Environnement / Transports - La lutte contre la pollution de l'air à la recherche d'un nouveau souffle
Article initialement publié le 13 décembre 2016 et actualisé le 20 décembre 2016
En réponse à l'épisode de pollution atmosphérique le plus grave depuis dix ans qui a frappé une très large partie du territoire en cette fin 2016, Ségolène Royal a présenté samedi 10 décembre en Conseil des ministres de nouvelles mesures visant à améliorer la qualité de l'air. Parmi les mesures annoncées, une large place revient au déploiement des véhicules "propres", et particulièrement aux véhicules électriques. Ainsi, la prime à la conversion qui permet aux particuliers, depuis avril 2015, de bénéficier d'une aide jusqu'à 10.000 euros pour l'achat d'un véhicule électrique en contrepartie de la mise au rebut d'un vieux véhicule diesel, va être étendue aux véhicules utilitaires légers et aux taxis à partir de 2017. L'Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (Avere) s'en est aussitôt félicitée.
Alors qu'un bonus écologique de 1.000 euros pour les 2 et 3 roues électriques a été créé dans le projet de loi de finances pour 2017, une aide de 200 euros pour l'acquisition de vélos à assistance électrique est aussi "mise à l'étude avec les associations de collectivités", a aussi indiqué la ministre.
Bus électriques et au biogaz en centre-ville
Ségolène Royal a également annoncé que toutes les nouvelles commandes de bus en centre-ville devront porter sur des bus électriques et au biogaz. La loi de transition énergétique de 2015 impose déjà l'achat de véhicules à faibles émissions par l'Etat et les entreprises nationales (50% minimum) et les collectivités territoriales (20% minimum) lors de leur renouvellement. Mais à la mi-décembre, les décrets d'application n'étaient toujours pas sortis. Quant à imposer un remplacement intégral, ce ne sera peut-être pas si simple, notamment par manque de fenêtre législative.
Ségolène Royal veut aussi obliger les ministres, préfets, chefs d'administration et élus de rouler en voiture électrique en ville "pour donner l'exemple". Cela passera par une circulaire "à destination de l'Etat", et une modification du code de l'environnement pour étendre cette mesure aux élus, a-t-on précisé au ministère de l'Environnement.
Ségolène Royal a aussi fait des propositions que le gouvernement devait commencer à arbitrer en cette fin d'année comme aligner les avantages entre essence et diesel en deux ans au lieu de cinq, en imposant le même niveau de remboursement de la TVA sur le carburant. Actuellement, les entreprises peuvent en effet déduire une partie de la TVA sur l'achat de gazole, mais pas dans le cas de l'essence. Autres mesures à l'étude : augmenter le "crédit d'impôt de transition énergétique" pour l'achat de bornes de charge pour les véhicules électriques, et le remplacement des chauffages polluants par des équipements propres chaudières à condensation, pompes, chaudières à micro-cogénération gaz). La généralisation de l'indemnité kilométrique vélo dans les secteurs privé comme public est également prévue. La ministre a aussi appelé à la gratuité des péages autoroutiers pour les véhicules électriques. L'Etat mène depuis "plusieurs semaines" des discussions avec les sociétés concessionnaires, a ensuite assuré son ministère.
Recours accru aux "certificats qualité de l'air"
Autre mesure mise en exergue, le recours accru, dans les régions soumises aux pics de pollution, aux "certificats qualité de l'air", ces vignettes de couleur différente selon le niveau de pollution du véhicule. Les préfets pourront, en cas de pic, limiter le trafic en fonction du niveau d'émission des véhicules, et non plus sur la base des seules plaques d'immatriculation. L'agglomération de Grenoble a appliqué pour la première fois ce dispositif à partir du 10 décembre. Le préfet du Rhône a aussi instauré le 15 décembre un nouveau dispositif de circulation alternée en cas de pollution dans l'agglomération lyonnaise, la conditionnant au caractère polluant des véhicules, identifié par les six vignettes de couleur Crit'Air.
En revanche pour ce qui est de mettre en place au quotidien des régulations de circulation, notamment dans les centres-ville, cela reste du ressort des collectivités, comme le permet la loi depuis 2015. A ce stade, seules Paris et Grenoble s'en sont saisies.
Depuis l'ouverture au 1er juillet 2016 du site internet de délivrance des vignettes, on compte, selon le ministère, 337.000 demandes dont 166.000 en Ile-de-France et 54.000 en Isère (Paris et Grenoble étant les deux villes ayant déjà annoncé des mesures de gestion de la circulation sur cette base).
Ségolène Royal en a appelé le 10 décembre aux élus locaux. "Ce qu'il faut maintenant, c'est la révolution du transport propre, des villes responsables (...) les maires doivent tenir bon!", a dit la ministre". "C'est bien mais insuffisant", a réagi après ces annonces Chantal Jouanno (UDI), chargée de l'environnement à la région Ile-de-France, appelant à une remise à niveau du système de transports en commun. "Le gouvernement avait pris des engagements (...) qui devaient être financés par l'écotaxe poids-lourds, qu'on n'a pas mise en place" a-t-elle regretté.
Un problème de santé publique
Depuis le 30 novembre, la capitale a été soumise au pic de pollution hivernal le plus long et intense observé depuis 10 ans. Alimentées par le chauffage au bois et le trafic, les concentrations de particules, ces poussières fines en suspension dans l'air, ont atteint jusqu'à 146 microgrammes/m3. Paris est pourtant loin des sommets régulièrement constatés à Delhi ou Pékin où les niveaux peuvent être trois à quatre fois supérieurs à ce record et globalement, la qualité de l'air s'est améliorée depuis 10 ans, en particulier grâce aux mesures sur les émissions industrielles.
Les Alpes ont également connu un pic de pollution d'une durée exceptionnelle. L'épisode a commencé le 30 novembre en Vallée de l'Arve, un jour après dans les régions d'Annecy et Chambéry. A Lyon aussi, le pic a commencé le 30 novembre mais il a été interrompu deux jours, les 13 et 14 décembre, avant de repasser en niveau d'alerte. Le chauffage, notamment au bois, est pointé comme la première cause d'émissions de particules fines. En Haute-Savoie, par exemple, 57% proviennent des polluants proviennent du chauffage contre 19% pour les transports et 16% pour l'industrie, selon la préfecture. La région lyonnaise et les Alpes connaissent régulièrement des dépassements des taux réglementaires. Lyon, avec sa vallée de la chimie, au sud de la vielle, ses bouchons et son autoroute qui balafre son centre. Et la vallée de l'Arve, vers Chamonix, avec trop de chauffages au bois, des industries, un axe routier transfrontalier très emprunté et "une topographie favorisant l'accumulation de la pollution", selon Atmo Auvergne Rhône-Alpes, l'organisme chargé de surveiller la qualité de l'air.
Selon le bilan officiel de la qualité de l'air, les sources principales de pollution au niveau national sont le trafic routier, le chauffage résidentiel, l'industrie, l'agriculture (via l'ammoniac des épandages). "Avant, on a pu agir sur les grosses sources fixes, comme les industries. Aujourd'hui ce sont des sources diffuses, sur tout le territoire", ce qui rend l'action complexe, souligne Nadia Herbelot, de l'Agence pour l'environnement (Ademe). "Il ne suffit pas que l'Etat fasse quelque chose nationalement : il faut aussi les collectivités, les entreprises, et tout un chacun", ajoute-t-elle.
Il y a en tout cas urgence à agir. Dans l'Hexagone, la pollution de l'air cause encore 48.000 décès prématurés, par cancers ou affections respiratoires, soit 9% de l'ensemble des décès, selon une évaluation de l'agence Santé publique France. "Sur ces décès, 34.000 pourraient être évités si toutes les communes de France continentale atteignaient les niveaux de particules observées dans les 5% de communes les moins polluées ayant le même type d'urbanisation", a estimé dans une interview à l'AFP Sylvia Medina, médecin épidémiologiste, responsable du programme de surveillance air et santé à Santé publique France. Si les pics de pollution ont des impacts importants pour la santé, c'est la pollution chronique qui a le plus d'effets. "Selon une étude réalisée entre 2007 et 2010, seulement 7% des décès et des hospitalisations cardiaques liées à la pollution de l'air à Paris ont pu être attribués aux pics, les 93% restants étant dus à la pollution chronique, relève la spécialiste. A Nancy, une des villes les plus affectées par les pics de pollution entre 2007 et 2016, cette proportion avait atteint un maximum de 14,7%. Mais comme il n'existe pas de seuil en dessous duquel la pollution de l'air ne soit pas dangereuse, la pollution de l'air a un impact sur la santé 365 jours sur 365, tout en sachant que plus il y a de pollution, plus son impact est important."
Anne Lenormand avec AFP
Pollution atmosphérique : les réponses des grandes villes européennes
Selon l'Agence européenne pour l'environnement, la pollution atmosphérique est responsable de 500.000 décès prématurés chaque année sur le Vieux Continent. L'ampleur du problème a conduit de nombreuses grandes villes à prendre des mesures. Tour d'horizon de quelques dispositifs mis en œuvre.
- Allemagne : Berlin a mis en place depuis le 1er janvier 2010 une "zone écologique" dans le centre-ville élargi, où seuls les véhicules peu polluants équipés d'une vignette verte peuvent circuler. Une réglementation identique a été progressivement mise en place dans la majorité des grandes villes allemandes.
- Belgique : à Bruxelles, une loi régionale prévoit depuis 2009 des mesures restrictives de la circulation en fonction du niveau de pollution de l'air. Le niveau 1 (70 microgrammes de particules/m3) entraîne l'abaissement des vitesses maximales autorisées. Le niveau 2 (100 microgrammes) prévoit circulation alternée et gratuité des transports publics. Au-delà du niveau 3 (200 microgrammes), la circulation est interdite pour tous les véhicules.
- Grande-Bretagne : un péage urbain, qui s'applique en semaine, entoure depuis 2003 le centre de Londres. Des exonérations sont prévues pour les résidents et les utilisateurs de voitures peu polluantes.
- Grèce : la circulation alternée existe à Athènes de façon permanente depuis 1982. La mesure est suspendue de juillet à septembre, de nombreux Athéniens quittant la capitale pour les vacances. Le dispositif concerne toutes les voitures et les camions au-dessus de 2,2 tonnes.
- Italie : la circulation alternée est utilisée depuis les années 90 dans les grandes villes, lors des pics de pollution. Les mairies ont aussi la faculté d'instaurer un "arrêt total de la circulation" pour les véhicules les plus polluants, comme cela avait été le cas à Milan ou à Rome en décembre 2015. Dans une quarantaine de centres historiques, des "zones à trafic limité" requièrent un permis spécial pour circuler, si leurs véhicules répondent à des normes antipollution précises.
- Portugal : à Lisbonne, l'accès au centre historique est interdit aux véhicules fabriqués avant 2000 en semaine. Pour une zone plus élargie autour du centre, cette interdiction frappe les véhicules construits avant 1996. Ce plan antipollution ne s'applique pas aux résidents.
- Scandinavie : la Suède, Stockholm et Göteborg ont un péage urbain. En Norvège, Oslo a un péage urbain mais surtout, le pays est champion de la voiture électrique grâce à des mesures incitatives fortes (pas de taxe, exemption de péage urbain, parking gratuit, autorisation d'emprunter les couloirs de transport collectif, etc.). Les voitures électriques représentaient près de 20% des nouvelles immatriculations en 2015.
AFP