"Emprunts toxiques" - Les collectivités fortement endettées ne voient pas encore le bout du tunnel
Maurice Vincent, maire de Saint-Etienne, a annoncé le 26 octobre que sa ville va assigner la semaine prochaine la Deutsche Bank devant le tribunal de grande instance de Paris pour faire annuler un "emprunt toxique" de 20 millions d'euros. Il n'exclut pas de poursuivre en justice d'autres banques. Le maire de la capitale du Forez n'est pas le seul élu en France à être confronté aux risques financiers que font peser les produits structurés dangereux. Mais il est le premier à saisir la justice. D'autres élus sont tentés de suivre la même voie. En Seine-Saint-Denis, Claude Bartolone, président du conseil général a lancé un ultimatum à cinq établissements bancaires auprès desquels le département a souscrit ces dernières années des crédits à risque. Il saisira la justice si ceux-ci ne revoient pas leurs offres d'ici fin novembre. C'est une intention qu'a également Martine Aubry, maire de Lille, commune dont les difficultés avec les banques n'ont été dévoilées que tout récemment.
Saint-Etienne, Lille et la Seine-Saint-Denis, mais aussi Aubagne, Laval, Rouen… En novembre 2008, le ministère de l'Intérieur estimait à une soixantaine le nombre de collectivités ayant massivement souscrit des produits structurés dangereux. En l'absence d'un "risque systémique", le gouvernement avait décidé de laisser chacune de ces collectivités négocier seule avec les banques un allègement de leur fardeau. Un an après, la situation de ces collectivités s'est assainie, mais reste fragile. A Saint-Etienne par exemple, les produits à risque représenteront, à la fin de l'année, 49% de l'encours de la dette, contre 70% fin 2007. Les négociations avec la Deutsche Bank restent toutefois "infructueuses", tandis que les propositions avancées par d’autres banques, la Royal Bank of Scotland en particulier, sont "encore insuffisantes". Concernant Dexia, Maurice Vincent a saisi la direction générale de la banque et les ministères de l’Intérieur et de l’Economie, afin d'"obtenir enfin une solution acceptable", indique la municipalité stéphanoise.
La charte de bonne conduite est "prête"
Après les nouvelles déclarations des élus de Seine-Saint-Denis et de Saint-Etienne, le ministère de l'Intérieur s'est empressé de faire savoir que le gouvernement est prêt à signer "très rapidement" la charte de bonne conduite entre établissements bancaires et collectivités locales (à télécharger ci-contre) censée encadrer le recours aux produits structurés. Ce document sans valeur contraignante élaboré par un inspecteur des finances, en concertation avec les acteurs concernés, devait entrer en vigueur le 1er septembre dernier (lire notre article du 29 mai 2009). Au mois de septembre justement, les associations nationales d'élus locaux n'avaient plus aucune nouvelle de la part du gouvernement sur ce sujet et en concluaient que la charte n'était "plus une priorité" pour le gouvernement, en pleine préparation du projet de loi de finances. Lundi, le ministère de l'Intérieur a, lui, indiqué que la signature d'une des associations d'élus manquait toujours. La Fédération des maires de villes moyennes et l'Association des maires de grandes villes de France jointes le mois dernier par Localtis, jugeaient la charte utile, même si elle ne va pas assez loin. Les maires de villes moyennes espèrent que le bilan de la charte qui doit être fait chaque année, permettra de la faire évoluer au gré des nécessités.
Dans son rapport annuel rendu public début février, la Cour des comptes se demandait s'il ne faut pas "limiter, voire interdire" le recours aux produits structurés. Elle dressait toute une liste de recommandations allant beaucoup plus loin que les principes posés par la charte de bonne conduite (lire notre article du 4 février 2009). La Cour préconisait notamment d'adapter le plan de comptes et les instructions comptables afin qu'ils retracent de manière beaucoup plus fidèle les engagements des collectivités vis-à-vis de leurs banques. Elle mettait en débat l'idée d'imposer l'obligation de passer une provision pour risques futurs en matière financière. Par ailleurs, elle réclamait une intervention du législateur pour que les emprunts ne restent plus en dehors des règles de la commande publique.
Thomas Beurey / Projets publics
Montpellier fixe d'elle-même des limites
Le chef-lieu de la région Languedoc-Roussillon ne possède aucun produit structuré. Son conseil municipal a pourtant adopté, le 22 juin dernier, un règlement intérieur plafonnant la possibilité du maire de recourir aux emprunts bancaires de ce type à 20% maximum de l'encours total de la dette. "Ce règlement est une première en France et positionnera notre ville comme un aiguillon dans la nécessaire réforme et régulation des marchés financiers, tout au moins dans leur relation avec les collectivités locales", indique la délibération du conseil municipal (à télécharger ci-contre).