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Agriculture - Les sénateurs instaurent une "compensation agricole"

Dans le cadre de l'examen du projet de loi d'avenir pour l'agriculture adopté le 15 avril, les sénateurs ont instauré une "compensation agricole" destinée à compenser les dommages causés aux terres agricoles à l'occasion de projets d'aménagement rural. Ils ont également renforcé le rôle des Safer, accru la surveillance des pesticides, reconnu le vin comme partie intégrante du "patrimoine culturel et paysager"... Tour d'horizon des principales mesures.

Le Sénat a adopté, dans la nuit du 15 au 16 avril, le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, par 175 voix contre 135.
Le texte, déjà adopté par les députés le 14 janvier, vise à reconquérir des parts de marché, alors que l’agriculture française est passée de la 2e à la 5e place dans le monde, en renforçant la compétitivité tout en engageant "une mutation de l’agriculture avec l’intégration de la dimension environnementale", comme l’a rappelé le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll. Soit la quadrature du cercle ou le pari de "l’agroécologie", concept défendu par le ministre, mais qui laisse sceptiques les défenseurs de l’environnement.
Le texte comprend 40 articles, mais dont certains n’augurent pas vraiment un choc de simplification. Le seul article 1er, qui définit les missions de l’agriculture, comporte pas moins de 62 alinéas. Les sénateurs y ont ajouté des objectifs sociaux, ce qui fait parler désormais non plus de "double performance" mais de "triple performance" de l’agriculture (économique, environnementale et sociale). Les sénateurs ont aussi introduit le recours aux circuits courts dans l’ancrage territorial de l’agriculture.
Sans surprise, ils ont adopté la mesure-phare du texte : le groupement d'intérêt économique et environnemental (article 3), qui rassemble une majorité d’agriculteurs ou d’autres partenaires (collectivité, associations, Cuma…) autour d’un projet agroécologique, le but étant notamment de leur donner plus de poids face à la filière aval. 103 projets ont déjà été validés par le ministère sur 469 candidatures déposées, a indiqué Stéphane Le Foll. Alors que les régions deviennent autorités de gestion des fonds européens, les sénateurs ont écarté un amendement qui visait à associer les présidents des conseils régionaux du comité de sélection des projets. Ils ont cependant adopté un amendement qui confère aux chambres d’agriculture le rôle de l’accompagnement et du suivi des GIEE.

Compensation agricole

Le Sénat a également apporté de nombreux amendements au deuxième volet du texte : la protection des espaces agricoles, dans le prolongement des dispositions de la loi Alur. La sénatrice des Yvelines Sophie Primas (UMP) a posé l’enjeu : "L’Ile-de-France, c’est 1.500 hectares de terres agricoles en moins par an sous l’effet d’une artificialisation favorisée non seulement par la spéculation foncière et immobilière, mais aussi par nos besoins en logements." En vingt-cinq ans, la région a perdu la moitié de ses exploitations. Un constat qui peut être généralisé à l’ensemble du pays. "Les villes qui se sont beaucoup développées étaient en général situées dans les zones les plus fertiles. Il y a donc un vrai sujet sur l’agriculture périurbaine et la consommation de l’espace", a souligné Stéphane Le Foll.
Les sénateurs ont introduit un mécanisme de "compensation agricole" aux projets d'aménagement rural (article 12 ter), comme il existe déjà une compensation écologique utilisée à l’occasion de la construction de voies ferroviaires ou d’autoroutes. L’idée : amener l’opérateur des travaux à indemniser les pertes subies "dans le but de reconstituer l’économie agricole du territoire".
Ils ont aussi conforté le rôle des Safer (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural). Ces dernières participeront aux réunions des commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers et leur apporteront leur appui technique. Quant à leur fédération, la FNSafer, elle sera représentée à l’Observatoire des espaces naturels agricoles et forestiers (nouveau nom donné à l’Observatoire de consommation des terres agricoles créé par la loi de modernisation de l’agriculture du 27 juillet 2010).
Le Sénat a par ailleurs élargi la politique d’installation et de transmission définie par l’Etat aux jeunes "ne disposant pas des diplômes requis, mais engagés dans le cadre d’une formation" (article 14).

Projets alimentaires territoriaux

Au titre III (politique de l’alimentation et performance sanitaire), les sénateurs ont précisé le contenu des "projets alimentaires territoriaux" mentionnés au premier article du projet de loi. Ces projets sont "élaborés à l’échelle d’un bassin de vie de manière concertée avec l’ensemble des acteurs du territoire", dont les collectivités. Ils contribuent à la mise en oeuvre "d’un système alimentaire territorial, notamment par la consolidation et le développement de la production locale pour répondre à une consommation locale et pour favoriser un mode de commercialisation en circuit court" (article 17).
Le Sénat a ajouté un article visant à accroître la protection des appellations d'origine protégée (AOP) et de l'indication géographique protégée (IGP) avec l'instauration d'un droit d'opposition au dépôt de marque.
A noter aussi l'amendement de Roland Courteau, sénateur (PS) de l'Aude, qui confère au vin et aux terroirs viticoles la qualité de "patrimoine culturel, gastronomique et paysager protégé de la France" (voir encadré ci-dessous).

Surveillance des pesticides

En complément des orientations en matière d’agroécologie – c'est-à-dire d’une agriculture plus économe en intrants chimiques –, les sénateurs ont renforcé la vigilance des produits phytosanitaires (article 21). Alors que le projet de loi prévoit la mise en place d'un système de surveillance sur les effets des "phytos" vis-à-vis de l'homme, de la faune sauvage, de l'eau, du sol, de l'air, des aliments et de la biodiversité, ils ont ajouté "l’abeille domestique", qui se voit ainsi reconnue comme "bio-indicateur". "Grâce à son butinage, elle exerce une fonction de préleveur sur des centaines de points par jour et sur une aire de plusieurs kilomètres de rayon", a souligné le sénateur PS de l’Aveyron Alain Fauconnier.
Le préfet pourra par ailleurs imposer le respect d'une distance de sécurité lors de l'utilisation de pesticides, "comme il peut le faire aux abords des zones naturelles vulnérables", a précisé l’écologiste Joël Labbé.
Les sénateurs ont prévu des sanctions en cas de trafic de produits falsifiés (cinq ans d’emprisonnement et 375.000 euros d’amende), avec une majoration de peine lorsque le produit est "dangereux pour la santé de l’homme ou pour l’environnement".
Ils ont également autorisé les éleveurs à abattre des loups. En cas d’attaque "avérée", le préfet "délivre sans délai à l’éleveur concerné une autorisation de tir de prélèvement du loup valable pour une durée de six mois" (article 18 bis). L’abattage de loups est autorisé "dans des zones de protection renforcée délimitées chaque année par arrêté préfectoral, indépendamment du prélèvement défini au niveau national". La mesure fera l’objet d’un décret en Conseil d’Etat. "La situation devient intolérable dans les régions où le loup se multiplie", a justifié le rapporteur du texte Didier Guillaume (PS).

Renforcement des laboratoires départementaux d'analyse

Si les départements ont été déboutés de leur volonté d’exercer un plus grand rôle en matière de préservation du foncier agricole (voir ci-contre notre article du 14 avril 2014), ils pourront se consoler avec l’adoption d’un amendement de l’Assemblée des départements de France présenté par Renée Nicoux, visant à renforcer les missions des laboratoires départementaux d’analyse (article 19). Ces derniers seront désormais associés "à la politique publique de sécurité sanitaire de la France" dans des conditions qui seront précisées par décret. Il existe aujourd’hui 75 laboratoires de ce type dont 67 gérés directement par les conseils généraux, qui emploient 3.800 agents sur le territoire. Or ces derniers subissent de plein fouet la concurrence des laboratoires privés dans le domaine de la qualité des eaux. Avec l’amendement, leurs missions sont sécurisées : elles entrent "dans le champ des services d'intérêt économique général et des droits exclusifs et spéciaux tels que définis par le droit européen".

Filière bois

En matière forestière, autre volet important du projet de loi, les sénateurs ont supprimé une disposition introduite par les députés qui visait à imposer une quantité de bois dans la construction. Cette disposition était justifiée par l’intérêt général poursuivi par la forêt dans le stockage du carbone. Mais les sénateurs ont considéré que cette mesure constituait une distorsion de concurrence et, qu’en l’état de la filière bois en France, elle aboutirait à importer davantage de bois transformé de l'étranger. Les sénateurs ont aussi donné un droit de regard au Conseil supérieur de la forêt et du bois sur les gros projets d’implantation industrielle de transformation du bois, "dont l’approvisionnement dépasse le territoire d’une région" eu égard à l’impact de tels projets. "Les investisseurs sont nombreux à vouloir profiter de la manne des aides publiques, au risque d'une concurrence déloyale avec d'autres industries. Ces projets accroissent la pression sur la ressource. Le collectif SOS Forêts a lancé un cri d'alarme", a déclaré la communiste Mirelle Schurch (Allier).

Michel Tendil

Le Sénat érige le vin en "patrimoine culturel et paysager"
Parmi les nombreuses modifications apportées au projet de loi figure un amendement de Roland Courteau, sénateur (PS) de l'Aude, adopté à l'unanimité. Très bref, celui-ci introduit un article d'une ligne dans le Code rural et de la pêche maritime : "Le vin, produit de la vigne, et les terroirs viticoles font partie du patrimoine culturel, gastronomique et paysager protégé de la France." Dans l'exposé des motifs, Roland Courteau établit un parallèle avec un autre article, adopté en 2006, et qui précisait que "le foie gras fait partie du patrimoine culturel et gastronomique protégé, en France [...]". Il s'agissait alors de protéger un trésor national - pourtant critiqué par les défenseurs des animaux - contre le "french bashing" et les menaces d'interdiction américaines.
Cet amendement sur le vin est l'exacte reprise d'une proposition de loi du même sénateur, déposée en octobre 2013 et "visant à affirmer clairement que le vin fait partie intégrante du patrimoine culturel et gastronomique de notre pays". Roland Courteau est également l'auteur d'une autre proposition de loi, déposée en décembre 2013 et "visant à distinguer le vin des autres boissons alcooliques".
Lors de l'examen de cet amendement - soutenu par la commission -, Stéphane Le Foll s'en est remis à la sagesse du Sénat, se contentant de rappeler que "le patrimoine gastronomique comprend bien d'autres choses, comme le fromage". Il lui aurait d'ailleurs été difficile de s'opposer à cet amendement, alors que le gouvernement va déposer les candidatures des vins de Bourgogne et de Champagne à l'inscription au patrimoine mondial de l'Unesco (voir notre article ci-contre du 15 janvier 2014). En revanche, cet amendement - qui est loin d'être sans arrière-pensées, même s'il n'a pas d'effets juridiques directs - pourrait susciter des réactions du côté des défenseurs de la santé publique, qui ne cessent de dénoncer les ravages de l'alcool - et donc du vin - dans la mortalité française.
Jean-Noël Escudié / PCA

 

 

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