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Foncier - La Cour des comptes tacle les Safer

La Cour des comptes pointe dans son rapport annuel le manque de contrôle et de transparence des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer). Pour les magistrats, l'opérateur foncier en milieu rural doit se recentrer sur son métier de base, l'installation des jeunes agriculteurs, et ancrer sa gouvernance au plus près des territoires.

Elles sont une vingtaine à quadriller l'Hexagone - 23 précisément, plus trois en outre-mer. Les Safer, ces sociétés anonymes investies d'une mission d'intérêt général sur le foncier agricole et rural, employant pas loin d'un millier de salariés, font l'objet dans le rapport 2014 de la Cour des comptes d'un éclairage inédit. Cela fait vingt ans que la Cour n'a pas contrôlé dans le détail ces structures bien connues des élus ruraux et qui, au départ, visent à "favoriser l'installation des jeunes agriculteurs dans de bonnes conditions, à remembrer le parcellaire agricole et permettre l'agrandissement d'exploitations de type familial pour atteindre un seuil de rentabilité". Un objectif dont elles se seraient éloignées, estiment les magistrats, en ajoutant que sur près de 30.000 hectares de biens fonciers rétrocédés par ses soins en 2012, à peine 10% l'ont été à de jeunes agriculteurs.

Plus de liant dans le dispositif

Pourquoi cet éloignement ? "C'est pour beaucoup le fruit du manque de suivi de leur activité, renforcé par la faiblesse des outils d'information […] Dans la mesure où chaque société reste totalement libre de sa gestion, en matière de politique foncière, de relation avec les collectivités ou de tarifs pratiqués, des comportements très différents en résultent". Bien sûr, la Fédération nationale des Safer (FNSafer) coiffe l'ensemble. Pas suffisant, rétorque la Cour, qui souhaite voir s'instaurer une "solidarité financière" car malgré une situation financière globalement jugée satisfaisante, il y a des Safer riches (Aquitaine-Atlantique, Paca) et d'autres plus pauvres (Bretagne, Languedoc-Roussillon, Corse). La Cour appelle également à renforcer la péréquation et le travail en réseau. Et aussi les instances de gouvernance des Safer à s'ouvrir à d'autres acteurs du territoire et l'Etat à "participer davantage au pilotage de leur action". Ce à quoi le ministère de l'Agriculture a aussitôt répondu qu'il renforcerait "courant 2014 son rôle de tutelle" en signant une convention d'objectifs avec une tête de réseau en vue de suivre "des engagements relatifs à la conduite de grands chantiers nationaux".

Gouvernance régionale

Avec l'élargissement progressif de leurs missions, les Safer ne se limitent stricto sensu plus au champ agricole et s'impliquent dans le développement rural, l'environnement, la protection des paysages… Leurs contacts avec d'autres acteurs territoriaux, par exemple des parcs naturels, conservatoires du littoral ou agences de l'eau, se sont ainsi multipliés. En réponse au rapport, la FNSafer rappelle ainsi que "les Safer sont le premier opérateur foncier en agriculture biologique, accompagnant 130 nouveaux installés en 2012 et rétrocédant 2.800 ha pour l'agriculture biologique". Reste qu'un "rôle plus important est attendu dans le domaine forestier", pointe la Cour. Qui réclame surtout la poursuite "d'un regroupement régional, voire inter-régional", afin que les Safer "apportent leur expérience à l'aménagement des territoires et coopèrent de façon constructive avec les régions". Les magistrats préconisent la mise en place par chaque Safer d'un plan pluriannuel d'activité 2015-2020. Et observe en passant, sans trop commenter, que "leur gestion reste très contrôlée par le monde agricole notamment le syndicat majoritaire, la FNSEA".

Droit de préemption, mécanisme de substitution

La rapport révèle aussi que, contrairement à l'idée perçue, les Safer "utilisent statistiquement peu leur droit de préemption, la simple menace de recourir à ce dispositif [suffisant généralement] à conduire à une acquisition amiable ou à une opération dite de substitution". C'est sur ce mécanisme de substitution que la Cour s'avère la plus sévère. Instauré il y a quinze ans par la loi, il permet de transmettre un bien immobilier en supprimant le deuxième acte de mutation. Or, il est devenu dominant dans le volume d'activité des Safer : selon leur fédération, "les trois quarts des 1.200 installations réalisées en 2012 ont bénéficié d'une substitution et seules 300 d'une acquisition ou rétrocession". La Cour estime qu'il y a dévoiement de ce mécanisme dès lors que, flanqué de surcroît d'un avantage fiscal, il est utilisé pour des biens ruraux n'ayant plus vocation agricole. En clair, "cette politique de plus en plus coûteuse pour les finances publiques [s'est] étendue à des bénéficiaires qui ne sont plus ceux pour lesquels l'avantage fiscal a été créé". En outre, la pratique fait l'objet de montages que la Cour dénonce dans son rapport. Dans le domaine viticole, notamment, où se sont multipliées, selon elle, des opérations à l'issue de laquelle les "gagnants" sont la Safer (plus de marge), l'acquéreur, le vendeur mais les "perdantes" les collectivités (département, commune) et l'Etat.