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Concurrence - La réforme européenne des services publics crée des attentes

Afin de ne pas s'exposer à des poursuites judiciaires, les collectivités locales doivent rapidement s'approprier les règles européennes encadrant les aides publiques. Pour certaines associations, une clarification urgente des missions s'impose, afin de couper court aux conflits les opposant au secteur lucratif.

A partir du 31 janvier, collectivités locales, associations et entreprises appuyées par des aides publiques devront s'approprier les nouvelles règles européennes de financement des services d'intérêt général. Jusqu'ici, les pouvoirs publics de nombreux pays européens fermaient les yeux sur l'encadrement mis en place en 2005, dont les procédures étaient disproportionnées, même pour des enjeux financiers limités.
Sur la réforme portée par le commissaire Almunia, les acteurs locaux sont unanimes : le régime de faveur accordé aux services sociaux est une bonne nouvelle. Au-delà des hôpitaux et du logement social (secteurs qui bénéficiaient déjà de la clémence de Bruxelles), les financements publics destinés aux crèches, à l'accès à l'emploi, aux soins à la personne et aux "groupes vulnérables" au sens large ne devront pas être examinées au préalable par la Commission pour approbation. "La prise en compte de la spécificité des services sociaux est une bonne chose", relève Daniel Zielinski, délégué général de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas). Et pour cause, Bruxelles admet désormais que le soutien public aux secteurs à vocation sociale n'affecte pas la libre concurrence…

Réflexe

Mais l'horizon n'est pas complètement dégagé. Toutes les structures bénéficiant d'un soutien public sans avoir été sélectionnées via un appel d'offres doivent clarifier leur relation avec le financeur public par le biais d'un "mandatement". Problème, ce type de contrat, que le Premier ministre, François Fillon, avait tenté d'expliciter en janvier 2010 dans une circulaire, n'est toujours pas maîtrisé sur le terrain.
Le contrat comprend le mode de calcul de l'aide publique, qui doit se limiter à la couverture des "coûts nets de fourniture" du service rendu. Or, les services sociaux, souples et ajustés aux besoins des personnes, ne se marient pas bien avec la rigueur arithmétique demandée. "Il est difficile de chiffrer précisément le prix de l'heure d'une intervention. Dans les centres communaux d'action sociale par exemple, les agents consacrent une bonne partie de leur temps à accueillir les usagers. Mais il n'est pas facile de déterminer le temps exact passé à accueillir des personnes", détaille Daniel Zielinski.
Or, la réforme européenne met désormais l'accent sur "l'analyse financière", relève l'avocat Philippe-Emmanuel Partsch, avec les concepts qui s'y rattachent (taux de swap, taux de rendement du capital…). "La place plus importante donnée à l'analyse financière et économique" permettra de contester "plus facilement" les aides publiques "en se fondant sur des données chiffrées". Les collectivités ou l'Etat pourraient même être incités à "réduire" leur contribution, anticipe M. Partsch dans une analyse.
Avec l'appui du député européen Pascal Canfin (Europe Ecologie), la Conférence permanente des coordinations associatives et l'Union des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) prennent en main ce chantier très technique mais déterminant pour le bon fonctionnement des services de proximité, qu'il s'agisse des centres sociaux, des activités sportives, culturelles... Des règles mal appliquées font courir le risque d'un recours en justice et d'un remboursement des aides allouées. Dans le doute, les collectivités pourraient être tentées de ne plus octroyer de financements, ou de se retrancher derrière des procédures auxquelles elles sont rodées, comme les appels d'offres.
"On constate un réflexe de commande publique depuis quelques années dans certains champs d'activité du secteur sanitaire et social", rapporte Christèle Lafaye, en charge des affaires européennes au sein de l'Uniopss. Une approche qui prend le contrepied de la démarche des associations, "qui repèrent des besoins sur le terrain puis proposent des projets créatifs et innovants aux collectivités locales". Dans ce cas, ces dernières ne sont pas censées mettre en concurrence les structures locales via un appel d'offres calibré, mais se contentent de remettre une enveloppe de subvention à l'association qui a retenu leur attention. L'opération est légale si le mandatement, aujourd'hui mal compris et trop complexe, est correctement réalisé.
D'autres zones d'ombre maintiennent les acteurs locaux dans l'incertitude. Le secteur de l'aide à domicile, par exemple, navigue en eaux troubles. Sous-financé, maintenu hors de l'eau grâce à un fonds d'urgence et suspendu à une réforme de la dépendance qui ne vient pas, l'aide à domicile est aujourd'hui mise en porte-à-faux par le développement de services à la personne exécutés par des sociétés à vocation commerciale. Ces dernières tendent cependant à se focaliser sur des "prestations de confort" (jardinage, repassage, travaux ménagers…) destinées à une clientèle physiquement et financièrement autonome. Les associations d'aide à domicile financées par les conseils généraux effectuent quant à elles des missions de service public forcément plus coûteuses à destination des publics fragiles.

Epineux dossier

Mais "la frontière entre les deux secteurs est parfois poreuse. Il faudrait une distinction réglementaire nette entre les structures, afin que l'action médico-sociale soit réservée aux entreprises sociales non lucratives", plaide Guy Fontaine, secrétaire général de la Fédération nationale des associations de l'aide familiale populaire. La proposition portée par Michel Barnier et visant à valoriser les "entreprises sociales", pourrait clarifier les choses. "Nous suivons avec intérêt la création de ce statut", confirme Guy Fontaine. Dans le cas contraire, les structures commerciales continueront de remettre en cause les aides publiques reçues par les associations.
Reste à régler l'épineux dossier de la formation, qui a fait l'objet d'un bras de fer juridique en Limousin, où des organismes ont fait plier le conseil régional devant le tribunal administratif. Des aides, destinées à des structures publiques comme l'Afpa ou le Greta qui en étaient destinataires, ont été jugées illégales pour ne pas avoir été notifiées à Bruxelles. La Fédération des unions régionales des organismes de formation (Urof), qui faisait partie des plaignants, se réjouit de la réforme européenne : "Les assouplissements définis par la Commission ne peuvent être l'occasion de privilégier tel ou tel acteur particulier", peut-on lire dans un communiqué publié au début du mois. Toute la philosophie de la réforme dépendra de l'interprétation des textes. "On espère que la formation continue est exemptée de la notification, mais ce n'est pas évident", rapporte Jean-Paul Denanot, président de la région Limousin. Seules les formations dédiées aux personnes défavorisées ou très éloignées de l'emploi pourraient faire l'objet de financements publics en toute confiance…
Le 2 février, les collectivités locales, le monde associatif et les acteurs sociaux ont décidé de se donner rendez-vous autour de Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités, pour dénouer le nœud des règles européennes, censées être déclinées dans toutes les communes de France, dont 30.000 ont moins de 2.000 habitants, donc des moyens administratifs limités...

 

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