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Habitat - Les gendarmes des HLM et du 1% devraient se marier

Un rapport préconise la création d'une autorité unique chargée de contrôler à la fois les organismes HLM et les collecteurs du 1%. Cette proposition, à laquelle le secrétaire d'Etat au Logement, Benoist Apparu, s'est dit favorable, doit permettre de "doter l'Etat d'une vraie capacité de contrôle et d'évaluation" du secteur. Et d'adapter le système de contrôle aux profondes mutations que connaît le logement social et patronal ces dernières années.

En juin dernier, les ministres de l'Ecologie et de l'Economie demandaient un rapport sur le contrôle des secteurs du 1% logement et du logement social. Deux inspecteurs chevronnés avaient hérité de ce sujet pour le moins sensible : Sabine Baietto-Beysson, pour le Conseil général de l'environnement et du développement durable, et Thierry Bert pour l'Inspection générale des finances.
Leur rapport s'ouvre sur un rappel de l'hétérogénéité du secteur, qui mécaniquement rend son contrôle difficile. Cette hétérogénéité est d'abord de structures : offices HLM, sociétés anonymes, sociétés d'économie mixte, associations, coopératives, collecteurs interprofessionnels du logement (CIL), etc. Elle est ensuite de tailles. Quoi de commun entre un petit office municipal gérant 2.000 logements et les grands groupes comme 3F, SNI ou Batigère ? Parmi les collecteurs, le mouvement de fusion n'empêche pas le maintien de fortes différences d'échelle : les cinq CIL les plus importants représentent 40% de la collecte. Certains groupes ou CIL sont de taille nationale, d'autres restent très locaux. Mais parallèlement à cette tendance à la constitution d'organismes de taille interrégionale ou nationale, l'offre nouvelle de logements et surtout les processus d'attribution restent dominés par des logiques locales, et ce y compris pour les grands groupes.

Quel responsable ?

Ce paradoxe, souligne le rapport (p.5), pose un problème très concret : pour contrôler, "encore faut-il que le contrôleur ait en face de lui un responsable. Or il y en a plusieurs. Entre les attributions du préfet en matière d'attribution de logements, les responsables politiques locaux qui défendent leurs territoires, les gestionnaires de sociétés qui ont leur intérêt, les actionnaires qui en ont d'autres, les politiques nationales qui se superposent à tout cela, le tout sur des territoires administratifs, politiques et économiques différents", qui est responsable ? Et donc qui doit être sanctionné en cas de problème ?  Pour couronner le tout, contrôler le logement social et le 1%, ce n'est pas seulement vérifier que les ratios financiers sont bons : les inspecteurs doivent s'assurer que tous ces organismes, largement soutenus par des fonds publics, respectent la réglementation du logement, qu'ils ne prennent pas des risques inconsidérés (emprunts toxiques, mauvaise gestion entraînant une dégradation du patrimoine), et qu'ils respectent leur vocation sociale.  Un véritable casse-tête.

Vers un établissement public unique

Actuellement, deux organismes d'inspection coexistent sur le secteur. La Miilos (mission interministérielle d'inspection du logement social) contrôle les organismes de logement social. Souvent issus des services de l'Equipement, ses inspecteurs sont répartis en sept directions interrégionales (voir nos articles sur les derniers rapports annuels ci-contre). Ces agents de statut public connaissent très bien la réglementation de l'immobilier et le monde HLM. Deuxième organisme de contrôle : l'Anpeec (Agence nationale pour la participation des employeurs à l'effort de construction). Cet établissement public créé en 1988 a longtemps été dirigé par ceux-là même qu'il devait contrôler. Suite aux divers scandales et à la réorganisation du 1%, les parlementaires ont choisi dans la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (Molle) de mettre à la tête de cet organisme une majorité de représentants des ministères. Cependant, le décret d'application de la loi n'est pas publié à ce jour. Les 45 agents de l'Anpeec sont de droit privé, "plus jeunes, mieux rémunérés et plus mobiles" que les agents de la Miilos. Spécialistes de l'audit et de la finance, ils contrôlent les CIL, qui sont d'importants actionnaires de 116 sociétés anonymes d'HLM.
Sabine Baietto-Beysson et Thierry Bert saluent le travail effectué par ces deux organismes de contrôle, qui "font leurs meilleurs efforts pour parvenir à des résultats très honorables". Mais ils regrettent que les contrôles effectués ne soient pas assez coordonnés. Or, l'élaboration de rapports en commun aurait pour effet de "réduire les décalages naturels entre les intérêts, forcément différents voire divergents, des CIL et ceux de leurs filiales HLM".  Les deux rapporteurs insistent également sur l'insuffisance des partages d'information entre les fédérations (Union sociale pour l'habitat-USH et Union d'économie sociale du logement), la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) et les services de l'Etat. D'où la réforme proposée, qui consiste à fusionner l'Anpeec et la Miilos en un établissement public unique, sous tutelle des ministères du Logement et de l'Economie. Cette fusion permettrait de disposer d'une "vision globale des actionnaires et de leurs filiales, et donc des CIL et des organismes HLM", afin d'arriver à un contrôle plus efficace.

Quadrature du cercle

Si tout le monde semble d'accord pour juger ce regard unique indispensable, reste à savoir comment le mettre en oeuvre. Le problème est qu'une absorption de l'Anpeec par la Miilos consisterait en substance à permettre à l'Etat de contrôler des fonds jusqu'à présent gérés par les partenaires sociaux. Ce qui enthousiasmerait peu le 1%, et le contexte est déjà suffisamment orageux pour ne pas rajouter de l'huile sur le feu (voir notre article ci-contre du 13 octobre). Et l'inverse n'est pas plus réalisable : il n'est pas envisageable que l'Etat donne à Action logement le contrôle des organismes HLM. D'où une certaine quadrature du cercle que les deux rapporteurs résolvent en proposant la création d'un établissement public (Epic) "très autonome", qui contrôlerait tous les organismes, rassemblerait l'ensemble des données disponibles (donc y compris celles actuellement collectées par l'Union sociale pour l'habitat et le 1%) et pourrait sanctionner financièrement les organismes (ce qui n'est pas le cas actuellement de la Miilos).
Prudente, la mission recommande de passer par "une phase de concertation"... en particulier sur la question très sensible du partage des informations comptables et financières. En effet, l'enjeu est loin d'être uniquement technique. La mise en commun des systèmes informatiques permettrait à la structure qui contrôle la base de données de disposer d'un avis qualifié sur "la soutenabilité financière des prélèvements de l'Etat sur le 1%, sur les réserves financières des organismes HLM, sur l'adaptation de l'autofinancement aux objectifs de construction". Autant de sujets-clés pour le 1% et les HLM. Bref, tout dépendra de la gouvernance de la future agence (quel conseil d'administration ? quel président ?). Quoi qu'il en soit, la nouvelle structure devra certainement faire la preuve de son caractère "très autonome" pour ne pas être accusée d'incarner une tutelle renforcée des ministères sur le 1% et les HLM. Une loi est nécessaire pour la mise en oeuvre de ce projet. La concertation vient d'être lancée, pour trois mois, sous la direction d'Etienne Crépon, du ministère du logement.

Qui suivra les conventions d'utilité sociale ?

A la lecture de ce rapport, la Miilos - ou la structure qui la remplacera - sera probablement chargée du suivi des conventions d'utilité sociale (CUS). De toute façon, les services locaux de l'Etat ne semblent pas en capacité de se charger de ce travail : au détour du rapport (p.9), S. Baietto-Beysson et T. Bert constatent "un affaiblissement des services de l'Etat en région et en département dans le domaine du logement". Mise à part l'organisation des comités régionaux de l'habitat, les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) "ne s'investissent pas dans la surveillance du secteur HLM, leurs priorités allant davantage à l'environnement et aux grands projets d'aménagement dans un contexte de baisse des emplois liée à la RGPP". Quant au niveau départemental, la scission du logement entre les directions des territoires, qui s'occupent de la gestion et de la construction des organismes HLM, et les directions de la cohésion sociale, qui suivent les attributions, ne simplifie pas les choses : "La conséquence la plus immédiate de ce type de réforme est que personne n'est plus à même de se dire en charge du secteur au sein des services territoriaux de l'Etat."