Avis d'expert - Certaines collectivités risquent de "se trouver en situation d'insolvabilité"

La crise financière va-t-elle frapper à leur tour les collectivités ? Pour David Diano, de Fitch Ratings, le risque n'est pas improbable pour certaines d'entre elles. Dans une étude, il pointe les menaces que font peser les nouveaux produits d'emprunt structurés, souscrits massivement ces dernières années.

Localtis : Existe-t-il réellement un risque d'insolvabilité de la part de certaines collectivités françaises ayant souscrit de manière excessive des produits structurés ?

David Diano, directeur du département de la finance publique internationale de l'agence Fitch Ratings à Paris  :  En pouvant, grâce aux produits structurés, afficher à court terme une réduction de leurs frais financiers, les collectivités sont incitées à accepter un risque toujours plus grand. Or, avec des produits à très forte composante spéculative, une évolution défavorable des indices tels que les taux d'intérêts à court ou long terme, les taux de change ou les indices d'inflation peut faire grimper rapidement le niveau des pertes. A un tel point qu'il soit impossible pour le prêteur - et pour le marché - de refinancer ce type d'instrument. Compte tenu de la très forte volatilité observée actuellement sur les marchés financiers, un tel scénario est tout à fait possible. Dans ce cas, les collectivités ayant souscrit de tels produits se verraient contraintes de payer des taux d'intérêts extrêmement élevés. Il n'est pas impossible que les plus exposées ou les plus fragiles se retrouvent alors en situation d'insolvabilité. A l'étranger, des collectivités ont déjà connu par le passé des difficultés, du fait de l'utilisation de produits dérivés. En 1988, deux municipalités du Royaume-Uni ont enregistré des pertes de  l'ordre de 500 millions de livres. En 1994, c'est le comté d'Orange, aux Etats-Unis, qui a été déclaré en banqueroute suite à des pertes de 1,7 milliard de dollars. La réglementation française actuelle rend peu probables des sinistres de cette ampleur, mais il n'est en revanche pas exclu que certaines collectivités se retrouvent en situation difficile.

Qui est responsable de cette situation ? L'offre commerciale des banques ?

Les banques ont effectivement distribué ces produits qui se sont répandus en France et dans le reste de l'Europe. Dans l'hexagone, peu de cas semblent avoir été portés devant la justice, mais au moins un contrat a été annulé en première instance. En Allemagne, les procès en cours sont plus nombreux et, même si aucun jugement définitif n'a encore été rendu, la responsabilité des banques a plusieurs fois été reconnue, au moins partiellement. En fait, les banques ont tiré parti d'une réglementation peu contraignante en France. La circulaire du 15 septembre 1992 concernant la souscription de produits dérivés de taux d'intérêt par les collectivités locales est aujourd'hui obsolète. Les produits structurés, qui combinent à la fois un emprunt et un ou plusieurs produits dérivés, sortent du champ d'application de cette circulaire et aucun texte nouveau n'a été adopté pour suivre l'évolution du marché. En outre, en privilégiant l'autonomie de gestion des collectivités locales, la circulaire sous-entend que celles-ci possèdent les compétences techniques pour souscrire des produits structurés. Or, les responsables locaux, que ce soit les élus ou les directeurs financiers, n'ont pas toujours une connaissance et une compréhension suffisantes des mécanismes financiers pour évaluer l'ensemble des risques associés à ce type de produits. Notamment, ils en sous-estiment souvent les risques futurs. Les exécutifs des collectivités locales qui ont souscrit de manière excessive des produits structurés portent donc, eux aussi, la responsabilité de la situation actuelle.

Que conseillez-vous à ces dirigeants ? Par ailleurs, avez-vous des recommandations pour que la réglementation soit modernisée ?

En tant qu'agence de notation, Fitch s'interdit par nature toute activité de conseil. Mais par l'analyse nous constatons qu'il existe des bonnes pratiques. Parmi les grandes collectivités, certaines ont adopté une démarche qui est non pas spéculative, mais de couverture, reposant sur des produits classiques. Nous observons aussi que pour sortir des produits structurés, il n'y a en fait pas de recette miracle. Lorsqu'elles procèdent au rééchelonnement de leur prêt, les collectivités locales gagneraient à rester sur des produits qui soient plus prévisibles : elles n'ont pas vocation à faire de la spéculation financière.
Pour ce qui est des mesures réglementaires à prendre, notre rôle, là encore, n'est pas d'émettre des recommandations. Nous nous bornons à faire de l'analyse. Et celle-ci montre qu'en Europe, l'Italie a mis en place depuis 2003 un cadre réglementaire relativement élaboré. Celui-ci interdit le recours à la plupart des produits structurés qui sont proposés en France. La dernière mesure qui entrera prochainement en vigueur chez nos voisins italiens est l'obligation d'annexer aux comptes de la collectivité des informations sur les caractéristiques des instruments souscrits et sur leur juste valeur.

 

Propos recueillis par Thomas Beurey

Produits structurés : près du quart de la dette des collectivités locales

Fitch Ratings rappelle dans son étude que les produits structurés consistent le plus souvent en "la combinaison d'un crédit et de la vente d'une ou plusieurs options permettant d'en bonifier le taux, en contrepartie de l'acceptation par le débiteur, souscripteur du produit structuré, d'une augmentation du risque encouru".
Les produits structurés doivent donc leur succès à des taux très intéressants atteints pendant les premières années du prêt. Cet avantage a cependant un coût : pendant les années restantes, l'emprunteur s'engage à payer un taux majoré, parfois dans des proportions très importantes, en fonction du niveau atteint par certains indices comme les taux d'intérêts à court ou long terme ou les taux de change. Les banques ont proposé ces produits il y a déjà plusieurs années, d'abord dans le cadre du réaménagement d'anciens prêts à taux fixe, devenus trop onéreux par rapport aux taux du marché. Des produits structurés de plus en plus risqués ont vu ensuite le jour, souvent dans le but de refinancer un premier prêt structuré dont les conditions sont devenues défavorables.
Le développement de l'encours en produits structurés des collectivités locales a été extrêmement rapide au cours des dernières années. Cet encours représente aujourd'hui, selon Fitch, entre 30 et 35 milliards d'euros, soit près du quart de l'encours total de dette des administrations publiques locales. Ce chiffre très important masque, de plus, de fortes disparités. Certaines entités n'ont pas du tout recours à ces produits structurés, tandis que pour d'autres, ils peuvent représenter plus de 50% de leur encours total de dette.
   T.B.