Loi Climat et Résilience : la suppression des vols intérieurs de courte durée se précise

Après le feu vert de Bruxelles, la France devrait mettre à exécution l’interdiction des vols intérieurs de courte durée sur son territoire, telle que prévue par la loi Climat et Résilience, c’est-à-dire lorsqu’une alternative de liaison ferroviaire directe de moins de 2 heures 30 est possible. Au vu du projet de décret qui détaille les contours de la mesure, il semble bien que la montagne ait accouché d’une souris. 

Le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires soumet à consultation publique, jusqu’au 10 janvier prochain, un décret d’application attendu de la loi Climat et Résilience visant à interdire les vols intérieurs de courte durée sur le territoire français si une alternative de liaison ferroviaire directe de moins de 2 heures 30 faisant l’objet de plusieurs liaisons quotidiennes est possible. Par sa décision d’exécution (UE) 2022/2358 du 1er décembre 2022, la Commission européenne a donné son feu vert au projet de décret qui organise les conditions d’application de cette interdiction. Le principe fondamental du droit de l'Union européenne est en effet la liberté d'exploitation des liaisons aériennes sur le territoire d'un État membre. Une seule exception est prévue par l’article 20 du règlement n°1008/2008 du 24 septembre 2008, qui dispose qu’un État membre peut, "lorsqu’il existe des problèmes graves en matière d’environnement (…) limiter ou refuser l’exercice des droits de trafic, notamment lorsque d’autres modes de transport fournissent un service satisfaisant". C'est d’ailleurs la première fois que cet article est invoqué, la France fait donc figure de pionnière en la matière. Le ministre délégué aux Transports, Clément Beaune, avait immédiatement salué la décision de la Commission, qui "permettra de lancer de nouvelles étapes dans l’interdiction effective des lignes aériennes quand il y a une alternative de moins de 2h30 en train". 

Le cadre est toutefois extrêmement contraint. Un premier projet de décret, en 2021, avait ainsi conduit la Commission à soulever des objections. L’exécutif a en particulier dû renoncer à une dérogation autorisant les liaisons aériennes assurant majoritairement le transport de passagers en correspondance, qui présentait selon Bruxelles, "un risque de discrimination et de distorsion de la concurrence entre les transporteurs aériens". Notons également que l’option a été prise de ne pas traiter "à ce stade" le transport aérien décarboné. 

Service alternatif satisfaisant : de quoi s’agit-il ? 

S’agissant des caractéristiques des liaisons ferroviaires "substituables à l’avion", le projet de décret retient celles qui assurent, dans chaque sens, un trajet de moins de deux heures trente :
entre des gares desservant les mêmes villes que les aéroports considérés ; lorsque le plus important en termes de trafic des deux aéroports concernés est directement desservi par un service ferroviaire à grande vitesse, la gare retenue est celle desservant cet aéroport ;
sans changement de train entre ces deux gares ;
plusieurs fois par jour, avec des fréquences suffisantes et des horaires satisfaisants ;
- permettant plus de huit heures de présence sur place dans la journée. 

Au fur et à mesure que l’offre de services ferroviaires s’améliorera, avec des fréquences plus nombreuses et des horaires adaptés, "davantage de liaisons ferroviaires pourront être considérées comme remplissant les critères du décret", assure le ministère, qui rappelle par ailleurs la volonté du législateur "de ne pas pénaliser les voyageurs", notamment ceux effectuant des correspondances. C’est pourquoi la caractérisation du temps de trajet ferroviaire "tient compte de la spécificité du développement d’infrastructures intermodales spécifiques dans certains aéroports : lorsqu’un aéroport bénéficie d’une gare ferroviaire à vocation intermodale située sur son emprise, la liaison ferroviaire prise en considération comme alternative à la liaison ferroviaire est cette gare aéroportuaire". 

Pas plus de trois lignes aériennes concernées

En pratique, "sur la base de la desserte ferroviaire actuelle et du projet de décret", trois liaisons entre Paris-Orly et Bordeaux, Nantes et Lyon seront interdites. C’est en réalité déjà le cas depuis 2021. Les autres lignes étant pour l’heure épargnées… Ainsi, les liaisons entre Paris-Charles de Gaulle d’une part et Bordeaux et Nantes d’autre part sont exclues du champ de la mesure, "du fait d’un temps de trajet ferroviaire supérieur à 2h30 pour rejoindre la gare TGV de l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle". Quant aux liaisons entre Paris-Charles de Gaulle d’une part et Rennes et Lyon d’autre part ainsi que la liaison Lyon-Marseille, elles sont également hors champ en l’état actuel de l’offre ferroviaire. En effet, "même si les trajets ferroviaires peuvent offrir des temps de parcours inférieurs à 2h30, ils ne permettent pas d’accéder suffisamment fréquemment, suffisamment tôt le matin à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle (ou de Lyon-Saint-Exupéry dans le cas de la ligne Lyon-Marseille) ni d’en partir suffisamment tard le soir", justifie le ministère. "Autrement dit, les fréquences ne sont pas suffisantes et les horaires, pas satisfaisants", explique-t-il. Toutefois, une amélioration de ces services ferroviaires, notamment pour les besoins des correspondances, pourrait permettre "à l’avenir" des interdictions aériennes "plus larges", laisse-t-il entrevoir. 

Clause de revoyure dans trois ans 

Le décret sera valable pour une durée limitée ne dépassant pas trois ans. Au-delà, la Commission a exigé un réexamen. Son impact sera entre outre évalué 24 mois après son entrée en vigueur. Sans surprise, la réaction de l’ONG Greenpeace est très mitigée. "Après de longs mois de discussions, la décision de la Commission européenne vient donc acter une mesure française d’interdiction des vols courts… qui n’interdit en fait pas grand-chose", a commenté Sarah Fayolle, chargée de campagne Transports chez Greenpeace France. D’un côté, la Commission "muscle" un peu l’interdiction en y intégrant les vols de correspondance, "mais elle l’affaiblit dans le même temps en ne l’autorisant que pour trois ans", relève-t-elle. Greenpeace plaide pour que l’interdiction des vols courts quand il y a une alternative en train en moins de six heures soit inscrite clairement dans le cadre européen, pour répondre à l’urgence climatique.