Fibre optique - Les collectivités, "facilitateurs" du très haut débit
"Haut débit, Haute Assemblée, le lien est vite fait", a plaisanté Pierre Hérisson, sénateur de Haute-Savoie en ouverture d'un séminaire sur le très haut débit organisé le 27 mars au palais du Luxembourg par l'Idate, centre d'études et de conseil spécialisé dans les télécommunications, avec l'agence Aromates. "Les collectivités prendront leur part dans le développement du très haut débit, comme c'est le cas dans les pays du nord de l'Europe", a d'emblée assuré le sénateur.
Actuellement, le nombre d'abonnés au FTTH - "fiber to the home", fibre optique jusqu'au domicile - connaît une croissance soutenue en Europe. A la mi-2006, l'Idate recensait 139 projets de fibre optique en Europe, dont 20 correspondant à des initiatives lancées depuis 2005. Comme c'était déjà le cas en 2005, la majorité des projets (66%) est le fait d'initiatives de municipalités ou de compagnies d'énergie. En juin 2006, les consultants ont dénombré en Europe environ 820.000 abonnés à la fibre et près de 2,74 millions de foyers et bâtiments raccordables.
Alors que la majorité des abonnés est toujours concentrée dans seulement cinq pays (96% des abonnés sont localisés en Suède, Italie, Danemark, Pays-Bas et Norvège), l'année 2006 a vu des opérateurs de premier plan décider d'investir dans leur propre réseau FTTH. Tel est le cas en France avec France Telecom, Iliad/Free et Neuf/Cégétel. Ici, la migration technologique du cuivre (ADSL ou ADSL 2+) à la fibre optique avec le FTTH atteint même une croissance de 113% en 2006, contre 3 à 7% dans le reste de l'Europe.
La topographie du réseau ne doit pas recréer des monopoles locaux
Concernant les infrastructures techniques permettant de mettre en oeuvre le FTTH, la technologie Ethernet (liaison point à point jusqu'à l'appartement) domine largement par rapport aux technologies PON (Passive Optical Network) dans les projets de déploiement de fibre en Europe.
Ainsi, Free a annoncé un déploiement basé sur Ethernet de quatre millions de foyers raccordables d'ici 2012. On notera cependant que de nouveaux projets utilisent des technologies PON : EnergiMidt et SEAS-NVE au Danemark (BPON), le gouvernement des Asturies en Espagne (GPON), la récente délégation de service public du Sipperec en France... Le test parisien de France Télécom, lancé à la mi-2006 avec une architecture GPON, a été confirmé fin 2006 par le lancement pré-commercial d'une offre FTTH qui se déploie depuis quelques semaines, avec l'objectif de couvrir une dizaine de grandes villes d'ici fin 2008 : Paris, Asnières, Boulogne-Billancourt, Issy, Rueil-Malmaison, Villeneuve-la-Garenne, Clichy, Levallois, Neuilly-sur-Seine, Poitiers, Marseille, Lille, Toulouse, Lyon...
Or de l'avis des opérateurs alternatifs, cette topologie PON, même si les équipementiers prétendent qu'elle est aussi "dégroupable" que l'Ethernet point à point, serait surtout mise en oeuvre par les opérateurs historiques européens pour recréer sur la future boucle locale de fibre optique le monopole qu'ils détenaient sur le cuivre. "Nous ne voulons pas aller vers un marché où, pour changer d'opérateur, il faut changer d'appartement", a déjà prévenu Paul Champsaur, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Alors quel est donc le bon point de mutualisation des réseaux de fibre ? Autrement dit, ne faudrait-il pas faire en sorte que les nouveaux réseaux soient mutualisés et ouverts jusqu'au pied des immeubles et non plus seulement, par exemple, jusqu'aux répartiteurs ?
Les collectivités facilitent les déploiements
En clôture de la matinée de débats, Gabrielle Gauthey, membre du collège de l'Arcep, est venue réaffirmer la position du régulateur. Arrêtée lors de la dernière rencontre du Comité des réseaux d'initiative publique (Crip), qui rassemble collectivités et opérateurs, la consigne est claire : "L'intervention des collectivités locales est susceptible de déplacer les équilibres." Le rôle de "facilitateur" que peuvent jouer les collectivités sera notamment décisif pour favoriser les travaux de génie civil indispensables aux déploiements réalisés par les opérateurs, spécialement pour les opérateurs qui ne possèdent pas déjà de fourreaux (ces travaux peuvent représenter jusqu'à plus de 70% du coût de déploiement).
Les collectivités peuvent aussi inciter les opérateurs au partage lorsqu'elles accordent les droits de passage, prévoir la pose de capacités excédentaires, notamment à l'occasion de travaux de voirie, faciliter la négociation avec les bailleurs sociaux et les copropriétés pour l'accès aux immeubles. Elles peuvent, surtout, créer un effet de levier sur l'investissement privé (comme cela s'est déjà produit pour l'accès à l'ADSL et le dégroupage) "par une péréquation de l'investissement sur des zones plus larges, par exemple en évitant de dupliquer inutilement des infrastructures mutualisables sur des zones qui resteront durablement limitées", a insisté Gabrielle Gauthey. Elles peuvent aussi encourager, voire définir, une topographie des parties passives du réseau (fourreaux, chambre, fibre) commune à l'ensemble des opérateurs - et donc, enfin, "assurer l'ouverture équitable de cette nouvelle boucle locale du futur en évitant au maximum la reconstitution de monopoles locaux". Le remplacement du haut débit par le très haut débit commencera à être significatif en 2010/2012. Le très haut débit représentera environ 27% du total de la base haut débit en 2015. Vivement demain !
Luc Derriano / EVS
Les administrés de Nuenen (Pays-Bas) sont copropriétaires de leur réseau de fibre optique
Le rôle des collectivités dans le déploiement de la fibre était connu en Suède avec l'expérience de Stokab ou en Italie avec Fastweb. Lors du séminaire de l'Idate au Sénat, c'est Kees Rovers, président-fondateur de l'entreprise coopérative Close the Gap qui a fait forte impression. Transposant le modèle américain de "Customer Owned Fiber" (fibre gérée par le client), le réseau de Nuenen, ville de 25.000 habitants en banlieue d'Amsterdam, s'intègre dans le projet Kenniswijk de "collectivité intelligente". L'entreprise coopérative, avec sa collectivité "porte drapeau", a déployé en cinq mois un réseau de 3.000 kilomètres de fibre dès 2001. Résultat : le taux de connexion atteint 80% des habitants. A Nuenen, la totalité des habitations, écoles, églises, médecins, hôpitaux et cantines de clubs sportifs est connectée à ce réseau. Les abonnés disposent d'un débit de 100 Mbit/s symétriques et d'une offre triple play (Internet-TV-téléphone) pour 50 euros par mois (le coût d'abonnement moyen dans le pays). Le point central à Nuenen est connecté par sa propre connexion de sept kilomètres avec le monde extérieur à l'université d'Eindhoven. L'investissement atteint 14 millions d'euros (2.000 euros par foyer), dont 6 millions proviennent de la contribution des abonnées et le reste sous forme d'un emprunt bancaire sur cinq ans. "Ons Net", le nom donné à ce réseau, signifie "Notre Réseau". Voilà le fait le plus remarquable de Nuenen : "Le réseau est à nous, aux habitants. Il n'appartient pas à la commune, ni à une entreprise ou un investisseur privé, ni à l'une des grandes compagnies télécoms", et c'est l'un des facteurs-clés de sa réussite, a conclu Kees Rovers. La société coopérative porteuse du projet de Neuenen transpose désormais son modèle à une autre ville des Pays-Bas, Eindhoven.
L.D.