Fonds structurels : peur sur les petites villes
Les 27 ne sont toujours pas parvenus à un accord sur le futur cadre financier pluriannuel 2021-2027. L’Association des petites villes de France s’inquiète d'une adoption tardive et invite la Commission européenne à adopter un "filet de sécurité". Avec le CCRE, elle appelle en outre l’Union européenne à ne pas sacrifier les fonds structurels sur l’autel des nouvelles priorités de l’Union (climat, migrations…). D'après les calculs du CCRE, la proposition finlandaise tablerait sur une baisse de 12 milliards d'euros des crédits de la politique de cohésion.
"Nous ne pouvons accepter que [les] nouvelles priorités soient financées sur le dos des politiques de solidarité européennes." C’est avec gravité que le président de l’Association des petites villes de France (APVF), Christophe Bouillon, vient de faire part de ses préoccupations dans une lettre datée du 17 octobre à l’actuel président de la Commission européenne et à plusieurs ministres français, alors que les négociations du prochain cadre financier pluriannel (CFP 2021-2027), le budget à long terme de l’Union, entrent dans une phase décisive. Les dirigeants européens ne sont toujours pas parvenus à s'entendre lors du conseil des 17 et 18 octobre, à l’issue duquel la présidence finlandaise s'est vue invitée à présenter un nouveau cadre de négociation, assorti de chiffres, avant la réunion du Conseil européen de décembre 2019.
"Il est temps de produire des résultats"
Comme le présageait l'APVF dans son courrier, la perspective d'une adoption rapide est compromise. Les maires de petites villes demandent à la Commission de publier "un plan de contingence qui agirait comme un filet de sécurité" prolongeant les politiques actuelles en cas de retard. Une inquiétude partagée par Isabelle Boudineau, présidente de la commission Coter du Parlement européen, qui avait souligné que tout retard "aurait une incidence directe sur la lutte contre la crise climatique et amplifierait encore les inégalités sociales et territoriales croissantes" lors d’une réunion commune avec le Comité européen des régions le 8 octobre. Mais aussi par la Commission elle-même. "Il est temps de produire des résultats", avait-elle ainsi tonné le 9 octobre, alors que les différentes parties prenantes s’étaient fixé en juin dernier l’objectif qu’un accord définitif sur le CFP soit conclu "avant la fin de l’année". À défaut, elle avait aussi prédit "des retards et blocages au moins aussi graves que ceux que l’on a connus au début de la période actuelle et dont les effets ont été ressentis dans tous les États membres en 2014 et 2015".
Un CFP à la baisse
Mais plus encore que ce retard, les élus s'inquiètent des coupes dans le budget de la politique de cohésion, comme le laisse penser la proposition de la présidence finlandaise. Le Conseil des communes et régions d’Europe (CCRE) parle même de "taille à la hache" des fonds structurels (Feder, FSE Feader…) et invite l’Union à revoir ses plans. Helsinki propose un budget total compris entre 1,03 et 1,08% du RNB (revenu national brut) de l'Europe à 27. Bien moins que ce que la Commission avait proposé (1,114%, soit 1.135 milliards d’euros), sachant que le Parlement était favorable au contraire à une augmentation du budget à 1,3% du RNB. Alors que le budget doit servir à financer de nouvelles priorités, la politique de cohésion pourrait servir de variable d'ajustement : selon le CCRE, le manque serait de 12 milliards d'euros par rapport à la proposition de la Commission. "Si elles ont lieu, ces coupes creuseraient d’autant plus les inégalités qui touchent déjà beaucoup nos citoyens", s'insurge Frédéric Vallier, le secrétaire général du CCRE, cité dans un communiqué.
Les chances que la demande – déjà exprimée précédemment, en vain – soit entendue semblent toutefois minces, en dépit du soutien renouvelé du Parlement européen (1) : "Couper le budget [cohésion], c’est le début du renoncement et une victoire offerte aux europhobes. Nous empêcherons cela", avait ainsi promis Younous Omarjee, président de la commission Regi (développement régional), lors de la même réunion du 8 octobre dernier. Or le Parlement se dit prêt à rejeter ce budget s'il n'obtient gain de cause.
De telles "nouvelles réductions substantielles auraient un impact immédiat sur le niveau de l’aide apportée par l’UE au niveau régional, ainsi qu’aux agriculteurs, aux étudiants et aux chercheurs européens", avertit aussi la Commission.
Des fonds structurels qui ne sont plus prioritaires
Depuis l’adoption de son train de mesures au printemps 2018, la Commission n’a guère modifié ses priorités – recherche, innovation et transition, jeunesse (notamment mobilité étudiante), gestion des frontières extérieures, immigration et asile, sécurité et action extérieure – si ce n’est pour renforcer davantage encore les fonds pour le climat (320 milliards euros sur la période 2021-2027, plus de 25% de l’enveloppe), qui a les faveurs de la nouvelle présidente Ursula von der Leyen. Cette dernière est favorable à la création d'un "fonds pour la transition juste" pour aider certaines régions comme la Silésie (Pologne) à sortir du Charbon. Une idée qui a la faveur du CCRE avec cette réserve : ce fonds ne doit pas "constituer un simple réemballage des fonds de cohésion existants, mais plutôt être ajouté au budget existant".
"Consciente des contraintes budgétaires nationales", l’APVF souligne pour sa part que de "nouvelles ressources propres permettraient à l’Union de financer un budget plus ambitieux", rappelant qu’elles "constituaient 90% de l’origine du budget européen en 1988 alors qu’en 2013, c’est 80% du budget qui provenait de la contribution individuelle des États membres". La Commission entend bien les développer, notamment via un nouveau système d'imposition des entreprises, les recettes du système d'échange de quotas d'émission et une taxe sur les plastiques non recyclables. Elle entend également profiter du départ du Royaume-Uni pour mettre un terme aux "rabais" dont profitent jusqu’ici les États-membres "les plus riches" (Danemark, Allemagne, Pays-Bas, Autriche et Suède). Les négociations promettent d’être serrées. D’autant que l’adoption du CFP nécessite l’unanimité au sein du Conseil…
(1) Si l’approbation du Parlement est requise pour l’adoption du CFP, il ne peut amender ce dernier, mais seulement approuver ou rejeter la position du Conseil.