Education supérieure - Les villes moyennes font les frais du modèle d'universités à deux vitesses
"Le modèle 'hors métropole point de salut' sacrifie des villes grandes et moyennes, y compris des villes comme Rennes ou Nantes", a dénoncé Yves Jean, président de l'université de Poitiers, lors de la journée organisée par Villes de France (ex-Fédération nationale des villes moyennes), le 12 juin, sur le thème "Villes et universités, réussir ensemble !". Il alerte contre le "risque d'une université française à deux voire trois vitesses", distinguant "celles qui bénéficieront d'un soutien aux investissements 'dits d'avenir' et les autres - qui accueillent tout de même la moitié des étudiants - délaissées par les soutiens publics".
Tout au long de la journée, les présidents d'universités de villes moyennes ont exprimé leur sentiment que le gouvernement, à travers les appels à projets "Idex" financés à hauteur de 10 milliards d'euros via le programme d'investissements d'avenir (voir notre article du 30 septembre 2014), privilégie les universités métropolitaines de rang mondial.
"Dans quelques années, il ne restera plus dans le Grand Ouest que des IUT"
"Des financements exceptionnels et particulièrement volumineux viennent arroser là où c'est abondamment mouillé ou gorgé d'eau", résume Olivier Lecucq. Et le vice-président de l'université de Pau et des Pays de l'Adour de s'interroger : "Ce modèle ne viendra-t-il pas affaiblir l'université française dans son ensemble ?"
Rachid El Guerjouma est d'accord : "Le PIA mettra des moyens là où il y en a déjà !" Pour le président de l'université du Maine Le Mans-Laval, vice-président de la Comue Nantes-Angers-Le Mans, "cela va à l'encontre de ce que les députés votent", en référence à la loi Fioraso qui a reconnu et institué plusieurs formes de coordination territoriale, dont la Comue (communautés d'universités et d'établissements) et la fusion d'établissements d'enseignement supérieur (voir notre encadré ci-dessous). La Comue telle qu'elle a été créée par la loi repose sur "la collaboration et la synergie, mais dans son organisation, elle ne répond pas à l'esprit des investissements d'avenir", dénonce Rachid El Guerjouma. D'ailleurs, le dernier appel à projets du PIA aurait clairement privilégié les fusions. Si bien que le vice-président de la Comue Nantes-Angers-Le Mans en arrive à se demander "quelle est la politique de l'Etat pour le grand Ouest ? On n'a toujours pas d'Idex, cela fait trois fois qu'on échoue à l'appel à projets. Et on n'a pas eu de réponse de la tutelle." "Dans quelques années, il ne restera plus dans le Grand Ouest que des IUT", prophétise-t-il.
S'il n'y a plus de recherche, c'est "sclérosant pour l'innovation"
"Ce serait une erreur de dissocier la formation de la recherche. Si, dans les villes moyennes, il n'y a plus de recherche, il n'y a plus de doctorant, il n'y a plus de master, il ne restera plus que du premier cycle, ce qui serait sclérosant pour l'innovation", renchérit Christine Gangloff-Ziegler, présidente de l'université de Haute-Alsace. Elle observe que "la petite université favorise la transdisciplinarité". Un atout de taille quand "on sait que l'innovation naît des interfaces".
La souplesse des petites structures est également un atout pour les bonnes relations avec l'environnement économique local. A l'heure où le concept d'"écosystème économique" est à la mode, la présidente de l'université de Haute-Alsace a un mot d'ordre : "faire de notre réactivité notre stratégie".
"L'innovation est dans l'interdisciplinarité." Cette fois-ci, c'est un chef d'entreprises qui le dit. Claude Deffaugt, président du club des entreprises de l'université Savoie Mont Blanc, appelle les politiques à s'interroger sur une université qui "permettrait de s'adapter aux évolutions de notre monde complexe et mobile". Pour lui, il faut sortir du débat sur les structures universitaires : "Le projet est plus important que la structure", assure-t-il.
Une politique nationale rivée sur les classements internationaux
Encore faut-il convaincre que le "small" peut être "beautiful". Ce qui n'est pas gagné au regard de la politique gouvernementale engagée depuis 20 ans, à en croire le rappel historique de Yves Jean, président de l'université de Poitiers, mais aussi géographe (il a à ce titre dirigé un master de prospective territoriale). Après avoir encouragé la "massification" de l'enseignement supérieur, dans le cadre du projet "Université 2000", et par là-même la construction d'universités dans les villes moyennes, le premier tournant se serait opéré au milieu des années 90. Les universités et les collectivités sont alors entrées en concurrence pour attirer les étudiants, les villes moyennes ayant rapidement compris l'intérêt des universités pour dynamiser l'économie locale.
Mais en 1997, le schéma de services collectifs de l'enseignement supérieur et de la recherche aurait posé le principe que, désormais, la logique métropolitaine prévaut à celle de l'aménagement du territoire. Les choses ne s'arrangent pas dans les années 2000 avec, à partir de 2005, une politique nationale rivée – même si elle s'en défend – sur les classements internationaux, avec l'idée (que Yves Jean conteste) d'une "corrélation entre l'excellence d'une université et sa taille". Dès lors, comment s'étonner que les deux appels à projets "dits d'excellence" aient été raflés par les universités de métropoles ?
"Il est plus simple d'aller chercher des ressources à Saragosse qu'à Pau"
"Il ne s'agit pas d'opposer les métropoles au reste de la France. Tout le monde se félicite de voir davantage d'établissements français dans le classement de Shanghai. Mais est-ce que ce modèle va conduire à des universités à plusieurs vitesses ?", interroge également Olivier Lecucq. "On peut craindre que le plus fort dicte sa loi", ajoute le vice-président de l'université de Pau et des Pays de l'Adour.
"Il est plus simple d'aller chercher des ressources à Saragosse qu'à Pau… Demain ce sera encore pire avec la grande région, ce sera plus cadenassé, c'est une évolution inquiétante", a souligné son voisin Gilles Craspay, adjoint au maire de Tarbes, directeur du centre universitaire Tarbes Pyrénées. "Ce dont on a besoin, ce n'est pas forcément compliqué, ce ne sont pas forcément des financements, c'est de la souplesse. Aujourd'hui tout ce qui se met en place va vers de la contrariété, de la complexité", s'est-il désolé.
D'autant que "les Comue n'apparaissent pas dans les classements internationaux alors que c'était le fondement de leur création", indique Eric Brunat, ancien vice-président aux relations européennes et internationales de l'université Savoie Mont Blanc, économiste-conseiller aux Nations unies (Pnud / Programme des Nations unies pour le développement).
Utiliser une partie du crédit impôt recherche pour développer les relations avec les entreprises
"Je ne suis pas là pour dévoiler la stratégie cachée de l'Etat, car je l'ignore", s'est défendue Marie-Hélène Granier-Fauquert, directrice générale adjointe de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnel au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Elle a toutefois reconnu que les crédits consacrés à l'université dans les CPER étaient moitié moindres "par rapport à la précédente programmation". Ils ne représentent plus que "le quart des besoins de financement des projets", admet-elle. "Il faut réfléchir à la meilleure façon de mobiliser les ressources", a-t-elle ajouté. Elle a par ailleurs rappelé que les dotations aux universités s'élevaient à "environ 15 milliards d'euros par an" et qu'il ne fallait pas sur-exagérer les ressources extrabudgétaires qui, même si elles s'élèvent à 10 milliards d'euros en tout, ne comptent que "pour quelques dizaines de millions d'euros" chaque année.
Rachid El Guerjouma a fait une proposition à la représentante du ministère de l'Education : utiliser une partie du crédit impôt recherche en fixant une contrepartie pour développer les relations entre les entreprises et leurs territoires. Histoire de reconnaître et soutenir les fameux "écosystèmes économiques". Et de ne pas totalement renoncer à une politique d'aménagement du territoire.
Valérie Liquet et Michel Tendil
La coopération et le regroupement des établissements dans la loi Fioraso
Selon la loi du du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, dite loi "Fioraso", les établissements publics d'enseignement supérieur et les organismes de recherche partenaires coordonnent leur offre de formation et leur stratégie de recherche et de transfert sur un territoire donné qui peut être académique ou interacadémique. L'organisation de la coordination territoriale peut prendre trois formes : la création d'un nouvel établissement d'enseignement supérieur issu de la fusion de plusieurs établissements ou le regroupement, qui lui-même peut prendre deux formes : la participation à une communauté d'universités et établissements (Comue) ou l'association entre établissements.
A noter que le conseil d'administration de la Comue comprend des représentants des collectivités territoriales, dont au moins un de chaque région concernée, ainsi que des EPCI.
La coordination territoriale est organisée, pour un territoire donné, par un seul établissement d'enseignement supérieur (*) : selon les cas, ce sera le nouvel établissement issu d'une fusion, la Comue lorsqu'elle existe, ou l'établissement avec lequel les autres établissements ont conclu une convention d'association.
V.L.
(*) sauf, par dérogation, dans les académies de Paris, Créteil et Versailles, où plusieurs établissements peuvent assurer la coordination territoriale.