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Artificialisation des sols - "Le monde a faim de terre et la France la gaspille"

Déjà deux décrets sur la consommation des terres agricoles, pris en application de la loi de modernisation de l'agriculture, sont parus. Mais pour le directeur de la Fédération nationale des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (FNSafer), André Barbaroux, ces mesures ne sont pas à la hauteur des enjeux, alors que la consommation des terres s'accélère pour s'établir à 86.000 ha par an.

Localtis : La Chine, l'Inde, les pays du Golfe se ruent vers les terres africaines. La France, qui perd des terres agricoles à un rythme de plus en plus rapide, n'est-elle pas en décalage avec ce qui se passe dans le monde ?

André Barbaroux, directeur général de la FNSafer : Le monde a faim de terre et la France la gaspille. C'est le "paradoxe français", thème que j'avais souligné dans la revue Demeter de 2009. Entre 1992 et 2003, la consommation de terres agricoles était de 61.000 ha par an, entre 2005 et 2009 elle est passée à 74.000 ha/an, et selon les derniers résultats, de 2010 à aujourd'hui, on est passé à 86.000 ha/an. Malgré toutes les bonnes volontés, le phénomène s'accroît. Le seul moyen de l'enrayer serait de soumettre à autorisation le fait d'empiéter sur les terres agricoles, comme nous l'avions proposé. L'exemple le plus probant est celui du Québec où une commission sur les terres agricoles existe depuis 1978. Les villes ont continué à se développer mais selon des axes cohérents et en récupérant des terrains en ville. Pendant ce temps, la spéculation foncière liée au changement d’usage a disparu, la croissance des prix en zone périurbaine a diminué. On a ordonné la croissance des villes. C'est ce qui a permis à la fois le développement des villes et la protection des terres.

Pourtant en France, la loi de modernisation de l'agriculture a prévu de nouvelles mesures, comme la création de commissions départementales de la consommation des espaces agricoles…

On est sur la ligne de plus grande pente, j'ai bien peur que cela ne change rien. Cette mesure a en partie été dénaturée. Au lieu que le préfet se prononce sur avis conforme d’une commission d’experts, il le fera sur avis simple d’une commission de composition très large où toutes les parties prenantes à la consommation des terres seront représentées. Or il est tellement plus facile d'aller empiéter sur les terres agricoles, c'est moins cher et cela demande moins de travail que de rebâtir la ville dans la ville, de réhabiliter les friches, de construire dans les dents creuses, de densifier. Cela me fait beaucoup penser à la commission d'urbanisme commercial de la loi Royer, elle n'a jamais rien changé au fleurissement des centres commerciaux construits en rez-de-chaussée avec parkings autour, qui dévorent les terres agricoles. Le gouvernement n'a pas voulu ou pu franchir le pas et a considéré que l'urbanisme était de la compétence locale. En revanche, les terres agricoles sont un facteur de production de l'agriculture, c'est une politique non décentralisée, donc d'Etat. L'Etat, à travers le préfet, aurait très bien pu présider une commission de protection des terres agricoles à caractère décisionnel. Avec le projet d’ordonnance prévu par la loi de modernisation de l'agriculture, c'est la solution qui semble prévaloir pour les DOM dont la situation est catastrophique. Dans vingt ans, si rien ne change, il n'y aura plus de terres agricoles en Martinique. Dans ce cas, c'est l'avis conforme qui a été retenu.

Un nouveau décret du 6 mars prévoit que l'Etat puisse désormais faire appel aux concours technique des Safer, au même titre que les collectivités. Cela permettra-t-il de mieux connaître le phénomène ?

Attendu depuis la loi de modernisation de l'agriculture, ce décret ajoute un élément intéressant. Jusqu'à aujourd'hui, les collectivités territoriales et leurs établissements publics pouvaient faire appel au concours technique des Safer pour gérer leur patrimoine foncier, leur droit de préemption, etc. Or une collectivité n'était pas prévue : l'Etat. Le décret corrige cette situation. Les Safer communiqueront aux préfets les données statistiques relatives à l'évolution des prix et les changements de destination des terres agricoles. Mais il faut une transmission homogène car il y a quelques différences qu'il va falloir gommer. Une convention doit être signée avec le ministère de l'Agriculture pour fixer les modalités pratiques mais aussi financières de l'opération. Un groupe de travail va être mis en place très vite avec le ministère de l'Agriculture pour vérifier que nos données sont bien homogènes entre elles.
Parallèlement, la FNSafer travaille avec les ministères de l'Agriculture et de l'Ecologie sur l'élaboration d'indicateurs qui serviront à l'observatoire sur la consommation des terres agricoles prévu par la loi.
Dans tous ces dispositifs, il y a beaucoup de bonne volonté mais ce n'est pas suffisant. On pense qu'il suffit de faire savoir la situation aux citoyens, aux décideurs, voire de la leur montrer avec un observatoire, pour que tout le monde devienne vertueux. Mais en la matière, d'autres facteurs jouent. Les Allemands consomment deux fois moins de terres que nous. Depuis 1965, ils ont entrepris une réforme communale qui a permis de ramener le nombre des communes à 9.000. Elles ont toutes plus de 12.000 habitants, ce qui leur permet d'avoir des services d'urbanisme dignes de ce nom. Le maire est plus éloigné des habitants, il a moins de mal à résister aux pressions.

A vos yeux, le Grenelle de l'environnement constitue-t-il un rendez-vous manqué alors qu'il n'a pas permis de rendre les PLU intercommunaux ? 

L'intercommunalité en France est une feuille de plus dans le millefeuille. Les mairies ont délégué leurs compétences mais ont trop souvent gardé leur personnel, le coût de gestion pour la nation est maximal. C'est une illustration de la "composition grenellienne". Vous mettez ensemble tous les intéressés, vous pensez que va sortir de là la vérité, le bon choix. Mais les propositions se trouvent neutralisées les unes après les autres. Le combat pour la terre reste à mener.

Vous n'êtes pas beaucoup plus tendre avec la taxe additionnelle sur les plus-values de cessions de terres agricoles rendues constructibles, autre mesure de la loi, dont le décret est en attente.

Malheureusement, le seul effet de cette mesure risque de faire monter les prix puisque les propriétaires intégreront le coût de la taxe dans leurs prix. Cela dit, le produit de cette taxe sera consacré à l'installation des jeunes agriculteurs, ce qui constitue objectif de politique agricole et d’aménagement du territoire non contestable.


Propos recueillis par Michel Tendil

"Paradoxe du foncier et enjeux pour les structures agricoles", dossier coordonné par M. André Barbaroux, directeur général de la FNSafer, Demeter 2009.