Budget pluriannuel de l'UE : retour à la case départ ?
La présidente de la Commission européenne a annoncé vouloir modifier le projet de cadre financier pluriannuel 2021-2027 pour y adjoindre un plan de relance dans le cadre de la crise du coronavirus. Compte tenu de la récession économique à venir, la voie semble toutefois étroite, alors que les négociations sur l'actuel projet – présenté en mai 2018 – sont enlisées. Le Parlement européen juge plus que jamais nécessaire un plan d'urgence pour éviter l'arrêt des programmes au 1er janvier.
"Pour garantir la reprise, la Commission proposera des modifications dans la proposition du cadre financier pluriannuel (CFP) qui […] comprendra un plan de relance qui garantira le maintien de la cohésion au sein de l'Union par la solidarité et la responsabilité." L'annonce, faite samedi dernier, par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen est passée quasi-inaperçue. Elle n'en est pourtant pas moins essentielle, alors que les négociations autour du budget pluriannuel 2021-2027 sont enlisées.
Déclaration sibylline
Pour l'heure, impossible toutefois d'en savoir davantage. Interrogée par Localtis, la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne a indiqué n'avoir "pas de plus amples informations au-delà de l'annonce, ni sur le calendrier, ni sur le contenu".
Compte tenu de l'ampleur de la crise – sanitaire actuelle et économique à venir – il apparaît plus que logique que le cadre financier pluriannuel – qui engage l'action européenne pour les sept années à venir – en tienne compte. La Commission a d'ailleurs d'ores et déjà commencé çà et là de le faire, en plaidant notamment pour le quasi-triplement du budget mécanisme de protection civile européen.
Reste que les marges de manœuvre apparaissent plus que jamais étroites. Les "Frugal Five" (Allemagne, Autriche, Danemark, Pays-Bas et Suède) accepteront-ils de lâcher un peu de lest ? Lors des dernières discussions sur le projet de mutualisation des dettes européennes via des obligations (les fameux "Corona bonds"), les Pays-Bas ne semblaient guère enclins à plus de souplesse, même si le tollé provoqué par les déclarations de son ministre des Finances Wopke Hoekstra – proposant d'ouvrir une enquête afin de déterminer "pourquoi certains pays ne disposent pas des réserves financières nécessaires pour mieux faire face au choc économique" – semble avoir quelque peu fragilisé leur position. Il est toutefois douteux que la contribution des États membres puisse augmenter indéfiniment alors que leurs budgets vont être victimes d'un redoutable effet ciseaux – baisse des rentrées fiscales, augmentation des dépenses de solidarité. Et la piste des ressources propres, pour l'heure barrée par l'opposition allemande, ne sera pas la panacée.
Pour autant, la commission des budgets du Parlement européen invite la Commission, dans un communiqué publié jeudi 2 avril, "à sortir des sentiers battus en présentant une proposition de CFP révisée nettement plus ambitieuse que sa proposition initiale de mai 2018, avec une révision adéquate de sa proposition sur la réforme du système des ressources propres si nécessaire pour obtenir une plus grande marge de manœuvre budgétaire".
Le temps presse
Comme elle l'avait déjà fait le 17 mars dernier dans un projet de rapport, la commission parlementaire a en outre une nouvelle fois plaidé pour l'adoption d'"un plan d'urgence du cadre financier pluriannuel" afin de protéger leurs bénéficiaires d'un éventuel arrêt des programmes de l'Union à compter du 1er janvier prochain, compte tenu du "risque désormais tangible" que le prochain CFP ne soit pas arrêté à temps pour entrer en vigueur à cette date.
En effet, relèvent les parlementaires, s'il est bien prévu une prorogation automatique et temporaire des plafonds et d'autres dispositions de la dernière année du cadre actuel – qui se traduirait par un plafond global de 162,2 milliards d'euros aux prix de 2018, ce qui équivaudrait à 1,15% du revenu national brut de l'Union à 27 –, les "actes de base* d'un nombre considérable de programmes de dépenses actuels contiennent toutefois des dates d'expiration qui, associées à un manque de préparation opérationnelle, pourraient compromettre ce filet de sécurité". Aussi demandent-ils à la Commission de présenter, au plus tard le 15 juin prochain, "une ou plusieurs propositions législatives pour lever ou proroger" ces délais et pour actualiser les montants financiers concernés sur la base d'une prolongation technique des montants déjà convenus en 2020, majorés de 2 %".
Un mal pour un bien ?
Dans ce rapport, la commission parlementaire n'est pas tendre avec l'exécutif européen. Rappelant l'avoir "mis en garde à plusieurs reprises" contre ce risque d'un "arrêt des programmes" – shutdown (fermeture) dans la version originale, renvoyant à la situation américaine –, elle souligne que "le Conseil européen a déjà prorogé à plusieurs reprises le délai pour parvenir à un accord politique sur le CFP, réduisant ainsi de facto la possibilité d'assurer une transition en douceur", ou encore que la présidence finlandaise du Conseil n'a présenté les premiers chiffres "qu'en décembre 2019, soit plus de 18 mois après les propositions de la Commission", et ce en outre en ne tenant "absolument pas compte de la position du Parlement". La situation devient d'autant plus pressante après le nouveau train de mesures annoncées par la Commission pour faire face à l'urgence.
* Actes de droit dérivé (règlement, directive ou décision) énonçant les objectifs et les conditions de l’exécution budgétaire.