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Transports - La réappropriation locale du fret ferroviaire en débat

Longtemps passée inaperçue, la problématique du fret ferroviaire local devient bouillonnante. Pour le relancer, la création d'opérateurs locaux semble indispensable. Cinq régions se sont lancées dans des expérimentations qui vont dans ce sens mais piétinent encore au démarrage.

A l'occasion de la publication d'un rapport de recherche (1), l'Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (Inrets) a organisé le 11 mars une journée-débat sur le thème du fret ferroviaire local, avec l'appui de l'Ademe et du Predit. Et ce dans un contexte en rapide évolution, marqué par la libéralisation progressive du secteur ferroviaire européen et, ces derniers jours, par l'adoption par le Sénat du projet de loi de régulation ferroviaire. Par ailleurs, "ces quatre dernières années ont vu l'apparition du concept d'opérateur ferroviaire de proximité (OFP) et, parallèlement, une interrogation croissante des collectivités sur le fret, en raison d'un contexte bien particulier lié à la décentralisation, qui a élargi les compétences régionales en matière de transports et de développement économique", rappelle Laetitia Dablanc, chercheuse à l'Inrets et coordinatrice du rapport.

 

Des petits opérateurs ancrés dans leur territoire

Durant cette journée de débats, un point a été fait sur les cas américain et allemand. En Amérique du Nord, 600 entreprises "short lines" génèrent un quart des wagons de marchandises transportées. "Les volumes de fret augmentent aussi en Allemagne, où l'équivalent outre-Rhin des short lines a été créé pour relancer le secteur", a précisé Jacques Chauvineau, chargé de mission auprès du secrétaire d'Etat aux Transports et "père" des trains express régionaux (TER). Malgré les différences de contexte entre pays, ces short lines, qui sont en fait de petits opérateurs rentables mais à faibles marges, peuvent nourrir le concept français des OFP, ces PME locales chargées de rassembler des lots de wagons. L'un des apports majeurs des OFP serait de relancer le marché du wagon isolé - crucial pour l'avenir du fret français - et de reprendre en main des lignes déficitaires. On pallierait ainsi l'obstacle actuel, à savoir qu'aucune entreprise n'est réellement en mesure de reprendre les trafics de la SNCF, et ce alors même que celle-ci ferme à tour de bras des points de desserte dans une dizaine de régions. "L'émergence de ces opérateurs permettrait de décharger Fret SNCF d'une responsabilité d'aménagement du territoire, que l'Etat lui fait supporter et qui nous attire les foudres des collectivités. Pour ce faire, on est prêt à appuyer leur développement sur certains axes bien précis", a expliqué Luc Nadal, directeur de Fret SNCF.
Dès 2007, Marie-France Beaufils, sénatrice d'Indre-et-Loire (Centre), avait tiré le signal d'alarme : la fermeture de centaine de gares a selon elle entraîné en quelques années plus d'un million de camions supplémentaires sur les routes. Dans le rapport ayant donné lieu à cette journée de débats, des chercheurs éclairent cet aspect en tentant de dresser le bilan environnemental des fermetures de dessertes en région Rhône-Alpes. Résultat : l'exercice reste trop complexe pour pouvoir tirer des conclusions définitives. "Mais plus que la question du report modal, c'est surtout pour endiguer le recul du fret qu'il y a urgence", tempère Jacques Chauvineau. Or selon lui, "les OFP peuvent y contribuer et constituer un outil de réappropriation locale des flux de fret ferroviaire. En France, cette entrée par le biais du territoire n'est pas dans la culture du rail. Paradoxalement, les routiers ont plus naturellement cette approche en tête. Au final, le tout invite à repenser les notions de trains multi-clients, de cumul des flux, à revoir le rôle des stations de triage et à relancer le combiné à partir du territoire".

 

Cinq régions en phase d'expérimentation

A ce jour, cinq régions sont concernées par l'émergence d'un OFP : le Centre (Proxirail), l'Auvergne, la Bourgogne (dans le Morvan), le Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. Principales marchandises concernées : les céréales, le bois, les matériaux de carrière. Points communs : les opérateurs sont souvent pilotés par des associations créées à l'initiatives des chambres de commerce et d'industrie régionales ou des organisations professionnelles. "Contrairement à ce qu'on entend, malgré certaines difficultés de mise en oeuvre, les régions sont intéressées par ces OFP. Réseau Ferré de France [RFF] provisionne d'ailleurs un fonds pour appuyer leur développement, car ils pourraient s'avérer précieux pour revitaliser des lignes terminales représentant 10% du réseau français et devenues trop chères à gérer en termes d'infrastructure", a précisé Hervé de Tréglodé, directeur général adjoint de RFF. En Auvergne, c'est la CCI régionale qui, avec l'appui financier du Feder, du conseil régional, de l'Etat et de la Caisse des Dépôts, persévère dans l'étude de faisabilité d'une solution alternative à Fret SNCF. Selon les secteurs de la région, les marges de progression du fret liées à la mise en place d'un OFP y sont estimées entre 15 et 25%. André Marcon, président de la CCI d'Auvergne ne cache pas son intention de "faire appel au savoir-faire logistique des routiers, qui connaissent bien mieux le tissu local que la SNCF".
Reste à trouver un modèle économique adéquat. Or c'est là que le bât blesse, d'autant qu'en dehors des régions précédemment citées, les autres ont un faible niveau d'information sur le fret. Comme l'ajoutent des chercheurs de l'Inrets, "elles n'ont donc pas la meilleure visibilité sur ce que la réorganisation du fret ferroviaire de la SNCF a réellement transformé, ni sur les outils qu'elles peuvent mettre en place pour y répondre. Certaines régions, parce qu'elles sont de plus en plus impliquées sur le transport de voyageurs, ont tendance à se dessaisir des dossiers de transports de marchandises. (...) Bref, le fret fait peur". Et ces experts de conclure qu'"en théorie, les régions ne souhaitent pas s'engager dans le soutien financier à des lignes de fret sans voyageur. Mais en pratique, certaines y seront peut-être obligées, notamment dans le Centre ou en Poitou-Charentes, où la suppression d'une centaine de dessertes ces dernières années ravive l'inquiétude des élus. (...) Or malgré le manque de clarté du système, il apparaît possible à une entité publique de soutenir significativement le fret ferroviaire local dans le respect de certaines conditions".

 

Morgan Boëdec / Victoires-Editions

 

(1) "Quel fret ferroviaire local ? Réalités françaises, éclairages allemands", La Documentation française, 14,50 euros