Enseignement supérieur - Admission Post-Bac : les villes moyennes trop peu visibles ?
Admission Post-Bac (APB), le "portail national de coordination des admissions dans l'enseignement supérieur", a "été mis en place pour simplifier les démarches en regroupant sur un seul site l'ensemble des formations de l'enseignement supérieur", résume d'emblée la page mode d'emploi de ce site mis en place par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Il constitue désormais le passage obligé des futurs bacheliers pour formuler leurs voeux de poursuite d'études. La première phase d'information et d'inscription se clôture dans deux semaines, dès le 20 mars. La généralisation d'APB pour les préinscriptions datant de 2008, a priori, rien ou presque ne devrait dérouter les jeunes et leurs familles.
Sauf que... le portail est loin d'être aussi exhaustif qu'il le prétend. Certes, on savait que certaines formations avaient fait le choix de ne pas jouer le jeu d'APB : il y a bien des établissements "hors-APB", le plus souvent des formations prestigieuses ou sélectives telles que l'université Paris Dauphine, les instituts d'études politiques (IEP) ou certains réseaux d'écoles d'ingénieurs. Un cas particulier déjà identifié.
Mais on s'aperçoit aujourd'hui que bien d'autres formations ne sont pas listées sur APB. C'est la Fédération des villes moyennes (FVM), qui a levé le lièvre dès le mois de janvier, presque par hasard. Mobilisée depuis longtemps sur la question de l'enseignement supérieur – et principalement, bien sûr, sur le maintien des sites de formations en ville moyenne -, la fédération avait en effet jugé bon de tester le système APB sur une dizaine de villes, en effectuant des recherches géographiques. Elle s'est alors rendu compte que dans près de la moitié des cas, les résultats fournis par le moteur de recherche étaient défaillants : de nombreuses formations accessibles aux bacheliers n'étaient pas recensées. Elle en a rapidement averti le ministère. Mais le courrier de son président, Christian Pierret, au ministre Laurent Wauquiez, daté du 7 février, est jusqu'ici resté sans réponse. Parallèlement, certaines villes avaient tiré la sonnette d'alarme en s'apercevant que certaines formations implantées sur leur territoire n'apparaissaient pas sur APB. Lorsque les dysfonctionnements résultaient de simples problèmes informatiques, ils ont généralement été résolus. Mais visiblement, la technique n'est pas seule en cause.
Mise en garde
"Contrairement à ce qui est dit, ce ne sont pas toutes les formations qui sont sur APB", indique-t-on à la FVM, précisant par exemple que les écoles d'infirmières, comme d'autres formations du secteur paramédical, n'y figurent pas. Et que pour plusieurs secteurs, les choses restent très "aléatoires" : formations dépendant du ministère de la Culture (on ne trouve sur APB que 17 écoles d'art sur toute la France), classes préparatoires (il en manque quelques-unes), centres consulaires de formations (on trouvera par exemple celui d'Agen mais pas celui de Saint-Lô), BTS agricoles, formations par apprentissage ou BTS sous contrat de professionnalisation...
Le minimum, estime la fédération, serait donc qu'une mise en garde figure en bonne place sur le portail. En espérant qu'en parallèle, sur le terrain, les CIO et autres acteurs de l'orientation soient très présents pour apporter aux jeunes les compléments d'information nécessaires. Ceci alors même que le ministère déclarait en janvier dernier, à l'occasion de l'ouverture de la session 2012 d'APB : "Ce portail est un outil essentiel pour donner aux étudiants la vision la plus complète possible des formations accessibles après le baccalauréat. L'orientation est un enjeu majeur, notamment pour les classes moyennes modestes et défavorisées qui ne disposent pas forcément des bons réseaux pour les aider à s'orienter dans le système d'enseignement supérieur."
Certaines villes sont particulièrement mal loties. Ainsi par exemple, un jeune originaire de Saint-Brieuc souhaitant ou devant rester dans sa ville pour poursuivre ses études pourra, selon APB, demander une inscription en classe préparatoire, en BTS ou en DUT, mais pas préparer une licence... alors que le pôle universitaire de Saint-Brieuc, qui dépend de l'université de Rennes 2, propose plusieurs licences. En cherchant bien, on constatera que la liste des formations universitaires est en fait centralisée sur Rennes, sans distinction des sites d'enseignements.
Pour Cholet au contraire, on trouve bien les licences dépendant de l'université d'Angers, mais pas les deux DUT existants. Et l'on pourrait multiplier les exemples en allant chercher du côté de Rodez, de Saint-Nazaire, de Troie ou d'ailleurs.
La FVM n'exclut pas que tout cela soit le reflet d'une vision quelque peu "centralisatrice" de certaines universités. Une vision qui colle mal à celle de "maillage territorial" promue par les élus des villes moyennes. De là à penser que certaines universités, confrontées à des problèmes budgétaires et donc soucieuses de rationnaliser leurs coûts, ne verraient pas forcément d'un mauvais œil la fermeture de telle ou telle antenne...
L'étudiant et son territoire...
Or selon la FVM, le risque est clair : que l'absence d'une formation sur APB réduise très sensiblement ses effectifs étudiants et que du coup, "on nous dise qu'il n'y a plus suffisamment de demande et que l'existence même de cette formation soit remise en cause". Or pour les villes moyennes, il est "très important d'avoir ces formations, afin d'apporter une main-d'oeuvre qualifiée à nos territoires". Et parce que la présence d'une population étudiante est évidemment un levier en termes de vitalité culturelle, commerciale, sociale, sportive...
Pour toutes ces raisons, ces villes apportent des moyens financiers parfois importants en faveur, par exemple, de l'IUT de leur agglomération. Et ce, que ce soit au niveau des locaux, des équipements, des logements étudiants, des services aux jeunes ou des transports... Sans oublier leurs actions sur l'insertion professionnelle des jeunes diplômés, notamment dans la mise en lien avec les acteurs économiques du territoire. Certaines villes en seraient même à financer des postes, même si cela sort clairement de leur champ de compétences.
Les élus insistent en outre sur le fait que la présence de formations post-bac dans ces villes est indispensable si l'on veut pouvoir continuer à parler de démocratisation de l'enseignement supérieur. "La démocratisation de l'accès aux universités semble avoir plus de sens en rapprochant l'enseignement des étudiants que l'inverse", résume l'un d'eux. Une question d'accès au logement et de moyens financiers des familles bien sûr. Mais aussi, pour certains, une question presque culturelle. "La présence d'antennes universitaires dans nos villes encourage beaucoup de jeunes à poursuivre leurs études, alors qu'une bonne partie d'entre eux y auraient sans doute renoncé s'ils avaient dû rejoindre la capitale régionale. On nous dit que des bourses pourraient leur être proposées. Mais ce ne serait sans doute pas suffisant pour qu'une famille modeste accepte que son enfant parte faire ses études ailleurs", expliquait déjà en 2009 Bruno Bourg-Broc, alors président de la fédération. Cette dimension sera-t-elle prise en compte dans le rapport que le ministre de l'Enseignement supérieur a confié à Salima Saa, présidente de l'Acsé, sur la "relance de l'ascenseur social dans l'enseignement supérieur" ? Elle ne l'était pas, en tout cas, dans la communication sur "l'ouverture sociale dans l'enseignement supérieur" que Laurent Wauquiez a présentée la semaine dernière en Conseil des ministres.
Claire Mallet
Le devenir des IUT en question
La Fédération des villes moyennes est sans doute plus sensible que jamais à la question de l'enseignement supérieur du fait du contexte critique que connaissent actuellement les instituts universitaires de technologie (IUT), lesquels représentent plus du tiers des étudiants en ville moyenne. On compte en France 115 IUT implantés dans plus de 250 villes et 160.000 étudiants. Les moyens alloués aux IUT seraient en effet en baisse. En cause, le fait que depuis la loi LRU, les IUT dépendent budgétairement de leur université de rattachement. Plusieurs circulaires, certes, sont venues préciser que chaque université doit élaborer des contrats d'objectifs et de moyens (COM) avec les IUT qui dépendent d'elle, contrats devant être joints au contrat quadriennal signé entre l'Etat et l'université. Histoire, notamment, de garantir à chaque IUT la hauteur de son budget et une certaine autonomie de gestion. Or il s'avère que de nombreux COM n'ont pas été réalisés, ce qui n'a pas empêché le ministre de signer les contrats quadriennaux. Certaines universités ont expliqué que les circulaires en question n'avaient pas de valeur normative. Les représentants des IUT sont montés au créneau, les interpellations de parlementaires et élus locaux se multiplient, une pétition a même été lancée… "Cet affaiblissement conduira à remettre en cause la cohérence nationale du réseau des IUT, de leurs missions, puisque leur traitement deviendrait inégal selon la politique menée par chacune des universités de tutelle. C'est le caractère national du diplôme DUT à travers la LRU qui se trouve ainsi mis en jeu", détaille par exemple Claude Bérit-Débat, sénateur de la Dordogne, dans une question écrite déposée il y a quelques jours. A la FVM, on explique aussi que la taxe d'apprentissage que percevaient certains IUT est aujourd'hui perçue directement par l'université, laquelle ne la reverse pas toujours à l'IUT. Et surtout, on considère que ces dysfonctionnements interviennent à un moment où "qu'il s'agisse du plan Campus, du programme Investissements d'avenir, de la logique des pôles d'excellence... tout participe d'un même mouvement de concentration".
C.M.