Archives

Droit à l'image - La Loire déboutée de son recours contre le film d'Eric Rohmer

Le dernier film d'Eric Rohmer - "Les Amours d'Astrée et Céladon" - a suscité un contentieux inattendu avec le département de la Loire. A l'origine de cet affaire figure un avertissement qui apparaît dans le générique du film : "Malheureusement, nous n'avons pas pu situer cette histoire dans la région où l'avait placée l'auteur, la plaine du Forez étant maintenant défigurée par l'urbanisation, l'élargissement des routes, le rétrécissement des rivières, la plantation des résineux. Nous avons dû choisir ailleurs en France, comme cadre de cette histoire, des paysages ayant conservé l'essentiel de leur poésie sauvage et de leur charme bucolique". Le film a finalement été tourné en Sologne et dans le Puy-de-Dôme, où la rivière la Sioule tient le rôle du "délectable" Lignon, vanté par Honoré d'Urfé au début du 17e siècle dans son roman "L'Astrée". Choqué par cette présentation, le président du conseil général de la Loire a introduit un recours en référé pour "dénigrement" devant le tribunal de grande instance (TGI) de Montbrison (Loire), en demandant la suppression de l'avertissement, ainsi que 3.000 euros au titre du préjudice subi. L'affaire tombe d'autant plus mal que le département comptait s'appuyer sur le 400e anniversaire de la parution du premier tome des Amours d'Astrée et Céladon (en 1607), pour lancer une campagne de communication mettant en valeur le pays d'Astrée et la demeure familiale de la Bâtie d'Urfé, qui ont servi d'inspiration au romancier.
A l'appui de la saisine, l'avocat du département - par ailleurs conseiller général et président du comité de pilotage du site Natura 2000 qui couvre près de 1.000 hectares dans la plaine du Forez - faisait valoir "l'inexactitude de ces affirmations mensongères". La démarche du département était d'ailleurs soutenue par l'ensemble des groupes du conseil général, les Verts dénonçant eux aussi ces "mentions fallacieuses et préjudiciables" à la région du Forez. Pour la société de production et le cinéaste Eric Rohmer - qui, âgé de 87 ans, n'a pas assuré lui-même les repérages -, le Forez est désormais traversé par une autoroute, le Lignon a aujourd'hui un débit trop faible pour y reconstituer le suicide de Céladon et le château de la Bâtie d'Urfé est recouvert d'un crépi qui n'existait pas au 17e siècle.
Dans son jugement du 28 septembre 2007, le TGI de Montbrison déboute le conseil général, non pour des raisons de fond, mais pour une erreur juridique. Il considère en effet que "les passages dont le caractère erroné et péjoratif est allégué relèvent des seules dispositions de la loi du 29 juillet 1881" relative à la liberté de la presse - et plus particulièrement de son article 29 qui sanctionne la diffamation - "qui obéit à un régime procédural spécifique et impératif". Le département a fait part de son intention de déposer un nouveau recours sur ce fondement. Ironie du sort : alors que le conseil général déposait son recours, le Journal officiel du 26 septembre 2007 publiait un arrêté fixant le programme philatélique pour les années 2007 à 2009 et prévoyant la parution d'un timbre consacré à la Bâtie d'Urfé, malgré son nouveau crépi...

 

Jean-Noël Escudié / PCA

 

Référence : Tribunal de grande instance de Montbrison, jugement du 28 septembre 2007, Département de la Loire c/ sociétés Rezo Films et Rezo Productions.