Le lent développement de l'immobilier d'entreprise dans les quartiers
Attirer des investisseurs privés dans les quartiers est un vœu aussi vieux que le renouvellement urbain. L'Anru et la Caisse des Dépôts s'y emploient pour la réalisation de bureaux et de commerces, de fablab et de centres de coworking, mais aussi de maisons de santé, de résidences séniors et même de résidences étudiantes. Mais même en partageant les risques financiers, le co-investissement n'est pas toujours au rendez-vous.
"Il faut installer des entreprises dans nos quartiers" car "c'est la condition sine qua non pour la réussite des projets de renouvellement urbain", a prévenu François Pupponi, alors président de l'Anru, lors de la plénière intitulée "Du PNRU au NPNRU, tous mobilisés pour transformer les quartiers", organisée dans le cadre des Journées nationales d'échanges des acteurs du renouvellement urbain (Jeru, voir aussi notre article ci-dessous du 6 juillet 2017).
Dans l'esprit de l'ex-président de l'Anru*, la présence d'activité économique dans les quartiers est évidemment, pour leurs habitants, facteur de création d'emplois et de création d'entreprises. Sans doute aussi pense-t-il à la pérennité du financement du nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU) reposant largement sur Action Logement dont le président a bien rappelé lors de la plénière que la mission première était de loger les salariés.
Mais le fait est que les investisseurs privés ne se précipitent pas pour construire des hôtels d'entreprises, des centres d'affaires, ou des produits d'immobiliers d'entreprises comme des fablab, espaces de coworking... Ils ne semblent pas non plus prêts à prendre de risques dans les quartiers sur de l'immobilier de commerce, des pôles médicaux, des résidences services séniors, des résidences étudiantes... où ils sont très attendus.
"Investir dans les quartiers" avec Anru+
Tous ces bâtiments, censés abriter des activités économiques créatrices d'emploi, constituent la cible du volet 2 de l'appel à manifestation Anru+ lancé le 14 mars dernier dans le cadre du PIA (voir notre article du 17 mars 2017). Ce volet, intitulé "investir dans les quartiers", a pour ambition de "favoriser l'emploi et le développement économique" et plus largement d' "accroître la mixité fonctionnelle et l'attractivité des quartiers".
Et pour y parvenir, les candidats devaient présenter des projets immobiliers susceptibles de mobiliser le fonds de co-investissement de l'Anru aux côtés des investisseurs privés. Ils devaient pour cela démontrer l' "existence d'une rentabilité prévisionnelle des fonds propres investis", assurer de la présence d'un ou deux co-investisseur privé et assurer de la "liquidité de l'actif considéré". Selon nos informations, aucun des 17 dossiers de candidature ne l'a fait. Trop ambitieux sans doute, qui plus est dans des délais très courts.
Des projets à la recherche d'une "opérationnalité solide"
Annoncés lors des Jeru (notre photo), les 10 lauréats retenus* "feront l'objet d'un accompagnement fin pour atteindre un niveau d'opérationnalité solide et une rentabilité certaine", a indiqué l'Anru dans un communiqué. En clair : les projets ne sont pas mûrs, les investisseurs privés sont toujours aux abonnés absents, et l'accompagnement portera sur de l'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) pour le montage de dossiers, la programmation et la recherche de partenaires.
Contactée par Localtis, l'Anru confirme que les collectivités porteuses des projets lauréats sont dans une phase "très en amont". Le fait d'être labellisées "Anru+" leur permettrait dès lors d'afficher un apport en fonds propres vis-à-vis des investisseurs naturellement peu enclins à prendre tous les risques. Le label donnerait également de la "crédibilité" au projet. L'accompagnement de l'Anru, par des professionnels affichant une expérience dans le secteur de l'immobilier privé, serait également un atoût dans le dialogue public-privé (et éventuellement en termes de carnet d'adresses...).
Et ces mêmes professionnels nous assurent que "quel que soit le territoire géographique, l'investisseur privé est très difficile à capter", c'est "l'oiseau rare auprès de qui tout le monde court car c'est lui qui dispose du capital". Dans ce contexte qualifié de "concurrentiel", les quartiers Anru ont l'avantage de proposer un partage du risque financier. Cela suffira-t-il ?
"Nous sommes là pour dérisquer les investisseurs privés"
"Nous avons du mal à attirer des co-investisseurs privés", a également témoigné Gabrielle Gauthey, directrice des investissements et du développement local (Didl) à la Caisse des Dépôts, au cours de la plénière du 5 juillet. Et pourtant, "nous sommes là pour dérisquer les investisseurs privés", a-t-elle rappelé. "Notre ambition est de créer un effet levier dans un contexte de pénurie de l'argent public", a-t-elle ajouté, reconnaissant que pour le moment "on se sent souvent seuls".
La Caisse des Dépôts a même fait évoluer sa doctrine d'intervention en acceptant des dossiers avec des pré-commercialisations réduites de 70% à 30%. Bref, "nous sommes prêts à investir dans des immeubles presque en blanc", assure-t-elle. Avis aux amateurs.
Et pour les collectivités qui se sentiraient perdues dans les montages financiers et immobiliers, la Caisse des Dépôts mobilise aussi des crédits d'ingénierie pour soutenir les initiatives qui agissent sur l'attractivité économique des quartiers.
Une soixantaine de "projets immobiliers à vocation économique" soutenus par la Caisse des Dépôts
La Caisse des Dépôts a tout de même investi plus de 110 millions d'euros, dans une soixantaine de "projets immobiliers à vocation économique" situés dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville (pas uniquement des quartiers Anru), dans le cadre de son partenariat 2014-2020 signé, lors du précédent Jéru, avec le ministère en charge de la Ville (voir notre article du 18 juin 2014).
Au menu : un gros tiers de locaux artisanaux et de commerces (dont un certain nombre avec Epareca), un petit tiers de projets immobiliers de bureaux , mais aussi des pôles santé, quelques cinémas, des résidences séniors et des résidences étudiants. "Les cinémas multiplexes marchent bien, on a plus de mal à convaincre des médecins à investir avec nous dans des maisons de santé", a indiqué Gabrielle Gauthey.
"Les cinémas, ça fonctionne", confirme François Pupponi. "Les projets commerciaux sont une priorité pour beaucoup d'élus locaux", a-t-il rapporté, précisant être "en discussion avec des groupes agro-alimentaires pour créer un nouveau produit", une enseigne spécifique "quartiers" dans laquelle l'Anru serait prête à co-investir.
En immobilier commercial, quand aucun investisseur privé ne veut prendre de risque, reste Epareca
En matière de commerce, quand aucun investisseur privé ne veut prendre le risque de créer ou de rénover un centre commercial situé dans un quartier, reste Epareca. Partenaire de l'Anru et de la Caisse des Dépôts, cet établissement public qui vient de fêter ses 20 ans intervient, sur saisine des collectivités locales, comme promoteur, investisseur et exploitant de centres commerciaux de proximité. Avec pour objectif final : "permettre le retour au droit commun par remise sur le marché de l'investissement et de la gestion privés". A fin 2016, l'établissement était intervenu sur 154 sites dont seulement 20 avaient été revendus à un investisseur final alors que 35 opérations étaient toujours en exploitation (77 projets étaient en étude ou en montage et 22 opérations étaient en production).
Le contrat d'objectifs et de performance (COP) 2016-2020 signé avec l'Etat prévoyant 80 millions d'euros d'investissement sur 5 ans, met la priorité sur "les situations les plus complexes" et "permet un accompagnement dans la durée" des sites restructurés qui n'ont pas trouvé d'acquéreurs privés, en les intégrant au besoin à la filiale "Foncièrement Quartier".
Foncièrement Quartier : un accompagnement "dans la durée" des sites invendables ?
Cette SCI créée en 2014, dont le capital est détenu à 60% par Epareca et 40% par la Caisse des Dépôts, est engagée aujourd'hui dans une vingtaine de centres commerciaux représentant un total de 20,2 millions d'euros d'investissement. Si certains la considère comme une structure de défaisance chargée d'isoler les actifs invendables, Foncièrement Quartier a aussi l'avantage de pouvoir acheter des opérations 100% seules, notamment des petites opérations immobilières, avec un montage juridique et opérationnel simplifié.
Enfin, il ne faudrait pas perdre de vue que "la réussite d'une opération d'immobilier économique, c'est aussi et surtout la réussite des entreprises qui s'y implantent", ainsi que l'ont défendu les intervenants à l'atelier "Immobilier à vocation économique, quoi de neuf ?" du 5 juillet. Et selon eux, le succès d'un projet immobilier d'entreprise "dépendra surtout de leur inscription dans une stratégie globale, à l'échelle des bassins d'emploi".
*Besançon, Toulouse, Saint-Etienne, Reims, Métropole européenne de Lille (MEL), Pau, Mulhouse, Rouen, Gennevilliers, Plaine Commune. 15 lauréats ont également été annoncés ce jour-là, au titre du volet 1 intitulé "Innover dans les quartiers".
Le soutien à l'immobilier "à vocation économique" dans la convention d'objectifs 2014-2020 Caisse des Dépôts/ministère de la Ville
La convention d'objectifs signée en 2014 entre la Caisse des Dépôts et le ministère alors en charge de la Ville porte sur 400 millions d'euros, dont 250 millions d'euros affectés à ces projets "immobiliers à vocation économique". Ces 250 millions servent pour moitié à assurer la convention de partenariat signée en 2015 entre la Caisse des Dépôts et l'Anru pour la réalisation d'opérations de co-investissements immobiliers avec des acteurs privés, ainsi que le permet désormais
la loi Lamy du 21 février 2014 (voir notre article ci-dessous du 11 novembre 2015). Un partenariat de 250 millions d'euros de fonds propres apportés à parts égales : 125 millions par la Caisse des Dépôts, 125 millions par l'Anru au titre du Programme d'investissements d'avenir (PIA). Avec l'effet levier, il était question de constituer un portefeuille de 1,25 milliard d'euros d'actifs immobiliers. Les champs d'intervention vont autant sur de la construction neuve que de la réhabilitation. Et la typologie va au-delà de l'immobilier de bureaux et des locaux d'activité, pour toucher aux investissements commerciaux (centres commerciaux), aux maisons de santé, aux résidences étudiantes et aux résidences seniors...
V.L.
* François Pupponi a présidé son dernier conseil d'administration de l'Anru, le 12 juillet. Le maire PS de Sarcelles, réélu député de la 8e circonscription du Val-d'Oise, ne pouvait en effet cumuler ce dernier mandat avec sa fonction de président de l'Anru, selon la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique (en vertu d'une disposition prévoyant qu'un élu ne peut désormais plus cumuler un mandat parlementaire avec la présidence d'une entreprise nationale ou d'un Epic). Il avait donc "un mois pour choisir de conserver son poste de président, ou d'assurer son mandat de député". Un président de l'Anru doit donc être nommé prochainement par le gouvernement, avant la tenue du prochain CA de l'agence, prévu dans le courant du mois d'octobre. (source AEF)