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Réforme territoriale - Le projet de décentralisation scindé en trois textes

Coup de théâtre pour l'Acte III. Jean-Marc Ayrault a fait savoir ce 2 avril que le projet de loi de décentralisation, attendu pour le 10 avril en Conseil des ministres, sera finalement redécoupé en trois textes dont l'examen au Parlement sera rééchelonné. Il a ainsi accepté, notamment, la demande du président du Sénat qui réclamait un report et de nouveaux "travaux préparatoires". Cette segmentation a toutefois de quoi susciter pas mal de questions.

Tous ceux qui avaient péniblement épluché la centaine d'articles des versions 8 ou 9 de l'avant-projet de loi vont sans doute maugréer... Certains parlent d'emblée d'un "singulier coup de théâtre"... A moins de dix jours de sa présentation en Conseil des ministres, la réforme de la décentralisation se voit subitement redécoupée et en partie reportée. Jean-Marc Ayrault l'a annoncé ce mardi 2 lors d'une réunion avec les sénateurs socialistes. Finalement, l'exécutif devrait déposer trois textes distincts, et non plus un seul. Trois textes dont l'examen par le Parlement sera étalé dans le temps.
"Compte tenu de la lourdeur, de la complexité lorsqu'on s'attaque au grand chantier des collectivités, il y aura trois parties dans ce texte", a ensuite déclaré le Premier ministre devant la presse, confirmant ainsi une première information données par le président du Sénat, Jean-Pierre Bel.
"La première partie sera consacrée aux métropoles Paris, Lyon, Marseille, mais aussi les grandes métropoles de province et les grandes villes. La deuxième partie aux régions [...] et un troisième texte se consacrera aux solidarités territoriales qui concernent notamment l'avenir des départements, l'avenir des communes et des intercommunalités et qui bouclera cette grande réforme de la décentralisation qui donnera à nos territoires cette dynamique dont ils ont besoin", a-t-il précisé. "C'est un texte d'ensemble qui sera présenté le 10 avril au Conseil des ministres, et nous commencerons en quelque sorte par un premier étage qui est celui des grandes métropoles, un deuxième texte en octobre sur les régions, et ensuite viendra [celui sur] les solidarités territoriales", a-t-il dit. L'idée du gouvernement est donc de finaliser le découpage en trois textes d'ici le 10 avril puis de réserver à chacun d'entre eux un temps de débat parlementaire spécifique.
"C'est le fruit d'une très bonne grande concertation entre les sénateurs socialistes", a aussi déclaré Jea-Marc Ayrault, affirmant que "les sénateurs ne sont pas réticents" à cette réforme mais "veulent que ça marche et que ça réussisse". Jean-Pierre Bel a fait valoir que, "contrairement à ce qui s'était produit avec la réforme territoriale votée sous Sarkozy", le Sénat avait "convaincu le gouvernement de revoir totalement sa copie et le calendrier".
Le premier texte, a fait savoir Jean-Pierre Bel, "devrait être soumis au Sénat dès ce printemps", tandis que le deuxième "sera examiné dans quelques mois, pour permettre une nouvelle concertation" et que celui sur "la clarification des compétences et les solidarités territoriales" fera l'objet "de nouveaux échanges et d'un travail préparatoire approfondi".

Une "sage décision"

On se souvient que le projet de loi avait au départ été annoncé pour novembre dernier, avant qu'il ne soit décidé de poursuivre la concertation avec les élus.
Jean-Pierre Bel avait récemment demandé à François Hollande de repousser après l'été le début de la discussion parlementaire. Faute d'avoir obtenu gain de cause, il avait ensuite annoncé qu'il mènerait "une concertation" avec "tous les groupes" du Sénat avant la discussion parlementaire. Il se faisait l'écho des "préoccupations de nombreux parlementaires et élus locaux quant à la présentation d'un seul projet de loi additionnant une série de mesures sans ligne directrice clairement perceptible".
"Nous partons maintenant sur la base de trois textes qui auront chacun un objectif clair", s'est félicité ce 2 avril Jean-Pierre Sueur, le président de la commission des lois du Sénat, qui demandait lui aussi que le projet soit "profondément revu". "Ce n'est plus une logique de compétences à géométrie variable, mais de clarté dans le qui fait quoi", a-t-il ajouté.
"C'est une sage décision vu le degré d'impréparation de cette loi qui n'était qu'une succession d'intérêts localiers et qui noyait tout pour tenter de contenter tout le monde", a encore jugé le sénateur PS Christian Bourquin, également président du conseil régional de Languedoc-Roussillon. Pour Jean-Claude Gaudin, le président des sénateurs UMP, "le Premier ministre a tenté d'éteindre un incendie" face à un texte qui "laisse peu de place aux communes en les réduisant aux fonction d'exécutantes". "L'échec de ce premier texte doit servir de leçon", écrivent quant à eux les sénateurs communistes, qui demandent "un grand débat", "en évitant d'imposer des solutions toutes faites répondant à des impératifs économiques bien éloignés des réalités locales".

De nouvelles questions...

Marylise Lebranchu a fait savoir ce 2 avril en fin de journée que cet "échelonnement" doit permettre "un travail approfondi avec le Sénat sur les améliorations possibles" et correspond à "une hypothèse que nous travaillons depuis plusieurs semaines". Selon la ministre, qui assure qu'il "ne s'agit en rien d'un report", "deux questions subsistaient" : "Comment étudier un texte de cette importance au Sénat en deux semaines ? Comment poursuivre la concertation avec les sénateurs sur les points qui les touchent particulièrement comme l’intercommunalité et la gouvernance régionale notamment ?"
L’Association des régions de France (ARF) a indiqué mardi "prendre acte de la décision du gouvernement de scinder son projet de loi" et rappelle avoir déjà relevé "les nombreuses insuffisances du texte" face à la nécessité de clarifier les compétences de chaque échelon territorial. L'un des présidents de région, Martin Malvy, parle d'une "sage décision" si l'on veut retrouver "le souffle de la réforme annoncée par François Hollande". Le président de Midi-Pyrénées se demande toutefois comment l'on va pouvoir "séparer le débat sur les grandes villes de celui sur les régions".
Ce découpage en trois textes va en effet forcément soulever beaucoup de questions. Ainsi, les présidents de conseils généraux s'inquiéteront sans doute de voir le sort des métropoles (qui revendiquent un transfert des compétences sociales) et celui des régions (qui vont forcément demander un maximum de compétences économiques) être scellé avant même que l'on commence à se penche sur le rôle du département. De quoi avoir peur, justement, d'un manque de cohérence, sans compter la peur de ne récolter que les compétences dont les autres n'auront pas voulu... On peut de même imaginer que certains élus intercommunaux se demanderont pourquoi les "grandes métropoles" seront traitées en priorité tandis que le sort des autres EPCI ne sera abordé qu'en fin de parcours.
Le communiqué du président UDI de la Côte-d'Or laisse assez bien présager ce type de réactions : "L'aménagement du territoire ne saurait être morcelé, la décentralisation nécessite une réforme globale [...]. En consacrant la première partie de la réforme aux métropoles et aux grandes agglomérations, et en renvoyant le texte sur les solidarités territoriales aux calendes grecques, le gouvernement démontre à nouveau qu’il envisage de faire reposer le développement du pays sur le seul fait urbain, au détriment des territoires ruraux et de leurs habitants", écrit François Sauvadet.

 

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