Les régions et la ruée vers l'hydrogène
Décarboner les industries ou développer les usages, notamment dans la mobilité : les régions étaient présentes en nombre au salon Hyvolution, la semaine dernière, pour mettre en avant leur stratégie et leurs pépites en matière d'hydrogène. Selon leurs caractéristiques industrielles, les territoires n'avancent pas tous à la même vitesse et la concurrence entre eux est rude pour accueillir les entreprises spécialisées et remporter les appels à projets lancés par l'Etat, qui a mis 7,2 milliards d'euros sur la table.
Le salon Hyvolution dédié à la filière hydrogène s'est tenu les 1er et 2 février 2023 à Paris. L'occasion pour les régions de se montrer sous leur meilleur jour. Elles usent et abusent de superlatifs pour démontrer qu'elles sont "pionnières", "premières" ou, plus simplement, très investies sur le sujet, donnant un peu l'impression d'une course à l'échalote. Ici la région Occitanie vante les mérites d'un plan élaboré dès 2019, quand la région Bourgogne-Franche-Comté assure que le mouvement a été pris dès 1999... "Toutes les régions disposent d'une feuille de route ou d'une stratégie plus ou moins précise et plus ou moins ambitieuse, affirme Jan-Erik Starlander, responsable des relations avec les territoires de France Hydrogène, l'association de référence de l'hydrogène en France, quelques territoires ont une antériorité sur le sujet et prennent de l'avance, c'est le cas des régions Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie ou Auvergne-Rhône-Alpes mais la compétition est rude."
Après un premier plan hydrogène de 100 millions d'euros en 2018, l'Etat a voulu changer de braquet en lançant en 2020 un plan de 7,2 milliards d'euros d'ici à 2030, dans le cadre du plan de relance puis de France 2030, avec l'objectif de recoller à l'Allemagne qui a de son côté annoncé un plan de 9 milliards d'euros. Les deux pays aspirent à devenir leader mondiaux dans ce domaine. Le plan français est décliné à travers des appels à projets, notamment pour promouvoir des "écosystèmes territoriaux hydrogènes". Les résultats du dernier appel à projets ont été dévoilés lors du salon et une nouvelle édition est déjà programmée pour 2023 (voir notre article du 1er février 2023).
"Il y a du potentiel"
"Nous accompagnons le mouvement, explique à Localtis Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'Industrie, mais nous privilégions les territoires qui sont très volontaires comme Dunkerque ou Fos-sur-Mer, il y a du potentiel, et on sent la volonté des élus locaux de s'aligner pour décarboner l'industrie". Le site de Fos, par exemple, devrait accueillir un grand projet de plateforme d'hydrogène renouvelable par électrolyse de l'eau (voir notre article du 17 janvier 2023). Seulement la compétition entre les territoires pour emporter ces appels à projets et/ou accueillir sur leur territoire des entreprises spécialisées est intense. Et les stratégies des régions diffèrent. Certaines se concentrent surtout sur les usages (la mobilité) en développant des stations de distribution d'hydrogène vert pour des véhicules lourds ou des flottes de véhicules principalement, l'utilisation de l'hydrogène à titre privé n'étant pas rentable. D'autres tentent de maîtriser l'ensemble de la chaîne, avec l'implantation d'usines de production - dont les électrolyseurs qui permettent, à partir de l'électrolyse de l'eau, de produire de l'hydrogène vert* -, la distribution de l'hydrogène et le développement des usages. Elles s'appuient pour ce faire sur leur structure industrielle.
En Auvergne-Rhône-Alpes, on mise plutôt sur le premier volet, à savoir les stations de recharge et l'aide à l'acquisition de véhicules. A l'origine de la démarche, un appel à projets européen auquel la région a accepté de répondre aux côtés de Michelin et Engie pour favoriser la mobilité décarbonée hydrogène. Le programme qui en découle, "Zéro Emission Valley", est lauréat de l'appel à projets en 2017. Il repose sur une société commerciale, Hympulsion SAS, cofinancée par la région, Engie, Michelin, la Banque des Territoires et le Crédit agricole. Objectif : proposer des stations à hydrogène (une vingtaine d'ici 2024) tout en assurant leur rentabilité économique, créer 3 électrolyseurs de grosse capacité, et favoriser l'acquisition de plus de 400 véhicules, subventionnés. Le projet, d'un montant de 70 millions d'euros et d'une durée de sept ans est aidé par les fonds européens (via le programme CEF Transport qui vise à améliorer la connectivité et la durabilité des réseaux de transports entre les Etats membres) et par l'Ademe.
Une gigafactory d'électrolyseurs à dix kilomètres de Belfort
Prenant appui sur son bassin industriel, sa culture industrielle et les emplois et écosystèmes en place, la région Bourgogne-Franche-Comté tente quant à elle de maîtriser l'ensemble de la chaîne, en installant tout l'écosystème nécessaire à la production et à la distribution d'hydrogène. La région s'appuie sur une feuille de route élaborée en 2019 autour de trois thèmes - la formation, les entreprises et la recherche -, avec une volonté de contribuer à la transition écologique et énergétique et d'assurer des retombées économiques. La région favorise ainsi d'un côté la mise en place de bus à hydrogène : il y en a déjà 120 sur le territoire, il devrait y en avoir 180 d'ici 2030, auxquels s'ajouteraient 40 bennes à ordures.
De l'autre côté, la région met tout en place pour que les industriels présents sur le territoire puissent travailler sur la décarbonation de leurs usines, et que d'autres viennent s'installer. A l'automne 2022, la société McPhy a ainsi décidé de s'installer dans la région. Elle va créer sa gigafactory d'électrolyseurs au sein de l'aéroparc de Fontaine, à dix kilomètres de Belfort, qui testera et fabriquera des équipements de nouvelle génération de grande taille, allant jusqu'à 100 mégawatts ou plus. L'objectif est d'atteindre une capacité de production de 1 gigawatt par an. D'autres entreprises spécialisées sont également présentes sur le territoire, comme H2Sys, spécialisée dans les groupes électrogènes hydrogène, Mincatec, un développeur de systèmes de stockage d'hydrogène centrés sur le fret, ou encore Gen-Hy, qui va ouvrir une usine au nord-est de Montbéliard capable de fabriquer des membranes échangeuses d'anions (AEM). "Nous avons le plus bel écosystème spécialisé, assure Nathalie Loch, cheffe de projet hydrogène à l'agence économique régionale de Bourgogne-Franche-Comté, avec les industriels, la recherche, la formation, et la région comme maître d'ouvrage pour impulser les projets". Et c'est grâce à ces multiples atouts que la région arrive à attirer des entreprises comme Gen-Hy, pourtant originaire de la Drôme.
En Occitanie, maîtriser l'ensemble de la chaîne de valeur
Maîtriser l'ensemble de la chaîne de valeur : c'est aussi le choix de l'Occitanie. Un plan hydrogène vert 2020-2030 a été adopté en 2019 pour dix ans, avec à la clé 150 millions d'euros. Objectif : être la première région d'Europe à énergie positive à l'horizon 2050. Le plan prévoit d'ici 2024 la création d'une gigafactory d'hydrogène renouvelable, de 20 stations hydrogènes, l'acquisition de trois rames électrique/hydrogène et l'aide à l'acquisition de 600 véhicules hydrogènes lourds, utilitaires et légers. Entre 2024 et 2030, la région table sur la construction de deux autres sites de production d'hydrogène renouvelable et 55 stations de distribution, et sur le déploiement de 3.000 véhicules hydrogènes. L'un des projets emblématiques, Corridor H2, vise à développer depuis la péninsule ibérique jusqu'au nord de l'Europe une série de capacités de production et de distribution d'hydrogène pour la mobilité, couplée au déploiement de nombreux véhicules lourds utilisant l'hydrogène. Il est soutenu à hauteur de 14,5 millions d'euros par l'Europe et par la Banque européenne d'investissement (BEI), à travers un prêt de 40 millions d'euros accordé à la région.
L'Occitanie investit aussi dans des démonstrateurs et plateformes commerciales de solutions hydrogène : une drague hybride HyDrOMer sera ainsi déployée dans les ports régionaux de Sète et Port-la-Nouvelle. Elle sera équipée de piles à combustibles adaptées aux conditions maritimes. "L'idée est d'animer la filière et de mobiliser toute entreprise qui participe à la chaîne de valeurs de l'hydrogène", assure Raphaëlle Vienot, directrice générale adjointe de l'Agence régionale Energie Climat (Arec) Occitanie.
Amener les projets à maturité en Nouvelle-Aquitaine
D'autres régions s'en tiennent à observer et aider les projets qui arrivent jusqu'à leurs portes. C'est le cas de la Nouvelle-Aquitaine, qui a adopté sa feuille de route fin 2020. Le service régional dédié s'occupe surtout de recevoir les projets et de les amener à maturité. "Il n'y a pas de budget alloué spécifiquement à l'hydrogène, explique Charles Verrier, chargé de mission solutions énergétiques, et nous traitons plusieurs thématiques comme la formation, la R&D, l'industrie, l'émergence de l'écosystème ; dès que les projets sont matures, ils passent dans les mains d'un autre service". Certains projets, et notamment la mise en place de bus à hydrogène à Pau, ont déjà été lancés. "Nous souhaitons accompagner d'autres usages pour expérimenter et tirer un retour d'expérience", détaille le chargé de mission.
"Les métropoles et les EPCI ne sont pas en reste, assure pour sa part Jan-Erik Starlander, ils ont surtout des projets de déploiement de parcs de bus à hydrogène. A l'heure actuelle, 33 bus sont en service (dont une partie à Dijon, voir notre article du 19 mai 2021) c'est peu mais d'ici 2026 ce sera plus de 700, si on passe un certain cap il peut y avoir un phénomène de bascule."
* L'hydrogène fabriqué à partir d'un processus d'électrolyse de l'eau est dit vert si ce dernier est réalisé à partir d'électricité renouvelable.