Les aéroports intermédiaires en situation de "fragilité structurelle", selon la Cour des comptes
Pour la plupart propriétés des collectivités territoriales, les 41 "aéroports intermédiaires" présents sur le territoire métropolitain, dont la fréquentation se situe entre celle des aéroports internationaux et des aérodromes locaux, souffrent d'une "fragilité structurelle" amplifiée par leur désaffection par les voyageurs au profit des trains, selon un rapport de la Cour des comptes publié ce 15 juin. La juridiction financière appelle notamment à mettre en place un observatoire national pour avoir une vision d'ensemble de leur situation et à élaborer une stratégie en concertation avec les régions.
Sur les 73 aéroports que comptait la France sur son territoire métropolitain en 2019, 41 ont reçu cette même année d'avant la crise sanitaire entre 10.000 et 3 millions de passagers commerciaux. Cette catégorie d’aéroports dits "intermédiaires", dont le niveau de trafic excède celui des aérodromes d’intérêt local sans égaler la fréquentation des plateformes aéroportuaires de rang international, et qui sont pour la plupart propriétés des collectivités territoriales, souffrent particulièrement des effets de la "décentralisation aéroportuaire" française et d'inégalités d'investissements selon les territoires pointe la Cour des comptes dans un rapport publié ce 15 juin.
Ces aéroports ont des vocations diverses – l'acheminement de touristes, principalement d'Europe du Nord, le désenclavement de territoires isolés ou la desserte de métropoles régionales bien connectées – mais sont confrontés à des défis communs. "Fragilisés par le développement des lignes ferroviaires à grande vitesse et le retrait progressif du groupe Air France, souvent très dépendants de quelques compagnies à bas coût, ils doivent en outre faire face à la concurrence frontale d'aéroports voisins", souligne le rapport. Cette situation les met dans une "fragilité structurelle", accrue par la pandémie qui a accentué la désaffection de la clientèle d'affaires et la montée en puissance des compagnies à bas coût.
Aides des collectivités nécessaires pour équilibrer l'exploitation
Ces aéroports "intermédiaires" font aussi "face à des coûts fixes importants", associés à l’aviation commerciale (sécurité notamment), sans recevoir pour autant le nombre de passagers suffisants pour bénéficier, comme les plus grands aéroports, de recettes extra-aéronautiques substantielles (parkings, activités commerciales…). Au sein de cette catégorie, les aéroports qui accueillent un trafic inférieur à 700.000 passagers sont les plus fragiles économiquement et les plus sujets à la dépendance vis-à-vis des compagnies à bas coûts, constate la Cour. "Outre la taxe d’aéroport, le recours aux aides des collectivités locales s’avère ainsi nécessaire pour équilibrer l’exploitation et mener à bien les investissements nécessaires", souligne-t-elle. Mais elle relève aussi que ces aides sont parfois utilisées pour financer des partenariats et "campagnes 'marketing'" avec des compagnies à bas coûts, qui ont déjà été condamnées par la Commission européenne et dont "l'efficacité économique reste à démontrer".
Adaptation à la transition écologique
Pour les magistrats de la rue Cambon, le report des voyageurs vers le train, la prise de conscience du bilan carbone du transport aérien - "l'avion émet en moyenne près de 100 fois plus de gaz à effet de serre par passager transporté que les TGV", selon l'Ademe - "imposent une adaptation à la fois d’un modèle de développement fondé sur l’hypothèse d’une croissance indéfinie du nombre de passagers et des infrastructures aéroportuaires aux bouleversements technologiques prévisibles". Malgré sa portée limitée, la suppression des liaisons aériennes intérieures de moins de 2h30 lorsqu’une alternative en train existe sans correspondance, prévue par la loi Climat et Résilience de 2021 (lire notre article), constitue "une première étape en ce sens" juge la Cour qui incite à "prévoir, pour l'avenir, des évolutions de la carte aéroportuaire".
Besoin de vision d'ensemble
La Cour déplore d'ailleurs qu'avec la décentralisation, "aucun des acteurs publics ne dispose plus de vision d'ensemble" sur le maillage aéroportuaire. "La direction générale de l’aviation civile (DGAC) est recentrée sur la sécurité et la sûreté des aéroports et la surveillance de la navigation aérienne, observe-t-elle. Les collectivités territoriales interviennent quant à elles de façon dispersée. L’absence de coordination entre ces acteurs les place dans un rapport de force défavorable vis-à-vis des compagnies aériennes à bas coût, tentées de mettre en concurrence les plateformes et les dispositifs d’aides." Subventionnées à des fins de désenclavement, les lignes d'aménagement du territoire (LAT), "dont la pandémie a dégradé la qualité de service et accru le coût pour le contribuable" illustrent bien cette absence de vision d'ensemble, estime la Cour.
"Aujourd’hui, le maillage de ces aéroports intermédiaires est confronté à une situation financière durablement fragilisée et à une certaine précarité juridique, liée au décalage entre la réalité économique des aéroports et un droit européen restrictif en matière d’aides publiques", note la Cour qui appelle les autorités publiques à "revoir en profondeur la stratégie et les modes de gestion du maillage aéroportuaire". "Grâce à la création d’un observatoire des aéroports disposant de données harmonisées et complètes, l’État devrait se doter, en concertation avec les régions, d’une stratégie nationale aéroportuaire, préconise-t-elle. Celle-ci lui permettrait d’améliorer l’efficience du maillage aéroportuaire et de définir des priorités en matière de lignes d’aménagement du territoire." Le rôle des régions devrait également être renforcé, selon elle. La loi pourrait ainsi les désigner comme chefs de file pour la gestion des aéroports décentralisés.