Le Big-Bang de la démocratie municipale à Carpentras (84)

Pour les habitants de la ville de Carpentras, le « Big Bang de la démocratie municipale » lancé en 2021 s'incarne concrètement dans des nouveautés : un skatepark conçu avec les pratiquants de la discipline, le réaménagement et l'ouverture aux habitants du parc d'un Ehpad, la rénovation d'un city-stade, un jeu de découverte de la ville en cours d'édition. Au total, 16 projets citoyens ont été actés par les deux premiers budgets participatifs (2021 et 2022), une petite moitié est déjà opérationnelle. Mais le Big-Bang ne se résume pas à cet outil désormais plutôt répandu, c'est un dispositif complet bien plus ambitieux.

Face à des taux records d'abstention aux différents scrutins électoraux et à la suite de la crise des Gilets Jaunes, le maire de Carpentras pose en 2020 le « Big-Bang de la démocratie municipale » comme un engagement majeur de campagne. « L'enjeu était de recréer du lien et de la confiance entre la ville et les habitants autour de deux axes : l'intelligence collective et le contrôle citoyen », indique Rafaële Geslain, directrice de la démocratie locale, nouvelle direction support créée pour mettre en œuvre ce « Big Bang ». En février 2021, le conseil municipal adopte une charte et 4 outils opérationnels : une convention citoyenne, un budget participatif, un droit d'amendement des délibérations du conseil municipal et un référendum d’initiative citoyenne expérimental.

Un budget participatif élevé

Désormais répandu au sein des municipalités françaises, le budget participatif de Carpentras ne déroge pas aux règles courantes : des projets proposés par des habitants de plus de 16 ans, mis en ligne via une plate-forme numérique ou soumis en formulaire papier, une étude de recevabilité puis une campagne de vote pour élire des lauréats. Le budget annuel alloué – près de 25 € par habitant - est particulièrement élevé en regard de la moyenne nationale (6,50 €). Autre particularité : « La convention citoyenne est garante du bon fonctionnement de ce budget participatif : elle a écrit le règlement, participe à l'instruction des projets et décide de l'affectation du reliquat de budget, s'il n'est pas intégralement consommé », précise la directrice. Enfin, notons la forte mobilisation des habitants : plus de 2 000 votants à chaque édition, soit plus de 10 % du corps électoral.

Si la convention citoyenne joue un rôle phare pour le budget participatif, ce n'est pas sa seule prérogative. « Les 35 citoyens de la convention citoyenne sont tirés au sort chaque année sur les listes électorales. Ils rencontrent le maire 15 jours avant chaque conseil municipal », indique la directrice. Il leur présente les délibérations sur lesquelles ils peuvent déposer des amendements. « Ce droit d'amendement [NDLR : que l’on peut consulter ici] est ouvert à tous les citoyens. Cela nous a obligés à repenser entièrement le déroulé du conseil municipal et à reformuler nos délibérations pour vulgariser au maximum. » La convention citoyenne construit également son programme annuel de rencontres : elle bénéficie d'une formation « initiale » (compétences, services, budget de la ville…), les citoyens peuvent solliciter des interventions sur des thèmes de leur choix (programme action cœur de ville, Agenda 21…), se voir proposer des visites de chantier. « La convention citoyenne est vraiment la clé de voûte du dispositif du Big-Bang : elle permet une relation privilégiée et enrichissante avec un petit nombre de citoyens, renouvelés chaque année pour permettre à un maximum de personnes d'être concernées. »

Échanges éclairants

Le dernier outil du « Big-Bang », le référendum d’initiative citoyenne (RIC), mixe droit de pétition et droit d'expérimentation : si un sujet de compétence municipale est soutenu par 10 % du corps électoral à l'issue d'une période de 9 mois, le maire s'engage à organiser ledit référendum. « Cela reste une offre expérimentale de participation, qui vient guider la décision des élus, sans portée juridique », précise la directrice. Depuis son lancement, un seul sujet a été soumis : exonérer les Carpentrassiens du passe sanitaire. Ne relevant pas de la compétence du maire, il n'a pas eu de suite. « Que ce soit le RIC ou le droit d'amendement, les habitants ont encore du mal à s'en saisir, note la directrice. Cela demande de comprendre le fonctionnement de la ville et ses actes, ils ne se sentent parfois pas compétents ni même légitimes. Ils s'informent mais ne proposent pas encore. » Pour remédier à la situation, la ville va se pencher sur le sujet avec la nouvelle convention citoyenne, pour que les habitants se saisissent effectivement de ces outils novateurs.

Après 2 ans, le Big Bang a apporté de vraies satisfactions : « Il y a une richesse et une diversité des initiatives citoyennes, se réjouit la directrice. Les échanges au sein de la convention sont très forts et éclairants, même si certains trouvent le mandat trop court pour bien se saisir des enjeux. » La ville a identifié aussi quelques points de vigilance, dont la participation des 16-25 ans : « Ils sont peu représentés, même s'ils ont des idées à foison : nous nous appuyons sur les centres sociaux pour faire émerger leurs projets, intervenons en collège ou lycée pour les inciter à voter aux budgets participatifs, notre apprenti va à leur rencontre sur le terrain. » Autre sujet de préoccupation, accorder les mêmes chances aux différents porteurs de projet : « Un habitant qui bénéficie d'un réseau, de relais, a plus de chances de voir son projet lauréat que celui qui est seul, même s'il a une bonne idée. » Dernier aspect, l'importance d'acculturer les services municipaux : « Ce n'est pas simple car ils sont déjà surchargés et voient arriver un nouvel interlocuteur à qui il faut expliquer plus ». Former les agents aux démarches et outils participatifs pourrait être une piste à creuser.