La pression monte sur les ordonnances Modes de garde et sur les jardins d'enfants
La ou les futures ordonnances devant venir simplifier un certain nombre de normes et de règles, notamment d'encadrement, afin de faciliter la création de mode de garde collectifs, suscitent une mobilisation de professionnels de la petite enfance. Un entretien avec la secrétaire d'État Christelle Dubos a eu lieu. L'Association des maires de France a quant à elle pu échanger avec des représentants du ministère. Le projet de loi "École de la confiance" rendant l'instruction obligatoire à 3 ans fait pour sa part planer un doute sur l'avenir des jardins d'enfants notamment créés par la ville de Paris.
L'article 50 de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance (Essoc) habilite le gouvernement à prendre par ordonnances "toute mesure relevant du domaine de la loi afin de faciliter l'implantation, le développement et le maintien de modes d'accueil de la petite enfance". L'objectif est de simplifier un certain nombre de normes et de règles, afin de faciliter la création de mode de garde collectifs, qui a nettement marqué le pas au cours de la dernière convention d'objectifs et de gestion de la Cnaf (voir notre article ci-dessous du 2 avril 2019). Cette ou ces ordonnances devront intervenir dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la loi, soit avant le 11 février 2020 (voir notre article ci-dessous du 30 août 2018). Cette disposition a été introduite par un amendement du gouvernement en cours de discussion (voir l'encadré de notre article ci-dessous du 25 janvier 2018), ce qui n'a pas manqué d'inquiéter les acteurs de la petite enfance.
"Pas de bébés à la consigne" est de retour
Alors que la ou les ordonnances sont en cours de préparation, la pression et la mobilisation commencent à monter, dans une configuration qui n'est pas sans rappeler celle du mouvement "Pas de bébés à la consigne" dans les années 2009-2010 lors de l'élaboration du "décret Morano", autrement dit le décret du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans (voir notre article ci-dessous du 2 mars 2010). L'inquiétude est d'autant plus vive qu'un premier projet d'ordonnance - sur la simplification - était annoncé pour février et que rien ne s'est produit, suscitant ainsi des interrogations.
Aujourd'hui, le mouvement "Pas de bébés à la consigne" est de retour. Le 28 mars, plusieurs centaines de professionnelles de la petite enfance ont ainsi manifesté dans plusieurs grandes villes (Paris, Nantes, Toulouse, Bordeaux, Lyon, Nice, Montpellier, Dijon...), tandis que de très nombreuses crèches étaient fermées. Le collectif a profité de cette journée de mobilisation pour publier une lettre ouverte à Christelle Dubos, la secrétaire d'État auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé. Reçu au ministère le 21 mars, il y formule vingt propositions allant de l'atteinte d'un ratio moyen d'encadrement d'un professionnel qualifié pour cinq enfants à l'exclusion de tous les modes d'accueil du champ d'application de la directive Services, en passant par la préservation de l'exercice des compétences de la PMI et la redéfinition du mode de financement des Eaje (établissements d'accueil du jeune enfant).
Lors de l'entretien avec Christelle Dubos, le collectif aurait notamment obtenu l'assurance que la règle dite des 40-60 (40% de personnels diplômés et 60% de personnels qualifiés) ne serait pas remise en cause. En revanche, le collectif indique n'avoir obtenu aucun engagement sur le taux d'encadrement. Le gouvernement souhaiterait en effet aller vers un taux d'encadrement global, alors que le collectif et bon nombre de professionnelles restent attachés à la distinction entre les enfants qui marchent et ceux qui ne marchent pas. L'incertitude demeure également sur le sujet - tout aussi sensible - du nombre de m2 par enfant. Un projet de texte sur ces questions, initialement prévu pour la fin mars, devrait finalement être soumis à la fin avril.
Des ordonnances "avant l'été" pour une application "à l'automne" ?
Le 28 mars également, l'AMF (Association des maires de France) a réuni son groupe de travail "Petite enfance", en présence de représentants de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) du ministère. Cette réunion a permis d'obtenir quelques éclaircissements. Outre la confirmation du maintien de la règle des 40-60, les représentants de la DGCS ont indiqué que les ordonnances devraient être publiées "avant l'été", pour une mise en application "à l'automne", un délai qui ne semble pas forcément très réaliste, alors que tous les arbitrages ne sont pas encore rendus et que les rapports attendus sur la PMI et sur les modes d'accueil collectifs de la petite enfance (voir notre article ci-dessous du 3 septembre 2019) ne sont pas encore remis (le rapport sur les modes d'accueil étant précisément confié à Elisabeth Laithier, adjointe au maire de Nancy et co-présidente du groupe de travail "Petite enfance" de l'AMF).
Par ailleurs, l'AMF a obtenu l'assurance qu'il n'y aura pas de rétroactivité des ordonnances - et donc de l'application des nouvelles normes -, ce qui aurait pu remettre en cause certains projets ou l'équilibre économique des Eaje. L'hypothèse était au demeurant des plus théoriques, puisque la réforme ambitionne d'alléger les normes et non pas de les alourdir.
L'AMF s'inquiète des incertitudes de la réforme
Malgré ces garanties, l'AMF a confirmé ses inquiétudes sur un certain nombre de points. Elle craint ainsi une complexification de la gouvernance et ne veut pas de coopération obligatoire entre des structures aux finalités et aux statuts différents (par exemple entre les crèches et le périscolaire). Dans le même esprit, elle souhaite que le schéma départemental de services aux familles reste un outil d'information et de concertation, mais n'acquiert par une dimension de planification. Une position différente de celle de la Cnaf, qui voit plutôt dans le schéma un outil de correction des inégalités territoriales.
Enfin, et malgré les actuelles difficultés de recrutement, l'AMF maintient sa position traditionnelle sur le niveau de formation et de qualification des professionnelles de la petite enfance, ainsi que sur les taux d'encadrement.
Au tour des jardins d'enfants
En matière de petite enfance, le gouvernement fait également face à un second front avec le projet de loi pour une école de la confiance, adopté en première lecture à l'Assemblée le 19 février et qui doit être examiné au Sénat du 14 au 21 mai. Se fondant sur les atouts démontrés de l'éducation précoce dans la lutte contre les inégalités, le texte prévoit en effet de faire débuter l'instruction obligatoire à trois ans au lieu de six ans actuellement (même si 98% des enfants sont déjà scolarisés de fait à partir de trois ans). Cette disposition fait craindre une disparition des jardins d'enfants, qui constituent un lieu d'accueil pour les enfants de plus de 2 ans et jusqu'à 6 ans qui ne sont pas scolarisés ou le sont à mi-temps.
Lors de sa session du 1er au 4 avril, le conseil de Paris a ainsi adopté un vœu renouvelant "son soutien au modèle pédagogique proposé par les jardins d'enfants en cohérence avec son action volontariste en direction de ces structures depuis 2014" et souhaitant que "le Parlement intègre dans la loi la possibilité pour la ville de Paris [qui gère 36 jardins d'enfants, ndlr] de maintenir le modèle des jardins d'enfants pédagogiques, de manière pérenne et donc au-delà des deux années de transition prévues à ce stade de la discussion parlementaire".
Un amendement du gouvernement a apporté une réponse partielle, en prévoyant un moratoire de deux ans, durant lequel l'inscription dans un jardin d'enfants sera considérée comme respectant l'instruction obligatoire dès trois ans. L'amendement prévoit ainsi que "l'instruction obligatoire peut, au cours des années scolaires 2019-2020 et 2020-2021, être donnée aux enfants âgés de 3 à 6 ans dans un établissement d'accueil collectif recevant exclusivement des enfants âgés de plus de 2 ans dit jardin d'enfants". L'État assurera un contrôle "afin de s'assurer que l'enseignement qui y est dispensé respecte les normes minimales de connaissances requises". Mais il reste encore des incertitudes sur la façon dont les jardins d'enfants devront s'adapter et sur le devenir de ces structures au-delà du moratoire de deux ans.