer à manger local et de qualité pendant le confinement", tout en offrant des solutions à des producteurs privés de leurs débouchés habituels – marchés, cantines et restaurants. À partir du 7 avril, la commande et le paiement en ligne pourront être effectués sur le site du département ; puis les distributions auront lieu deux fois par semaine "dans le strict respect des règles d’hygiène et des gestes barrières", selon un communiqué du 4 avril.
Vente directe de producteurs locaux : des collectivités mobilisées
La démarche vise d'abord la centaine de producteurs locaux déjà identifiés pour leur offre en circuits courts – dont les adhérents du réseau "Bienvenue à la ferme" porté par la chambre d'agriculture -, avant de "s’élargir aux autres agriculteurs prêts à intégrer la démarche".
Parmi les autres collectivités qui se sont d'ores et déjà mobilisées sur le sujet, citons la région Centre-Val de Loire et sa plateforme "produits frais locaux" de référencement des producteurs et artisans locaux. "Il y a péril pour nos producteurs qui se sont organisés pour fournir la restauration collective en circuit court et pour aller sur les marchés", avait alerté le président du conseil régional François Bonneau, au moment du lancement de la plateforme le 27 mars, selon l'AFP. Une démarche similaire est portée par la région Nouvelle-Aquitaine.
Au niveau départemental, de tels géoréférencements sont aussi disponibles, avec l'appui des chambres d'agriculture et souvent du département, dans l'Oise, la Drôme, la Haute-Vienne ou encore en Corrèze. Alors que beaucoup de communes relayent via leur site et les réseaux sociaux des informations sur les modes de distribution directs de leurs producteurs et commerçants, la ville de Saint-Flour (Cantal) s'est également lancée dans la vente en ligne et l'animation d'un drive de produits locaux. (1)
En Seine-et-Marne, une plateforme de commande et de livraison de produits alimentaires baptisée www.vivonslocal.org a été lancée ce 6 avril par la chambre de commerce et d’industrie, avec le soutien de l’Union des maires 77 et de l’Association des maires ruraux de France. Un outil mis à disposition de l’ensemble des commerçants sédentaires et non sédentaires touchés par les restrictions d’activité liées à la crise.
"Diffuser au maximum les alternatives fiables sur le plan sanitaire"
De telles initiatives sont autant d'échos favorables à l'appel lancé le 26 mars 2020 par la Fédération nationale d'agriculture biologique (Fnab) et la Confédération paysanne, suite à l'interdiction générale des marchés, à "diffuser au maximum les alternatives fiables sur le plan sanitaire aux marchés de plein air". Les deux organisations s'adressaient en particulier aux collectivités locales qui "disposent de moyens logistiques comme les transports scolaires, ou de bâtiments publics vides qu'ils pourraient mettre à disposition de groupes de paysans pour faciliter la livraison sur des points fixes ou carrément à domicile".
"Cette crise du Covid-19 ne doit pas détruire le travail quotidien que nous menons pour relocaliser la production et assurer la souveraineté alimentaire", peut-on lire sur le site de la Confédération paysanne. Elle ajoute que "rien ne justifie que [les espaces de distribution des grandes surfaces] soient plus protecteurs que les circuits en vente directe". Le syndicat compile avec la Fnab les différentes possibilités encore offertes à la vente directe, dont la vente à la ferme de produits de différents producteurs, autorisée sans dérogation préfectorale si seul le producteur de la ferme regroupe et commercialise l'ensemble des produits.
Plateformes de vente en ligne : création en urgence de nouveaux drives de producteurs
Des réseaux de distribution en circuits courts – Jardins de cocagne, Amap… -, des moteurs de recherche spécialisés – dont les annuaires des groupements départementaux d'agriculture biologique – et des plateformes de vente en ligne sont également recensés. Certaines plateformes "travaillent à l’intégration de nouveaux producteurs dans l’urgence", indiquent la Fnab et la Confédération paysanne. C'est le cas de Cagette.net, une solution sans commission déployée par la société coopérative de production (scop) Alilo.
Se rémunérant en temps normal sur la vente d'une formation à la vente directe intégrant l'accès à la plateforme, la scop a décidé, face à la crise, de mettre à disposition gratuitement sa technologie sous la forme d'un "kit d'urgence pour créer des drives de producteurs". "Depuis le 28 mars, plus de 300 producteurs se sont inscrits à notre kit d'urgence. Ils sont maraîchers, éleveurs, brasseurs, apiculteurs, paysans-boulangers... et ont en commun d'avoir perdu des débouchés de commercialisation", a précisé à Localtis Coline Forget, chargée de communication pour Cagette.net. La solution leur permet de créer rapidement un catalogue, de proposer des points-relais et d'ouvrir des créneaux de vente. La demande serait au rendez-vous, selon la scop Alilo qui estime que le nombre de commandes passées via son site a été multiplié par trois depuis le début de la crise sanitaire.
Par la plateforme, les producteurs ont également la possibilité d'identifier d'autres producteurs avec lesquels collaborer ou encore des groupements d'achat ou Amap (associations pour le maintien d'une agriculture paysanne) pouvant éventuellement accueillir de nouveaux producteurs.
Initiatives citoyennes
En effet, les initiatives associatives et citoyennes se multiplient pour adapter des groupements d'achat déjà existants au contexte de crise sanitaire ou pour en créer de nouveaux. A Captieux (Gironde, 1.300 habitants), un drive solidaire a ainsi été mis sur pied par une jeune association qui se destine à créer prochainement un tiers-lieu. Soutenue par plusieurs élus de la commune, l'association entend soutenir à la fois les producteurs locaux et les habitants rencontrant des difficultés pour s'approvisionner en produits bio. Relayée sur Facebook, la démarche s'appuie sur la plateforme Cagette.net, à disposition de tout groupement d'achat, y compris ceux qui seraient à l'initiative de collectivités.
Du côté des Amap qui ont obtenu l'autorisation de continuer à fonctionner sous certaines conditions, il a fallu d'urgence trouver de nouveaux points de distribution en extérieur – avec l'autorisation de la mairie – ou à la ferme, après la fermeture des lieux habituels tels que les gymnases, écoles ou foyers. Le Mouvement inter-régional des Amap (Miramap) diffuse régulièrement des informations utiles sur son site, alors que plus de 2.000 Amap seraient actives en France.
Parallèlement à des démarches de plus grande ampleur telles que la plateforme de livraison à domicile du marché de Rungis ou aux discussions avec la grande distribution concernant les productions locales d'un certain volume, ces initiatives suffiront-elles à éviter trop de casse parmi les petits producteurs privés de leurs débouchés habituels ? Le Miramap appelle d'ores et déjà à "construire l'après-crise", à s'appuyer sur les futurs plans de relance pour un "renouvellement de notre système agricole et alimentaire". A savoir : "une relocalisation massive de nos productions agricoles et un changement de gouvernance dans la gestion du foncier, pour que les terres assurent la sécurité alimentaire de chaque territoire".
D'ici là, il importe pour France urbaine de recenser l'ensemble des initiatives qui se développent sur les territoires "afin d’accompagner au mieux tous les territoires", selon un communiqué du 2 avril. L'association d'élus vient de lancer, avec Resolis et Terres en villes, une enquête auprès de ses membres sur ces "stratégies alimentaires territoriales" actuellement bouleversées (voir notre article du 1er avril 2020).
(1) Des collectivités font également le choix de maintenir une partie de leur cuisine centrale en fonctionnement, pour contribuer aux livraisons de repas aux personnes isolées ou encore aux soignants, ou soutenir les associations de l'aide alimentaire comme en Saint-Saint-Denis.