Le principe pollueur-payeur s’arrête-t-il à la collecte des déchets ?
Devant les réticences des collectivités à déployer la tarification incitative pour la collecte des déchets, ce qui aurait dû être obligatoire, l’observatoire régional des déchets d’Île-de-France a récemment organisé un webinaire pour les inciter à sauter le pas. Reste que la décision apparaît davantage politique que technique.
"Tout le monde reconnaît maintenant la nécessité d'avoir une part incitative, quel que soit le mode de prélèvement, taxe ou redevance ", déclarait en… janvier 2008 la secrétaire d’État à l’écologie d’alors, Nathalie Kosciusko-Morizet (voir notre article). Depuis, si les collectivités sont régulièrement "incitées" – et même plus – à introduire cette taxe incitative (TI) – part variable de taxe d’enlèvement des ordures ménagères (Teom) ou de redevance d’enlèvement des ordures ménagères (Reom) en fonction de la quantité de déchets produits –, elles tardent à l’adopter. "Le nombre d’habitants concernés plafonne aujourd’hui", constate l’observatoire régional des déchets d’Île-de-France (Ordif), qui a coordonné le 30 juin dernier un webinaire pour relancer le mouvement.
Une taxe incitative qui aurait déjà dû être obligatoire…
Pourtant la loi Grenelle I du 3 août 2009 a bien prévu l’instauration d’"un cadre législatif permettant l'instauration par les collectivités territoriales compétentes d'une tarification incitative pour le financement de l'élimination des déchets des ménages et assimilés". Elle précise même que "la redevance d'enlèvement des ordures ménagères et la taxe d'enlèvement des ordures ménagères devront intégrer, dans un délai de cinq ans, une part variable incitative devant prendre en compte la nature et le poids et/ou le volume et/ou le nombre d'enlèvements des déchets". Mais la disposition est restée lettre morte. La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte l’a d’ailleurs en quelque sorte actée, puisqu’elle dispose que "les collectivités territoriales progressent vers la généralisation d'une tarification incitative en matière de déchets, avec pour objectif que quinze millions d'habitants soient couverts par cette dernière en 2020 et vingt-cinq millions en 2025". Classiquement, la responsabilité reposant sur tous, elle ne repose in fine sur personne…
… qui progresse à pas comptés
Alexandra Gentric, de l’Ademe, se fait pour autant optimiste : "La taxe incitative progresse. À l’époque de la loi Grenelle, une trentaine de collectivités seulement avaient adopté la redevance incitative, couvrant environ 600.000 habitants. Au 1er janvier 2021, 200 collectivités supplémentaires, représentant plus de 6 millions d’habitants, avaient adopté la 'TI' – à une large majorité sous forme de redevance." Majoritairement "dans trois régions : Pays de la Loire, Grand Est et Bourgogne-Franche-Comté, et principalement en typologie mixte et rural", précise Carole Limouzin, de l’Ademe. Pourtant, même en voyant le verre à moitié plein, il y a toujours fort loin de la coupe aux lèvres, y compris en comptabilisant les "55 projets en cours", qui devraient couvrir 2,5 millions d’habitants supplémentaires. Très loin de l’objectif des 15 millions de 2020, sans parler des 25 millions de 2025…
Des impacts budgétaires qui tempèrent les ardeurs
Principal obstacle à l’introduction dans ce domaine du principe pollueur-payeur par ailleurs tant vanté, la crainte de son impact sur le budget des collectivités d’une part, et des ménages d’autre part – dont on craint déjà la révolte (voir notre article du 2 juin 2021). Aurélie Tupek, chargée d’études à l’Ordif, relève en effet que les "l'on a une problématique potentielle de transfert de charges des professionnels vers les ménages dans le cadre d’un choix du passage à une tarification incitative. Dans le cas d’une redevance, en effet, les professionnels qui aujourd’hui payent beaucoup de Teom et qui produisent peu de déchets vont forcément moins contribuer aux services. Potentiellement des professionnels vont aussi sortir du service".
Geoffroy Buot, chef de projets au sein de la direction déchets de Nantes Métropole, fournit une illustration concrète : dans sa collectivité, la part des professionnels atteint 26% des recettes, aucune exonération n’étant prévue pour les entreprises confiant la collecte de leurs déchets à des entreprises privées. De manière générale, il relève que les 10% les plus assujettis contribuent à hauteur de 32% des recettes de la Teom, sans lien aucun avec les déchets collectés. Ces disparités se retrouvent naturellement entre entreprises : 5,3% des locaux professionnels contribuent à hauteur de 52% de la Teom des professionnels collectée, 0,6% des locaux professionnels représentant même 21% de ces recettes.
Concentrer l’effort sur les "territoires propices" ?
Pour autant, plusieurs collectivités se mobilisent. La région Île-de-France s’est ainsi fixé pour objectif, dans son plan régional de prévention et de gestion des déchets, que "100% de ses territoires se soient engagés dans une étude de TI en 2025" et que 15% de sa population soit couverte par une TI à la même date (et 30% en 2031). Pour atteindre ces deux derniers objectifs, la région, en coopération avec l’Ordif et l’Ademe, a entrepris d’identifier les territoires les plus "propices à la tarification incitative", qui pourraient plus facilement porter l’effort collectif. Aurélie Tupek dresse les critères pris en compte : outre la part des locaux professionnels dans les recettes collectées, sont également examinés la composition du parc de logements (plus l’habitat collectif est important, plus l’individualisation des flux sera malaisée) et la qualité de l’occupant (le propriétaire étant plus facile à identifier que le locataire en cas d’option pour la taxe plutôt que la redevance), le degré d’occupation du parc (plus le taux de vacance ou la part de résidences secondaires sont importants, plus les recettes liées à la collecte de déchets seront faibles) n’étant pas non plus sans conséquence. Les collectivités remplissant favorablement ces critères seront incitées à franchir le Rubicon. Elles pourront notamment bénéficier des aides offertes par l’Ademe, qui couvrent en partie aussi bien l’étude de faisabilité que l’information du public, en passant évidemment par les investissements nécessaires.
La taxe incitative, juste… et efficace
Comme toute vision utilitariste du "sacrifice" de quelques-uns au bénéfice du plus grand nombre, ce choix n’est toutefois guère satisfaisant sur le plan de l’équité et de la justice. Il n’est pas non plus sans contribuer à faire perdre de vue l’objectif final : la réduction des déchets, partout et par tous. Ophélie Olivier, responsable du service gestion des déchets au sein de la communauté de communes du pays des Herbiers (Vendée), indique que ce sont précisément ces deux raisons qui ont conduit les élus de sa collectivité à sauter le pas en 2016 : "D’abord, la Teom, basée sur la valeur locative de l’habitation et non sur la production des déchets, est profondément inégalitaire. Elle conduit à des écarts importants entre des communes ou entre des foyers produisant pourtant la même quantité de déchets. Ensuite, la taxe incitative induit des comportements responsables, en favorisant tri des déchets et réduction des volumes. On paye en fonction de sa consommation, comme pour l’eau et l’électricité". Elle relève que le nouveau dispositif, qui comprend une part fixe – un abonnement incluant un nombre forfaitaire de dépôts, fonction du nombre de personnes dans le foyer – et une part variable –fonction des dépôts supplémentaires – s’est traduit par une "baisse immédiate des tonnages d’ordures ménagères collectés" et une hausse concomitante de la collecte d’emballages, du verre ou encore du compostage. Bref, "ça fonctionne". Reste que "passer au paiement en fonction du service rendu demande du courage politique", souligne Julien Ruaro, de l’Ademe. Et ce même si, rappelle-t-il, "il existe d’autres moyens de faire du social".
Avant de mettre en œuvre la taxe incitative, Anne-Sophie de Kerangal, responsable économie circulaire et déchets à la région Île-de-France, préconise de bien "préparer le territoire. D’abord, accentuer la prévention, en délivrant aux habitants des informations sur les moyens de réduire sa production de déchets. Ensuite, améliorer la connaissance des coûts [voir les outils proposés par l’Ademe]. Enfin, mettre en place des moyens pour lutter contre les dépôts sauvages". Elle recommande également "de mettre en place la redevance spéciale" (due par les professionnels qui utilisent le service public de ramassage des déchets) – dont Arthur de Cazenove, membre de l’observatoire régional des déchets et de l’économie circulaire de la région Sud, concède par ailleurs "que, seule, elle couvre rarement les coûts complets de traitement des déchets collectés" –, de "renforcer la coordination propreté-collecte-traitement" ou encore de "débuter par des zones d’expérimentation". |