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Transports - La Cour des comptes tire le signal d'alarme sur le fonctionnement du réseau ferroviaire

Dans un rapport rendu public le 16 avril, la Cour des comptes tire un bilan très critique de la loi du 13 février 1997 qui a transféré à un nouvel établissement public (Réseau ferré de France - RFF) l'ensemble de l'infrastructure ferroviaire ainsi que 20,5 milliards d'euros de dettes de la SNCF. Alors qu'une directive européenne de 1991 n'imposait qu'une séparation comptable entre le gestionnaire du réseau et les entreprises de transport, la France a décidé d'aller plus loin en créant un organisme ad hoc pour gérer les infrastructures. Peine perdue :  "RFF a hérité des missions de gestion du réseau mais pas des moyens correspondants", a souligné Philippe Séguin, premier président de la cour, lors de la présentation du rapport. Les 55.000 cheminots affectés à la gestion du réseau sont ainsi restés sous la coupe de la SNCF.

"La loi a créé un dispositif institutionnel unique en Europe, dans lequel RFF est contraint de déléguer la plupart de ses fonctions à la branche infrastructures de la SNCF dont il est pratiquement le seul client. La confusion des responsabilités qui en résulte crée de sérieux dysfonctionnements, par exemple lorsqu'il s'agit d'établir les horaires, d'attribuer les droits de circulation des trains (les sillons) ou de programmer les travaux", déplore la Cour des comptes, qui épingle aussi l'Etat, incapable d'assumer son rôle d'arbitre. Non seulement il n'a pas su résoudre les situations de conflit - dix ans après la réforme, le patrimoine n'est toujours pas clairement réparti entre RFF et la SNCF - mais il a plutôt contribué à jeter de l'huile sur le feu. Il a ainsi obligé RFF à équilibrer ses comptes tout en lui laissant des dettes impossibles à amortir. Il lui a imposé  de financer des investissements non rentables et n'a pas pris d'engagements clairs sur les subventions qu'il lui verse. Et quand il a dû prendre des décisions, comme sur le barème des péages, "ce fut souvent sur la base de compromis dépourvus de rationalité économique".

Près de la moitié du réseau mal entretenu

Les difficultés de coordination entre RFF, la SNCF et l'Etat ainsi que l'insuffisance des crédits affectés à la maintenance et au renouvellement des infrastructures ont des répercussions directes sur l'état du réseau. "Les investissements de RFF sont déséquilibrés car ils reflètent une priorité donnée de facto au développement du réseau (lignes nouvelles à grande vitesse, électrification...) plutôt qu'à son renouvellement, constate la Cour. Ce déséquilibre est doublement critiquable : d'une part, il conduit à privilégier des investissements de développement dont la rentabilité pour l'ensemble de la société comme pour RFF est insuffisamment démontrée ; d'autre part, il aboutit à ce que près de la moitié du réseau soit en mauvais état, faute de crédits suffisants, stables et bien répartis entre l'entretien et le renouvellement."

Selon le rapport de la Cour des comptes, la dégradation du réseau, qui oblige les trains à ralentir et entraîne des retards, toucherait surtout les 13.600 kilomètres des lignes les moins fréquentées qui représentent 46% du total du réseau mais seulement 6% du trafic. "L'Etat, RFF et la SNCF paraissent délaisser ces lignes à faible trafic  en espérant qu'elles seront un jour fermées ou reprises par les régions mais leur avenir n'a pas été sérieusement débattu depuis longtemps. Leur maintien en activité est pourtant coûteux et n'est même pas toujours justifié d'un strict point de vue environnemental."

La cour pointe aussi "l'organisation inadéquate" de la SNCF, en grande partie responsable des coûts de maintenance du réseau trop élevés. Il existe selon elle des gisements considérables de productivité au sein de la branche infrastructures de la SNCF. Elle prend pour exemple les deux mille postes d'aiguillages du réseau qui, pour un tiers, ont une technologie obsolète et sont parfois dans un état préoccupant alors que, selon elle, une grande partie des aiguillages pourrait être télécommandée par moins de vingt centres de régulation.

Clarifier les compétences entre RFF et la SNCF

Pour améliorer le fonctionnement du système ferroviaire, la cour formule plusieurs recommandations. Sur le plan financier d'abord, elle propose à l'Etat de reprendre la dette que RFF ne pourra pas rembourser, soit 12 à 13 milliards d'euros sur un total de 28 milliards d'euros fin 2007. Au niveau institutionnel, deux options sont ouvertes selon elle pour clarifier les compétences entre RFF et la SNCF : soit donner à RFF les moyens d'exercer pleinement son rôle de gestionnaire d'infrastructures en lui transférant 55.000 cheminots de la SNCF, mais les conditions sociales d'un tel transfert seraient "délicates" à gérer, reconnaît-elle ; soit intégrer RFF dans une filiale de la SNCF, totalement dédiée aux infrastructures, en suivant le modèle appliqué en Allemagne, par exemple.

Concernant la régulation du système, la cour souhaite que l'Etat mette en place une autorité de régulation des activités ferroviaires, voire de l'ensemble des transports, capable d'arbitrer les conflits en toute neutralité. Enfin, en matière d'investissement, elle recommande de donner la priorité aux dépenses de renouvellement des équipements sur les investissements de développement pour remédier rapidement à la dégradation du réseau. Elle souhaite aussi l'ouverture d'un débat sur l'avenir des lignes les moins fréquentées.

 

Anne Lenormand

 

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