Culture - La "marchandisation" des musées inquiète les conservateurs
L'Association générale des conservateurs des collections publiques de France (AGCCPF) a présenté - le 4 février à Paris, dans les locaux du Conseil économique, social et environnemental - son livre blanc sur l'état de musées. Selon le président de l'association, Christophe Vital, ce document aborde, "sans langue de bois", "de nombreuses questions relatives aux musées de France et à leurs professionnels ; il interpelle les pouvoirs publics, affirme les principes auxquels nous sommes attachés, pointe les réussites, dénonce les dérives, propose une autre politique pour les musées". Le ton plutôt alarmiste du livre blanc peut surprendre, alors que les musées connaissent une forte hausse de leur fréquentation depuis le début de la crise économique et multiplient les expositions à succès, comme en témoignent les récents événements autour de Monet (Grand Palais) et de Basquiat (musée d'Art moderne de la ville de Paris). Le livre blanc ne méconnaît pas ces réussites, de même que les côtés positifs de cet engouement, mais c'est précisément cette escalade qui inquiète l'association. Ainsi que le rappelle - non sans raison - son président, conservateur de plusieurs musées en Vendée, "on ne peut pas faire que du Monet". Les chiffres vertigineux - bientôt 10 millions d'entrées par an au Louvre, 913.000 visiteurs pour Monet... - ne doivent en effet pas faire oublier que la moitié des 1.214 musées de France (bénéficiant du label homonyme) accueillent moins de 10.000 visiteurs par an. Plusieurs d'entre eux sont d'ailleurs aujourd'hui menacés de fermeture, faute de financements. Même des musées de taille moyenne ne sont pas épargnés, car le coût d'organisation des expositions croît beaucoup plus rapidement que les recettes.
Les collections permanentes délaissées ?
De plus, la très grande majorité des expositions, même lorsqu'elles attirent un large public, se soldent par un déficit. La question du financement est donc un autre thème récurrent du livre blanc. Même si les prêts entre musées français restent gratuits, les conservateurs redoutent une "marchandisation" des oeuvres d'art. Les locations d'oeuvres par le musée du Louvre au profit d'Abou Dhabi ou du musée d'Atlanta passent mal chez les conservateurs, qui redoutent de voir le phénomène s'étendre à des musées moins prestigieux. L'AGCCPF craint également que l'évolution récente des musées entraîne une autre conséquence. La forte médiatisation des expositions et leur part dans les recettes des musées joue en effet au détriment des collections permanentes. Les expositions occupent une part croissante de l'espace disponible, reléguant les collections permanentes dans les réserves ou empêchant de les mettre en valeur. De même, la focalisation des médias sur les expositions détourne le public des collections permanentes. Contrairement aux expositions, celles-ci n'ont donc pas bénéficié de l'engouement des Français pour les musées. Or les conservateurs y voient pourtant la vraie richesse de ces derniers. Enfin, dans une approche plus corporatiste, le livre blanc plaide aussi pour les conservateurs, remplacés progressivement "par des gestionnaires et des énarques" et qui se retrouvent parfois enjeux de conflits politiques, notamment dans les musées rattachés à des collectivités territoriales.
Le cofinancement, une nécessité pour les collectivités
"Sans le secours financier de l'Etat, nombreuses sont les collectivités qui assureront de plus en plus difficilement le fonctionnement de leurs musées", insiste le livre blanc. Dans ce contexte, l'intercommunalité semble avoir les faveurs de l'AGCCPF. Les auteurs soulignent la "précarité dans laquelle se trouve une part très importante des musées" dans les départements. Ils estiment que la mise en réseaux est "l'une des meilleures solutions" pour les petits établissements et que les conservations départementales constituent un recours pour venir en aide aux collectivités ne bénéficiant pas de moyens financiers et humains suffisants. Près d'un quart des musées de France (soit 296 musées) dépendent de conservations départementales. Mais compte tenu des situations financières difficiles dans lesquelles se trouvent les conseils généraux, des incertitudes pèsent sur l'avenir de ces structures. Le risque est que les départements aient tendance à se concentrer uniquement sur leurs propres actions. "Certaines conservations départementales se sont ainsi transformées en conservations de 'musées départementaux' ou conservations du patrimoine départemental plutôt que conservations départementales du patrimoine". D'où une question, l'intercommunalité devra-t-elle prendre le relais? Cette solution est néanmoins présentée comme "moins pertinente" que l'échelon départemental pour une politique de mise en réseau dans les départements ruraux.
Pour les communes qui supportent seules l'essentiel des budgets de fonctionnement de leurs musées, l'intercommunalité est cette fois clairement proposée comme réponse pour pallier la modicité de leurs moyens. Le cofinancement est "absolument logique" et l'AGCCPF insiste sur la nécessité de maintenir le principe de financements croisés. Intercommunalité mais à certaines conditions : "l'appropriation par l'ensemble des élus de la ou des structures muséales" et "une répartition équilibrée sur le territoire des équipements culturels".
Enfin explorant l'hypothèse de "la disparition possible des départements ou leur fusion", l'association pose la question du rôle des régions. "Il faudra alors inventer un nouveau système de gestion territorial : l'idée d'agences régionales peut-elle être envisagée ? La mutualisation avec les services de l'Inventaire semblerait être dans cette hypothèse une évidence", conclut ce chapitre dédié aux rôles des collectivités.