Social - Aide à domicile : 50 millions... en attendant la réforme de la tarification
Le secteur de l'aide à domicile va mal. La fragilité financière de nombre d'associations et autres opérateurs intervenant au domicile des personnes fragiles, notamment des personnes âgées dépendantes, est désormais connue de tous. Depuis deux ans, les acteurs demandent au gouvernement un fonds d'urgence pour parer au plus pressé. Mais ils savent qu'il faut de toute façon aller plus loin. Parce que les difficultés sont structurelles. Parce que, insistent-ils, "le système actuel repose sur un modèle qui n'est plus économiquement et socialement viable" : inégalités d'accès des bénéficiaires potentiels, pilotage départemental complexe (agrément, autorisation…), tarifications horaires inadaptées, plans d'aide (pour les bénéficiaires de l'APA) ne faisant qu'alourdir les coûts de fonctionnement, augmentation du reste à charge… Yves Daudigny, le président du conseil général de l'Aisne et président de la commission affaires sociales de l'Assemblée des départements de France (ADF), parle d'un "système à bout de souffle", à la fois "trop complexe et injuste", qui "ne répond plus aux besoins". Il relève entre autres que les plan d'aide sont très "disparates" et ne sont effectifs qu'à 80% - autrement dit, qu'il y a 20% d'heures "perdues" entre l'aide devant théoriquement être apportée au bénéficiaire de l'APA à domicile et les heures vraiment réalisées. Ceci pour de multiples raisons : plans d'aide mal ajustés, sous-consommation par le bénéficiaire, absentéisme des personnels… Autant d'heures perdues qui, estime l'élu, expliquent en partie les difficultés des services d'aide à domicile. En tout cas, la nécessité d'une réforme de la tarification, dont on entend parler depuis un bon moment, apparaît aujourd'hui évidente. On aurait un temps pu penser que cette réforme pourrait prendre place dans celle, plus large, de la prise en charge de la perte d'autonomie. Des propositions en ce sens avaient bien été formulées dans le cadre du débat national sur la dépendance. Mais cette réforme là n'étant plus d'actualité jusqu'à nouvel ordre…
Des territoires expérimentateurs
Face à ce diagnostic, seize organismes gestionnaires de l'aide à domicile réunis dans le "Collectif des 16" et l'ADF lançaient en février 2010 des travaux communs… qui ont abouti ce 21 septembre 2011 à la signature d'une convention nationale. "Le moment est historique", a assuré à l'occasion de cette signature Claudy Lebreton, le président de l'ADF, soulignant que cet accord était le fruit d'une véritable "négociation" – une façon d'indiquer que les choses n'avaient pas toujours été simples. Une négociation menée, côté ADF, par Yves Daudigny et Luc Broussy, conseiller général du Val d'Oise, vice-président de la commission affaires sociales de l'ADF et spécialiste des politiques gérontologiques. Du côté des opérateurs signataires, on trouve les grandes fédérations de l'aide à domicile, avec entre autres l'UNA, la Fnadepa, la Fnaqpa, l'Adessa à Domicile, l'AD-PA, les Aînés ruraux, l'Unccas ou l'Uniopss*.
Ce document doit maintenant servir de cadre pour les démarches de chaque département et de chaque signataire. En sachant que certains ont pris les devants puisque le conseil général du Doubs a déjà signé, en juillet dernier, une convention départementale avec neuf structures d'aide à domicile. L'Oise est également très avancée et plusieurs autres départements, tels que les Côtes d'Armor ou la Somme, ont fait savoir qu'ils souhaitaient faire partie des territoires expérimentateurs.
L'idée est en effet de commencer par mettre en œuvre des "préfigurations" locales, sur la base du volontariat (tant de la part des départements que des services), afin de "vérifier les conditions de faisabilité" de la réforme proposée. Les services pouvant y participer sont les services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD) autorisés par le conseil général (services en faveur des personnes âgées et personnes handicapées, mais aussi des familles en difficulté).
D'une tarification horaire à une tarification globale
Le point phare de la réforme envisagée est de créer un nouveau système d'autorisation-tarification. L'autorisation vaudrait mandatement – celui-ci devant permettre de répondre aux exigences communautaires sur les services sociaux d'intérêt général. Un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) serait conclu entre le conseil général et le SAAD.
Parallèlement, la tarification horaire serait remplacée par une "tarification globale, contractualisée et pluriannuelle", établie sur la base d'un nombre d'heures prévisionnelles. Un double plafonnement serait prévu : un plafonnement des heures de "non présence directe" (temps de trajet, temps consacré à la coordination…), pour améliorer le temps de présence effective auprès de la personne aidée, et un plafonnement de la part des frais de structure.
L'accent est également mis sur la qualité et la professionnalisation : prise en compte de la formation des intervenants dans les critères du forfait global, engagements de qualité prévus par le CPOM (prévention, permanence, téléassistance et télégestion…).
Si les expérimentations peuvent démarrer dès à présent, des dispositions législatives sont nécessaires, explique l'ADF, pour "sécuriser le dispositif". Une sécurisation est en effet essentielle sur la question du mandatement (entre autres parce que les services d'aide à domicile autorisés par les conseils généraux ne sont pas à l'abri de recours d'entreprises privées du secteur…). Ces dispositions pourraient prendre la forme d'amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2012. A moins que la proposition de loi Doligé n'apparaisse comme un meilleur véhicule législatif. Des propositions de textes réglementaires ont également été préparées par l'ADF. Celle-ci rappelle d'ailleurs que le gouvernement a à deux reprises rejeté des propositions législatives sur le sujet (lors du précédent PLFSS et lors de la proposition de loi Fourcade) en arguant qu'il valait mieux attendre la réforme de la dépendance, à l'époque annoncée comme imminente.
Un "nouveau modèle" peut-être pas avant 2013
Claudy Lebreton, venu s'exprimer un peu plus tard ce même 21 septembre devant les Assises nationales de l'aide à domicile, a invité la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale à soutenir ces textes. Intervenant dans la foulée, Roselyne Bachelot y a semble-t-il apporté une réponse positive : "Je vais proposer au Parlement de valider le principe d'expérimentations des modalités de tarification des services à domicile", a-t-elle en effet déclaré. "Les modalités de tarification que vous proposez sont intéressantes, mais je crois qu'il est nécessaire de passer par une phase expérimentale", a-t-elle toutefois ajouté, estimant que "d'autres modèles" pourraient également expérimentés, tels que ceux avancés par l'Igas et l'IGF. Dans un rapport rendu en janvier dernier, les deux inspections traçaient trois grandes pistes possibles - alternatives ou cumulatives – de réforme, liées non seulement à la tarification mais aussi à la solvabilisation des besoins des personnes bénéficiaires et à l'amélioration du contrôle d'effectivité de l'utilisation de l'APA (voir ci-contre notre article du 26 janvier). La ministre a en outre rappelé qu'elle attend aussi les conclusions de la mission qu'elle a confiée sur le sujet à Bérengère Poletti, députée des Ardennes (dont un rapport intermédiaire est prévu pour la fin du mois, avant un rapport final en décembre).
Roselyne Bachelot a également précisé vouloir établir "une étude de coût complet" qui "permettra d'objectiver les prestations délivrées par les services, leurs contraintes et le contenu des plans d'aide, et, finalement, de créer un référentiel du coût de revient des prestations, qui fait aujourd'hui défaut". Tout cela n'est donc pas pour tout de suite… "Le nouveau modèle de tarification pourra alors être choisi courant 2013", a-t-elle en effet indiqué.
Une "aide exceptionnelle" a été obtenue
S'agissant du court terme, le gouvernement a finalement lâché du leste quant au fonds d'urgence réclamé depuis longtemps par les associations. Roselyne Bachelot a en effet confirmé mercredi avoir obtenu "la création d'un fonds en faveur des services à domicile qui sera hébergé par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie". En précisant que ce fonds "sera doté de 50 millions d'euros qui s'imputeront directement sur le budget de l'Etat, et non au détriment d'autres acteurs du secteur médico-social". Une formulation qui laisse toutefois un petit doute : s'agira-t-il vraiment de crédits d'Etat ou assurance maladie ou bien de crédits prélevés sur la contribution de solidarité pour l'autonomie ? Dans le second cas, cela reviendrait peu ou prou à un jeu de vases communicants (en sachant que 50 millions d'euros équivalent à environ un point de moins de compensation APA pour les départements).
Soulignant que cette "aide exceptionnelle" représente "aussi un signe fort en direction des départements", la ministre a précisé que "dès le début de l'année 2012, une première tranche de 40 millions d'euros sera déléguée aux ARS", lesquelles, avec le soutien des services déconcentrés de l'Etat et des conseils généraux, devront "travailler à l'étude des dossiers qui seront remontés". Les 10 millions d'euros restants interviendront quant à eux comme une "réserve" de sécurité qui "permettra de compenser des demandes plus fortes que prévues dans certains territoires".
* Les signataires de la convention : Adessa à Domicile, AD-PA, Aînés ruraux, APF, CFSAA, Croix-Rouge française, Fnaafp-CSF, Fnadepa, Fnapaef, Fnaqpa, Mutualité française, UNA, Uncass, Uniopss, USB-Domicile.