Haut débit - La redevance du domaine public routier, outil de l'aménagement numérique des territoires ?

Comment optimiser la gestion de l'occupation du domaine public et créer les conditions de déploiement des réseaux haut et très haut débit ? Pour les collectivités et les opérateurs, le montant de la redevance d'occupation du domaine public routier n'est pas un outil essentiel en matière d'aménagement numérique.

Une soixantaine de représentants des collectivités et des opérateurs de télécommunications, experts juridiques et territoriaux se sont retrouvés au colloque de la mission Ecoter sur l'optimisation de la gestion de l'occupation du domaine public dans le domaine des télécommunications, le 7 mars dans les locaux de la Caisse des Dépôts.
"L'objectif est de poser toutes les questions, de faire se rencontrer les acteurs, dans un climat dépassionné, et de comprendre ce qui conduit opérateurs et collectivités à travailler d'une certaine façon, dans le cadre fixé par les institutions, et ainsi d'aboutir à une vision pacifiée et sereine de ces satanés droits de passage", a introduit Patrick Bellin, conseiller technique d'Ecoter et modérateur du colloque.
Le décret 2005-1676 du 27 décembre 2005 fixe le montant des droits de passage d'occupation du domaine public routier pour les infrastructures de télécommunications suivant la voie et la collectivité concernée (commune, département...). Avant sa parution, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) avait indiqué ce qu'elle pensait du projet. Elle avait formulé trois remarques. Le montant de la redevance devrait être le fruit d'une stratégie entre l'intérêt du déploiement des réseaux sur le territoire et le développement de ressources propres. La collectivité pourrait profiter de ce décret pour exiger les plans des réseaux situés sur son territoire. Enfin, le décret ouvrait la porte à une tarification différenciée entre fourreaux occupés ou non. "Ce problème de connaissance des réseaux, des fourreaux vides, est essentiel pour le développement de la fibre optique jusqu'à l'abonné", a expliqué Ghislain Heude de l'Arcep. Malheureusement, dans le principe, les opérateurs préfèrent déclarer que leurs réseaux sont saturés plutôt que de donner des informations à leurs concurrents en signalant des fourreaux vides ou des fibres inactivées. Cependant, le cadre législatif et réglementaire reste inachevé puisque le décret renvoie à un arrêté ministériel pour ce dossier technique fourni par l'opérateur.  Celui-ci devrait être signé prochainement. En outre, le décret fait l'objet de quatre recours devant le Conseil d'Etat, portant notamment sur le niveau du plafond des redevances et les écarts de 1 à 10 entre redevance pour le domaine des collectivités et celui de l'Etat.

Appliquer ou pas le plafond maximum autorisé

Les tarifs maximums fixés par le décret vont de 30 euros par km et par an pour les routes (40 euros en aériens pour inciter à l'enfouissement des réseaux) jusqu'à 3.000 euros pour l'usage des réseaux ferroviaires, en passant par 1.000 euros pour le fluvial et le non routier et 300 euros pour les autoroutes. "Les plafonds sont publics mais ce qui l'est moins c'est la manière dont les services de l'Etat les ont fixés !", a reconnu Thierry Leplat, chef du bureau de la réglementation à la Direction générale des entreprises, sous-direction de la réglementation des communications électroniques et de la prospective. "Il faudrait que tout cela ne soit pas décidé entre Bercy... et Bercy ! ", a insisté Jean-Jacques Thiebault, président du cabinet conseil Strategic Scout.
Par définition, un plafond est le montant maximum autorisé pour ce type de redevance. Il est donc possible pour la collectivité de fixer un tarif inférieur, (ce qui est d'ailleurs explicitement prévu par le texte pour les fourreaux non occupés) avec l'objectif d'éviter les travaux de génie civil. Cet investissements représentent en effet jusqu'à 70% du coût de déploiement d'une infrastructure réseau. "En fait, aujourd'hui, les communes demandent souvent le maximum alors que ce n'est pas l'esprit du décret", a rappelé Ghislain Heude.
Dans le cas du département des Yvelines, la redevance rapporte 220.000 euros par an, dont 95% proviennent de France Télécom. Dans la Manche, une commune sur deux n'applique aucune redevance. Pour les communes qui font payer, à nouveau une sur deux applique un tarif inférieur au plafond. De manière franche, Philippe Le Grand, directeur du syndicat mixte Manche Numérique résume la position des collectivités : "C'est un décret mal rédigé. Il est en plus inégal et injuste : le montant des plafonds est différent suivant qu'il s'agit d'un bien de l'Etat ou de celui d'une collectivité." A Reims Métropole, la redevance atteint également le plafond maximum autorisé, "les opérateurs n'ont jamais remonté auprès de nous que cela constituait un frein au déploiement des réseaux", a expliqué Hervé Rathat, directeur des systèmes d'information. Il faut dire que la situation y est particulièrement avantageuse puisque la collectivité gère en régie un réseau de 80 km et loue sa paire de fibres optiques au tarif de 56 centimes d'euros le mètre. Résultat : 11 opérateurs sont présents sur son territoire.

La gratuité comme facteur incitatif à l'aménagement du territoire

Du côté des opérateurs, la tendance serait à demander la gratuité en échange de l'aménagement du territoire.  Il faut dire que pour le réseau France Télécom, avec près d'1 million d'artères en domaine public routier, le montant des redevances globales atteint plus de 70 millions d'euros, "soit une augmentation de plus de 15 % entre le décret de 1997 et celui de 2005", a précisé Jean-Luc Vuillemin, directeur de pilotage du réseau de l'opérateur. "La collectivité pourrait ne pas appliquer le maximum, à chaque fois mais en fonction du domaine public concerné et de l'opérateur... La gratuité n'est pas évidente mais la redevance pourrait être symbolique", ont tenté de défendre les opérateurs. "Sortez les mouchoirs, on a presque l'impression que les collectivités locales sont en train de ruiner les opérateurs, en ne faisant que suivre un décret établi par l'Etat. De toute façon, il faut bien que quelqu'un paye : soit le consommateur final, soit le contribuable !", a soufflé un cadre de Saint-Etienne.
"Il n'est pas possible de demander à la fois la subvention publique pour l'établissement d'un réseau dans le cadre d'une délégation de service public et demander en même temps la gratuité pour la redevance !", s'est étonné un cadre territorial du Mans.

Une approche de guichet unique

"L'enjeu organisationnel est important pour les collectivités : il s'agit de décloisonner les services et de partager les informations entre la voierie (gestion du sous-sol), les services de développement économique (ZAC...), l'urbanisme (droits des sols...). Il faut inventer une culture commune de développement numérique du territoire", a expliqué Ghislain Heude. Dans le cadre du comité des réseaux d'initiative publique, les discussions portent d'ailleurs sur ce sujet pour arriver à la notion de schéma numérique. "La vraie question est de connaître les réseaux existants, d'identifier les fourreaux vides pour avoir, au sein d'un système d'information géographique harmonisé, les informations utiles à la mutualisation", a insisté Katia Duhamel, de l'Association française des opérateurs de réseaux et de services de télécommunications (Afors). Au Grand Lyon (qui gère plus 2.600 km de voirie pour 57 communes), la collectivité a mis en place un guichet unique pour les opérateurs et un SIG, dès 1998. Grâce au SIG la communauté urbaine connaît les fourreaux disponibles "pour tous les opérateurs alternatifs mais pas pour France Télécom ", a rapporté Pierre Pijourlet, directeur adjoint du Grand Lyon. En Ile-de-France, le Sippérec regroupe pour ses 86 communes adhérentes un service qui s'occupe de récolter les redevances puis de les reverser aux communes, frais de gestion de 5% déduits. Avec son délégataire Irise, le Sippérec a aussi mis en place un guichet unique pour la gestion de ses fourreaux dans les zones d'aménagement.
Après une journée d'échange, les intervenants et participants sont tombés d'accord sur la conclusion : "Il faut relativiser l'importance de ce débat des redevances : l'essentiel, c'est de connaître, repérer et commercialiser les fourreaux disponibles", a synthétisé Gilles Crespin, directeur adjoint de cabinet au conseil général des Yvelines. Vincent Fouchard, chargé de mission télécom du Sippérec confirme : "Le débat du montant des redevances est accessoire s'il n'entre pas dans le cadre de l'aménagement numérique des territoires. Le tarif n'est ni un facteur dissuasif, ni un facteur incitatif sur les zones non rentables pour les opérateurs." Comme l'a bien dit Katia Duhamel, déléguée générale de l'Afors : "Il ne suffit pas de baisser la redevance pour amener le haut débit dans un hameau isolé !"


Luc Derriano / EVS

 

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