Délégations de service public - La Commission veut donner un tour de vis à la concession de services
Elles recouvrent des pans très importants des services rendus aux citoyens, depuis la distribution d'eau, les transports, les équipements sportifs, les musées, les cantines scolaires ou les autoroutes... En France, les concessions font partie de la vie courante de l'Etat ou des collectivités locales, qui délèguent communément certains services publics à divers établissements, dont de grandes sociétés comme Véolia, Vinci, Eiffage, Sodexo… En contrepartie, l'entreprise accepte d'assumer les risques commerciaux ou industriels occasionnés. Pas moins de 10.000 contrats de concession sont actuellement en vigueur dans l'Hexagone, contre 817 en Italie.
Dans un souci de transparence et de traitement équitable des entreprises en compétition, la Commission estime que les mêmes règles du jeu doivent s'appliquer à l'échelle de l'UE. Pour Bruxelles, le corpus juridique actuel, composé de la jurisprudence de la Cour européenne et d'une communication de 2000, est source de confusion. En une dizaine d'années, 25 litiges ont été traités par la Cour de justice de l'UE. La Commission souhaite donc faire adopter un texte unique, qui regroupe à la fois les concessions de services et de travaux, parallèlement à la révision des directives sur les marchés publics.
Faisant fi de l'avis des autorités françaises et allemandes, réfractaires à l'idée de faire évoluer leurs modèles nationaux (la loi Sapin de 1993 pour ce qui est de la France), la Commission a publié sa proposition de directive le 20 décembre.
Eléments prévisibles, la proposition de directive portée par Michel Barnier fournit une définition harmonisée de la concession et donne des gages de transparence. Pour tout contrat supérieur à 5 millions d'euros, l'autorité qui souhaite déléguer un service public devra publier un "avis de concession" au Journal officiel de l'UE, en décrivant précisément ce qu'elle attend : objet du service ou des travaux, calendrier, montant de la concession…
"Aberration"
Problème, la Commission serre la vis en ajoutant des contraintes supplémentaires. Avant de procéder à la sélection du prestataire, toute collectivité devra également publier une liste de critères, par ordre d'importance, afin de guider le choix de l'entreprise retenue. Parmi eux, la qualité, le respect de l'environnement ou encore l'innovation peuvent par exemple être pris en compte. Mais un tel encadrement risque d'étouffer la marge de manœuvre des collectivités, habituées à ce que les "offres présentées" soient "librement négociées", depuis la loi Sapin de 1993. "Inclure la pondération dans une procédure négociée est une aberration, ou alors, il faut pouvoir la faire évoluer", estime Laurent Richer, avocat au sein du cabinet RLQC. "Une concession suppose de pouvoir s'adapter en fonction de ce que les candidats proposent. Le concédant ne peut pas tout prévoir", poursuit-il.
Si la Commission reconnaît la spécificité des concessions, lesquelles impliquent un partenariat fort entre l'autorité publique et l'entreprise en charge du service, l'amalgame n'est pas tout à fait levé avec les marchés publics. Ces derniers sont moins engageants dans la mesure où la collectivité se contente, dans ce cas, d'acheter un bien ou un service (réseau informatique, manuels scolaires, abribus…). Or, parmi les conditions d'attribution des concessions, la Commission évoque la prise en compte du "cycle de vie". Un principe propre au commerce, où tout produit suit une phase de lancement puis de déclin, mais qui reste difficilement transposable au domaine des concessions, où l'on est dans "une logique d'activité globale", souligne Laurent Richer.
Opérateurs historiques
Pour autant, la directive a le mérite de garantir le principe de traçabilité. Les collectivités sont ainsi tenues de mieux informer les entreprises du déroulé des discussions : si elles décident d'arrêter de négocier avec l'un des candidats, celui-ci devra en être informé, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Dès que le contrat atteint 2,5 millions d'euros, un avis signalant l'attribution d'une concession à un prestataire donné devra par ailleurs être publié au Journal officiel de l'UE. Les services sociaux sont aussi concernés par cette obligation (à partir de 5 millions d'euros).
Les détracteurs d'une législation sur les concessions ont été loquaces au moment où la Commission soutenait la nécessité d'une telle réforme. Au final, le texte semble épargner les opérateurs historiques. Les entreprises qui bénéficient de "droits exclusifs" (comme ERDF dans le domaine de l'électricité) restent, sous certaines conditions, dans le giron de réglementations propres à ces secteurs. Le texte soulève cependant des interrogations sur les relations entretenues entre les organismes publics. Il n'est pas rare qu'une communauté de communes décide par exemple de créer une société publique locale (SPL) exempte de tout financement privé, afin de lui confier la gestion d'une activité (distribution d'eau dans l'agglomération de Brest par la SPL "Eau du Ponant", par exemple).
Ces coopérations ne sont pas concernées par la directive, à condition toutefois que la structure en charge du service soit exclusivement financée par des capitaux publics. Oubliant au passage de prendre en compte des cas particuliers : les organismes de logement social comprennent souvent une part de financement privé. Or, les réformes sur les concessions et sur les marchés publics n'ont pas prévu cette situation. Les gestionnaires de HLM, qui ont l'habitude de mutualiser certaines activités (promotion immobilière, ressources humaines…) pourraient donc théoriquement avoir à procéder à une mise en concurrence… "Cela n'a pas de sens", commente Laurent Ghekiere, représentant de l'Union sociale pour l'habitat à Bruxelles.
Dans les mois qui viennent, le Parlement européen, comme les Etats, auront le loisir de retravailler le texte. Les eurodéputés en charge des deux réformes (concessions et marchés publics) seront désignés ce mois-ci.