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Désindustrialisation - Les députés adoptent définitivement la "loi Florange"

La loi Florange définitivement adoptée le 24 février renforce l'information des maires en cas de projet de fermeture d'usine. Les collectivités pourront également demander le remboursement des aides versées si l'employeur de respecte pas son obligation de rechercher un repreneur.

Deux ans jour pour jour après la promesse de campagne du candidat Hollande sur le site mosellan d'Arcelor Mittal en Moselle, concernant la fermeture des usines rentables, les députés ont définitivement adopté la "loi Florange", lundi 24 février au soir. La proposition de loi visant à "reconquérir l'économie réelle" a été rejetée à deux reprises par le Sénat, mais les députés ont eu le dernier mot. Socialistes et écologistes ont voté pour, le Front de gauche s'est quant à lui abstenu. UMP et UDI ont voté contre, faisant part de leurs "interrogations" quant à la constitutionnalité du texte au regard de la liberté d'entreprendre et du droit de propriété, voire de la liberté contractuelle.
La proposition de loi s'attaque à un problème qui s'est accru ces dernières années : la fermeture d'usines, rentables, sous la pression des actionnaires. A Florange, François Hollande s'était engagé à tout faire pour empêcher la fermeture de l'usine et avait promis une loi pour obliger "une grande firme [qui] ne veut plus d'une unité de production et ne veut pas non plus la céder" à la vendre. Le ministre du Redressement productif avait ensuite évoqué un projet de loi à l'automne 2012. Mais entre-temps, les hauts fourneaux de Florange se sont éteints. Au même moment, le 30 avril 2013, la proposition de loi de Bruno Le Roux, député PS de Seine-Saint-Denis, était déposée à l'Assemblée nationale. Trop tard pour les métallos de Florange qui avaient crié à la "trahison".
La proposition de loi ne va pas aussi loin que la promesse de François Hollande, puisqu'elle oblige simplement les entreprises de plus de 1.000 salariés à rechercher un repreneur pendant trois mois, sous peine de pénalités.
Le ministre de l'Economie sociale et solidaire, Benoît Hamon, s'est félicité, lors des ultimes débats, de cette nouvelle obligation de rechercher un repreneur, et a dénoncé le "grand silence des pouvoirs publics à l'égard de ces sites qui fermaient alors qu'il y avait possibilité de maintenir l'emploi". Selon le ministre, cette mesure "s'articule parfaitement bien, avec la création d'un droit d'information préalable pour les salariés dans les entreprises de moins de 250 salariés, droit qui sera prévu par la loi sur l'économie sociale et solidaire et qui permettra de faciliter […] la reprise, par les salariés, de leur entreprise, quand celle-ci est en difficulté".
L'exposé des motifs du texte souligne l'ampleur du phénomène de désindustrialisation en France : 2 millions d'emplois en trente ans, dont 750.000 sur les dix dernières années. Au-delà du cas du Florange, la socialiste Clotilde Valter, rapporteur du texte, a cité ceux de Petroplus, Pilpa, ArcelorMittal, d'Aucy, Moulinex, Plysorol, Goodyear…
Mais le texte a subi le tir croisé de la droite, pour qui il risque de décourager les investisseurs – plusieurs députés ont rappelé la baisse de 77% des investissements étrangers en France en 2013 – et du Front de gauche, selon lequel les mesures sont insuffisantes. "Le dispositif ne concernera que 1.500 entreprises au plus et aura un impact sur 15% des plans de sauvegarde de l'emploi et sur 30% seulement des personnes touchées par ces PSE", a ainsi indiqué le député du Front de gauche Marc Dolez. Selon lui, les sanctions prévues - vingt fois le Smic par emploi supprimé, dans la limite de 2% du chiffre d'affaires annuel de l'entreprise – ne seront "guère dissuasives". "A titre de comparaison, Continental a dépensé 50 millions d'euros pour fermer son site de Clairoix, soit quarante Smic nets par emploi supprimé", a-t-il déclaré. Pour l'UMP Patrick Hetzel, il s'agit surtout d'"une loi d'affichage, essentielle avant les élections municipales".

Une intervention en deux temps

Concrètement, le texte permettra d'intervenir à deux moments clés du projet de fermeture. Lors de l'annonce tout d'abord. L'employeur devra informer le comité d'entreprise, les représentants du personnel, l'autorité administrative, ainsi que le maire de la commune. Il devra ensuite "informer, par tout moyen approprié, des repreneurs potentiels de son intention de céder l'établissement". Ensuite, le texte permet d'intervenir au moment de la décision du groupe de céder ou non l'usine. Si le comité d'entreprise juge que l'employeur n'a pas respecté ses obligations, il pourra saisir le tribunal de commerce. Celui-ci pourra constater la présence d'un repreneur sérieux ainsi que les motifs légitimes d'un éventuel refus de céder l'usine, "à savoir la mise en péril de la poursuite de l'ensemble de l'activité de l'entreprise". A défaut, le tribunal pourra prononcer les sanctions prévues par le texte. Le produit des pénalités pourra être réaffecté, par le biais de bpifrance, à la réindustrialisation du bassin d'emploi touché.
Mais ce n'est pas tout. Alors que le texte initial permettait également au tribunal, en plus des pénalités, de demander le remboursement des aides publiques versées à l'entreprise, les députés ont repris un amendement du Sénat qui permettra aux collectivités d'exiger elles-mêmes ce remboursement, dans l'année suivant le jugement du tribunal (le titre de recettes concernera les aides versées dans les deux ans précédant le jugement). "Ce sont donc ces dernières qui prennent l'initiative, ce qui est une bonne chose", s'est félicitée Clotilde Valter. "Les collectivités territoriales, forcément en première ligne lors d'un projet de fermeture, seront mieux informées, davantage impliquées", a ajouté le socialiste Guillaume Bachelay. Son collègue Jean-Louis Destans, également président du conseil général de l'Eure, a de nouveau illustré l'importance de l'implication des collectivités, alors qu'il y a peu, il n'avait pas hésité à opérer une "micronationalisation" temporaire pour sauver une usine sur son territoire et trouver un repreneur : "La liberté d'entreprendre que nous voulons défendre avec ce texte, c'est celle du thaïlandais Double A, qui voulait relancer la machine à papier d'Alizay et, aujourd'hui, l'usine de pâte à papier. C'est la liberté d'entreprendre d'un industriel qui a déjà créé plus de 150 emplois et qui s'est engagé à en créer 100 de plus dans les prochains mois."
A noter également que le texte a été amputé de son article 9 qui prévoyait de sanctuariser les sites industriels abandonnés, un peu sur le modèle des terres agricoles. "Les dispositions de cet article nous paraissaient en contradiction avec le projet de loi Alur, tout fraîchement voté, dont l'ambition est de lutter contre l'artificialisation des zones naturelles et agricoles, mais également de développer l'offre de logement", s'est réjoui l'écologiste Christophe Cavard.


Michel Tendil

Référence : proposition de loi visant à reconquérir l'économie réelle.