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Hébergement - Le référé du Conseil d'Etat sur l'hébergement d'urgence : une décision "historique" ?

Dans une ordonnance de référé du 10 février 2012, le Conseil d'Etat a pris position sur le droit à l'hébergement d'urgence en estimant qu'une carence dans la mise en oeuvre de ce droit peut constituer "une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée". Le DAL (association Droit au logement) - qui soutenait le requérant - a vu aussitôt dans cette décision "une ordonnance historique du Conseil d'Etat", qui "ouvre enfin un recours effectif pour faire respecter les droits de tous les sans-abri".
Si la décision du Conseil a une valeur symbolique incontestable, il est beaucoup moins sûr qu'elle entraîne dans l'immédiat une modification significative de l'ordre juridique, ni même emporte des conséquences pratiques. En l'espèce, M. Karamoko A., ressortissant ivoirien résidant en France "depuis de nombreuses années", a vu l'immeuble dans lequel il demeurait à Gentilly (Val-de-Marne) entièrement détruit par un incendie dans la nuit du 17 au 18 janvier 2012. Il contestait une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 3 février 2012, par laquelle ce dernier confirmait une décision implicite du préfet de la région Ile-de-France du 25 janvier rejetant sa demande d'hébergement d'urgence. M. Karomoko A. demandait donc au Conseil d'Etat d'infirmer la décision du juge des référés du tribunal administratif de Paris.

Des attendus, mais pas de décision

En pratique, la réponse du Conseil d'Etat à cette saisine tient dans la phrase unique de son ordonnance de référé : "Il n'y a pas lieu de se prononcer sur la requête de M. A." En effet, le juge des référés constate "qu'en l'espèce, M. A a été pris en charge, après l'intervention d'une équipe mobile, la veille de l'audience devant le juge des référés du Conseil d'Etat ; qu'à la suite de l'audience, et durant la prolongation de l'instruction décidée, à l'issue de celle-ci, par le juge des référés, des possibilités d'hébergement journalières lui ont été ouvertes dans le département du Val-de-Marne ; que les services de l'Etat assurent, avec le concours de partenaires associatifs, le suivi de sa situation [...]". Si la soudaine diligence des pouvoirs publics n'est évidemment pas sans lien avec la perspective de l'intervention du juge, l'ordonnance ne dit rien en revanche sur le fond - ce qui n'est pas son objet -, mais rien non plus sur le référé lui-même, compte tenu de l'extinction de la cause. Tout son intérêt réside donc dans ses attendus - et notamment dans celui cité plus haut -, mais ceux-ci n'ont évidemment pas la même portée jurisprudentielle.
De même, la référence à une éventuelle "atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale" ne vise pas le non-respect d'une disposition du Code de l'action sociale et des familles (CASF) ou du Code de la construction et de l'habitation. Elle vise explicitement l'article L.521-2 du Code de justice administrative. Cet article fonde la possibilité, pour le juge des référés, d'ordonner "toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale" à laquelle une personne publique ou un organisme de droit privé chargé d'un service public aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Si l'attendu déjà cité laisse supposer que le juge aurait considéré - si l'action ne s'était pas éteinte d'elle-même - que les circonstances étaient réunies pour faire éventuellement jouer l'article L.521-2, rien ne permet d'inférer qu'il l'aurait fait en l'espèce. Faute de jugement au fond, on ignore en effet les raisons qui ont poussé le préfet de région Ile-de-France à refuser la demande d'hébergement d'urgence déposée par l'intéressé (carence du dispositif ou raison objective ?).
Enfin, il ne faut pas oublier que l'obligation d'assurer un hébergement d'urgence à toute personne en détresse est déjà contenue dans l'article L.345-2-2 du CASF : "Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence." Une éventuelle jurisprudence ne pourrait donc porter que sur les modalités de mise en oeuvre de ce droit. En tout état de cause, l'ordonnance du 10 février 2012 ne peut constituer, au mieux, qu'un arrêt précurseur, sans effet pratique immédiat. Il conviendra d'attendre, pour cela, une éventuelle décision au fond sur une affaire similaire, qui se fonde sur les mêmes attendus que l'ordonnance non aboutie du 10 février.

Jean-Noël Escudié / PCA

Référence : Conseil d'Etat, ordonnance de référé n°356456 du 10 février 2012, M. Karamoko A.

 

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