Prévention des risques - Les sénateurs unanimes pour mieux prendre en compte le risque de submersion marine
Les sénateurs ont adopté à la quasi-unanimité en première lecture le 3 mai 2011 la proposition de loi visant à mieux prendre en compte le risque de submersion marine. Seul le groupe CRC-SPG (communiste et parti de gauche) s'est abstenu lors du vote. Le texte, issu des travaux des sénateurs Bruno Retailleau (non inscrit, Vendée) et Alain Anziani (PS, Gironde) qui ont été respectivement président et rapporteur de la mission d'information sénatoriale sur les conséquences de la tempête Xynthia, entend tirer les leçons de ce mini raz de marée qui a frappé le littoral atlantique, notamment la Charente-Maritime et la Vendée, le 28 février 2010, faisant une cinquantaine de morts. Les deux sénateurs avaient déposé, fin 2010, deux propositions de loi identiques qui, lors de la discussion en commission, ont été fusionnées en une seule.
"Désormais il y aura un avant Xynthia et un après Xynthia", s'est félicité Roland Courteau (PS, Aude). "La France était très mal préparée, faute d'une culture du risque. Nous vivons avec la fausse idée d'un risque zéro. On doit prendre nos responsabilités en adoptant les dispositions excluant la répétition d'un tel drame", a indiqué Bruno Retailleau, rapporteur de la proposition de loi. "La France a subi 670 catastrophes naturelles en dix ans soit 67 par an, incluant la canicule, mais aussi les avalanches, les tempêtes et les inondations. Le coût en vie humaines est considérable, avec 15.000 morts", a égrené Alain Anziani. "Notre mission a dénoncé les insuffisances du système d'alerte, des prévisions météorologiques, de la prévention, des plans d'occupation des sols et de l'entretien des digues", a-t-il ajouté. "Nous avons constaté, ce qui nous a laissé pantois, que le risque de submersion était ignoré par notre droit. Pourtant 864 communes sont entre zéro et 2 mètres au-dessous du niveau de la mer. Or, seuls existaient 46 plans de prévention des risques naturels. Quant aux plans communaux de sauvegarde, ils étaient quasi inexistants", a-t-il poursuivi. "Une culture du risque à la française reste à créer", a reconnu Benoist Apparu, secrétaire d'Etat au Logement, qui a apporté le soutien du gouvernement à la proposition de loi.
"Pour que le droit à la vie l'emporte sur le droit de l'urbanisme"
Le texte propose d'abord de mieux prendre en compte les risques d'inondation spécifiques au littoral en les intégrant dans les documents existants : schéma directeur de prévision des crues, plan de gestion des risques d'inondation et plan de prévention des risques. Il prévoit de "faire coïncider la carte du risque et la carte d'occupation des sols". Il s'agit "d'affirmer que le droit à la vie l'emporte sur le droit de l'urbanisme", a expliqué Alain Anziani. Les maires auront un an pour mettre en conformité les plans locaux d'urbanisme (PLU) avec les plans de prévention des risques (PPR) naturels prévisibles. Il sera interdit de délivrer des permis tacites dans les zones délimitées par les PPR, soumises à des risques particulièrement graves. Les préfets pourront suspendre un projet non-conforme et se substituer à une commune qui ne modifie pas son PLU.
Un volet, inspiré des Pays-Bas, est consacré aux digues. Il rend notamment obligatoire un rapport d'évaluation des digues, instaure un financement pérenne des travaux grâce à la nouvelle taxe d'aménagement et clarifie leurs régimes de propriété pour pouvoir agir en cas d'abandon de digues. Le texte ambitionne enfin de "sensibiliser la population à la culture du risque", avec obligation de plans communaux de sauvegarde comportant des exercices de simulation et d'évacuation. Une journée nationale de prévention sera instaurée comme au Japon.
Les principaux amendements adoptés
Une dizaine d'amendements ont été adoptés lors de l'examen du texte en séance. L'un consiste à entériner le principe dit de transparence des digues selon lequel dans la délimitation du zonage des plans de prévention des risques (PPR) les surfaces qui seraient atteintes par les eaux si les digues venaient à être rompues ou submergées, doivent être considérées comme inondables. Un autre propose que les plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) traitent simultanément mais de façon spécifique les risques de crues et les risques littoraux, dont les submersions marines. Un amendement a aussi ajouté un nouvel article au texte pour insérer un nouveau chapitre dans le Code de l'environnement sur l'alerte aux tsunamis. Il pose notamment le principe de la responsabilité de l'Etat dans l'organisation de la surveillance, de l'alerte et de la transmission de l'information sur les tsunamis. Autre modification : l'évaluation globale des ouvrages de défense contre les inondations et les submersions devrait avoir lieu tous les deux ans et non tous les trois ans comme prévu initialement et porter non seulement sur l'état mais sur le fonctionnement de ces ouvrages.
Un article additionnel prévoit que la mise en cohérence des choix d'urbanisation avec la gestion des risques d'inondation concerne aussi les projets d'infrastructures de transport. Il propose que l'étude d'impact environnemental visant certains projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagement comprenne une étude des effets du projet sur l'environnement ou la santé humaine mais aussi sur la gestion des risques naturels majeurs. Dans le cadre des programmes de gestion du risque d'inondation (PGRI), les dispositions permettant la réduction de la vulnérabilité des territoires face à ces risques devront donc comprendre à la fois "des mesures pour la maîtrise de l'urbanisation et la cohérence du territoire et la cohérence des projets d'infrastructures de transport au regard du risque d'inondation".
Au nom de la commission des lois, Dominique de Legge (UMP-Ille-et-Vilaine) a défendu un amendement prévoyant que l'autorité gestionnaire du PLU ou de la carte communale prenne position dans un délai maximal de six mois pour indiquer au préfet si le document d'urbanisme dont elle a la charge contient des dispositions contraires aux prescriptions d'un plan de prévention des risques, dispositions qui devront être supprimées dans un délai d'un an. Un autre amendement porté par le groupe socialiste propose que les documents relatifs aux risques naturels soient transmis sans délai par l'Etat aux élus locaux "quand les caractéristiques, l'intensité et la probabilité de survenance des risques naturels sur un territoire donné subissent une modification significative".
Par ailleurs, Bruno Retailleau a présenté un amendement permettant de façon implicite de distinguer les appels au 112 - numéro d'urgence européen -, qui seraient soumis à une obligation de permanence et de priorité, des appels aux autres numéros d'urgence nationaux (15, 17, 18) qui ne le seraient pas. Un autre amendement vise à inclure la prévention des risques littoraux dans les schémas de mise en valeur de la mer, qui sont aujourd'hui des chapitres au sein des schémas de cohérence territoriale (Scot) littoraux. Concernant l'instauration d'un droit de délaissement dans les secteurs présentant un danger grave pour la vie humaine en raison de risques importants de catastrophe naturelle, les sénateurs socialistes ont obtenu que le gouvernement mène une réflexion sur les modalités de prise en charge financière qui pourraient être mises en place pour l'acquisition amiable des biens, ainsi que sur la possibilité pour leur propriétaire de bénéficier de ce droit.
Plan digues : le taux de subvention de 40% s'appliquera sans attendre l'approbation des PPRN
Plusieurs amendements gouvernementaux ont aussi été adoptés. L'un vise à éviter que des ouvrages établis sur le domaine public maritime et qui sont de ce fait assujettis à ses propres règles soient visés par un processus de transfert qui ne serait pas compatible avec la gestion de ce domaine. Un autre amendement, très attendu par les élus, propose que dans le cadre du Plan digues, l'Etat puisse apporter aux collectivités réalisant des ouvrages de protection une subvention de 40% du montant des travaux sans attendre l'approbation des futurs plans de prévention des risques naturels (PPRN). Le gouvernement a demandé par ailleurs la suppression de l'article 17 de la proposition de loi qui proposait de porter de 12% à 14% le taux de prélèvement sur le produit des primes ou cotisations additionnelles relatives à la garantie contre le risque de catastrophes naturelles. Il a estimé en effet que les ressources actuelles du Fonds de prévention des risques naturels majeurs étaient suffisantes pour que celui-ci joue pleinement son rôle (acquisitions amiables de biens sinistrés, évacuation temporaire et relogement des personnes sinistrées, aides pour les études et travaux de prévention portés par les collectivités, etc.).
Le texte, qui ne bénéficie pas de la procédure d'urgence, doit maintenant être inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale pour poursuivre son parcours parlementaire.