Archives

Fonction publique - Le rapport Pêcheur appelle le gouvernement à engager une nouvelle politique salariale

Le rapport de Bernard Pêcheur sur la fonction publique développe une "stratégie de long terme". Prônant le maintien d'une fonction publique de carrière organisée par les statuts, il appelle toutefois à de nombreuses réformes, notamment en matière salariale. Pour lui, le gel de la valeur du point d'indice ne pourra pas durer encore très longtemps, au risque sinon d'aboutir à une fonction publique "sous-payée".

"Donner du sens à l'action publique", "assurer la confiance des citoyens dans les agents publics", "améliorer la gouvernance de la fonction publique", "développer les responsabilités et mieux gérer les ressources humaines", "prévenir toute dérive clientéliste"... Les défis auxquels la fonction publique doit faire face sont multiples, constate Bernard Pêcheur, président de la section de l'administration du Conseil d'Etat dans le rapport qu'il a remis le 4 novembre au Premier ministre. Dans ce document de 240 pages, il appelle le gouvernement à se doter d'une "stratégie de long terme pour la fonction publique et le service public". Un cap qu'il s'applique à préciser en particulier sur le terrain de la rémunération des agents publics.

Stopper le gel du point d'indice

Au moment où la ministre en charge de la fonction publique doit entamer, le 5 décembre, une concertation sur les rémunérations, les carrières et les parcours professionnels des agents, celui qui fut directeur général de l'administration et de la fonction publique de 1989 à 1993 lance un pavé dans la mare en appelant à une rénovation de la politique salariale. "La France (...) ne peut avoir pour ambition d'avoir des fonctionnaires et des militaires 'au rabais', une fonction publique sous-développée", écrit-il.
Alors que le gouvernement a annoncé en juillet que le point d'indice serait de nouveau gelé en 2014 – sauf pour les agents de catégorie C et certains agents de la catégorie B – et qu'au mois de juin, la Cour des comptes a préconisé une poursuite du gel jusqu'en 2015, cette mesure "ne saurait dans la durée tenir lieu de politique salariale", plaide le haut fonctionnaire. Elle a pour conséquence "l'écrasement de la grille", précise-t-il. En clair, les indices du bas de la grille ont été revalorisés pour être alignés sur le Smic. Mais les indices des échelons et grades plus élevés ne l'ont pas été. Résultat : "Sans évolution de la grille, le Smic talonnera le bas de la grille de la catégorie B d'ici 2015 et celui de la catégorie A d'ici 2017." De ce fait, l'écart entre le traitement indiciaire le plus faible et celui qui est le plus élevé n'est donc aujourd'hui "que de 4,85". "Le système salarial de la fonction publique française est aujourd'hui extrêmement – et sans doute trop – égalitaire", en conclut Bernard Pêcheur. Qui juge par ailleurs "trop élevée" la place prise par les primes dans la rémunération globale des fonctionnaires (18% en moyenne pour un agent de la territoriale).

Pas de "big bang"

Les modalités de la promotion des agents non plus ne sont pas exemptes de critiques, d'après celui qui est passé par plusieurs cabinets ministériels sous des gouvernements socialistes : ces règles ont été fixées "sans réelle préoccupation de gestion prévisionnelle des effectifs". Dans le même temps, les catégories hiérarchiques (A, B, C), critiquées y compris par les syndicats, ont progressivement "perdu de leur sens".
Pour Bernard Pêcheur, le "statu quo" n'est "plus possible". La fonction publique doit en effet pouvoir motiver ses agents et rester attractive, notamment face au privé. C'est  tout particulièrement un enjeu pour la fonction publique territoriale qui, dans les prochaines années, devra faire face à de très nombreux départs à la retraite.
Pour répondre à ces questions, il écarte la solution d'un changement complet de modèle. La fonction publique statutaire, unitaire et nationale bâtie en 1983 et 1984 a fait preuve de sa souplesse et demeure "pertinente", estime-t-il. Il préconise de conserver et même de "donner son plein effet" au principe de séparation du grade et de l'emploi, selon lequel l'agent n'est pas propriétaire de son emploi mais de son grade. De plus, la logique de la carrière doit, selon lui, dans les trois fonctions publiques, "continuer à prévaloir sur la logique de l'emploi". Autrement dit, "l'occupation des emplois des administrations par des agents sur contrat doit être une exception, justifiée, encadrée et limitée". On notera enfin que Bernard Pêcheur se prononce pour le respect des particularités des trois fonctions publiques.

Supprimer les catégories A, B et C

Sur le volet des carrières et des traitements, le rapport préconise une rénovation de la grille, chantier de plusieurs années, qui ferait table rase des catégories. A la place, il propose six "niveaux de fonctions" définis par le niveau de diplôme, ou la nature des missions exercées et le niveau de responsabilités. En outre, il fixe comme l'une des priorités de redonner de l'amplitude dans les déroulements de carrière au sein des "niveaux de fonctions" et entre eux.
Après l'augmentation des agents les plus faiblement rémunérés, "le moment devra venir de revaloriser également le milieu et le haut de la grille des salaires", souligne-t-il. Les nouvelles grilles devraient prévoir des avancements sur des périodes plus longues, afin de les rendre plus attractives, sans toutefois rendre ces périodes "excessivement longues", affirme-t-il. "Des durées de trente ans apparaissent comme raisonnables."
Bernard Pêcheur plaide clairement pour une augmentation du point d'indice au profit des 5 millions d'agents publics, tout en rappelant que l'augmentation de 1% de la valeur du point d'indice représente un coût de 1,8 milliard d'euros pour les trois fonctions publiques, dont près de 800 millions d'euros pour la fonction publique de l'Etat. Il préconise en même temps de laisser aux divers employeurs publics "une marge de négociation salariale propre".
S'agissant des avancements dans la territoriale, il conseille de remplacer les principes de l'avancement à l'ancienneté minimale ou maximale par un "mécanisme plus proche de celui de l'Etat". Soit un système qui "repose sur des durées moyennes, corrigées le cas échéant par des réductions ou des majorations d'ancienneté significatives".

Limiter le recours aux contractuels

S'il est vrai qu'une grande part des propositions ne concerne que l'Etat, une partie vise directement la territoriale, en particulier dans les domaines du recrutement et de la gestion des ressources humaines. Il est ainsi recommandé de "rendre plus transparents et plus objectifs les recrutements de contractuels" ou encore de fixer par décret des règles qui soient les mêmes pour tous les employeurs s'agissant des recrutements sans concours sur des emplois faiblement qualifiés. Le développement de l'apprentissage, l'ouverture d'un débat avec les employeurs territoriaux sur les "reçus-collés" de la fonction publique - c'est-à-dire les lauréats des concours qui ne trouvent pas d'emploi – ou encore sur la politique indemnitaire (pour, par exemple, instaurer des minima indemnitaires) sont conseillés.
Pour "assurer la confiance des citoyens dans les agents publics", le rapport recommande la généralisation des chartes de déontologie. Le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) pourrait avoir pour mission d'élaborer de telles chartes pour les agents territoriaux. Il est encore suggéré que tout agent puisse bénéficier d'un conseil déontologique et s'adresser à un référent déontologique. "Cette fonction pourrait être prise en charge par le centre départemental de gestion", indique le rapport.

Favoriser la mobilité

Pour "améliorer la gouvernance de la fonction publique", il est recommandé de développer chez tous les employeurs publics des démarches de gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences. A ce chapitre, il est également recommandé de réexaminer "les modalités de l'association des employeurs publics territoriaux au pilotage des politiques de fonction publique". S'agissant du conseil commun de la fonction publique, mis en place en 2012, il est émis un doute sur la pertinence d'en faire une instance chargée de l'examen des textes. Mieux vaudrait laisser cette compétence aux conseils supérieurs de chaque fonction publique, dit en substance le rapport. Le conseil commun devrait plutôt être "un lieu d'échanges sur les évolutions de la fonction publique ainsi qu'une instance d'évaluation des orientations stratégiques".
Pour favoriser les "passerelles" entre les fonctions publiques, le rapport suggère de lever certains obstacles juridiques. Plus concrètement, il préconise la création d'un portail internet unique permettant aux candidats à la fonction publique ou aux agents de consulter les offres d'emplois des trois fonctions publiques. Par ailleurs, des statuts d'emplois communs pourraient être créés de manière à permettre à des agents aux compétences spécialisées, tels que des acheteurs, ou les techniciens des systèmes d'information, de trouver davantage de débouchés, propose aussi le rapport.

Un projet de loi en 2015

Pour mettre en place ces diverses mesures, Bernard Pêcheur propose au gouvernement dans un premier temps de réunir des assises nationales du service public rassemblant élus, partenaires syndicaux et représentants des entreprises et plus largement des usagers. Elles s'accompagneraient d'assises régionales réunissant les fonctionnaires. Une consultation, notamment sur internet, serait également ouverte. Sur le volet des rémunérations, il recommande la conclusion avec les organisations syndicales d'un "contrat social triennal".
Le rapport doit servir de base à la concertation que le gouvernement ouvrira le 5 décembre prochain avec les syndicats de la fonction publique. La conclusion d'un accord de méthode est prévue en février 2014. Une négociation proprement dite s'engagerait en mai 2014. Ce chantier devrait déboucher sur un projet de loi en 2015, selon l'entourage de Marylise Lebranchu cité par l'agence AEF.
Le rapport "n'engage pas le gouvernement", précise Matignon à l'AEF. "Après la remise du rapport Pêcheur sur la rénovation de l'architecture statutaire, nous allons tout mettre sur la table. Nous avons entre un et deux ans de travail pour refaire les carrières, les échelons, les grades. Tout est totalement obsolète et à refaire", déclarait récemment à l'agence de presse la ministre en charge de la Fonction publique.

 

Pour aller plus loin

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis